2.1.2.2. Effets de la taille urbaine

Nous avons déjà souligné lors du chapitre 3 que les aires urbaines les plus marquées par les disparités spatiales sont les plus peuplées à l’image de Paris. L’analyse de la ségrégation spatiale à l’échelle du quartier en fonction du logarithme du nombre d’habitants de l’aire urbaine confirme l’existence d’un effet taille (Figure 24). Même si le niveau de ségrégation dans les deux villes de Creil (100 000 hab) et Le Havre (300 000 hab) semble tiré par d’autres facteurs, le nuage de points indique une relation significative (R2 = 0,38). En effet, la première ville est marquée par une forte concentration de logements sociaux et la deuxième est une ville industrielle qui a été entièrement reconstruite après la deuxième guerre mondiale. Si on écarte ces deux aires urbaines de Creil et Le Havre, désignées sur la Figure, nous obtenons un coefficient de détermination nettement plus élevé (R2 = 0,45).

L’effet de la taille urbaine, mesuré à partir du logarithme de la population, sur la ségrégation spatiale est positif car le niveau de différenciation entre les quartiers dans les grandes villes est souvent plus élevé. Cette différenciation est liée à des mécanismes de concurrence sur le marché foncier et des préférences individuelles (Cf. chapitre 1). Les travaux pionniers de l’Ecole de Chicago soulignent déjà que l’accroissement de la taille de la ville favorise la ségrégation spatiale59. Certaines études américaines montrent le lien entre la taille de la ville dans sa forme logarithmique et son niveau de ségrégation spatiale. Dans le but d’expliquer la croissance de l’indice de ségrégation (NSI) sur 731 aires métropolitaines entre 1970 et 1990, Jargowsky (1996) introduit la variable Log de population parmi d’autres variables du contexte physique, sans qu’elle soit significative. En revanche, l’effet de cette variable devient significatif et positif dès qu’il introduit des variables concernant la transformation de la structure économique. L’effet de la population semble être expliqué par l’addition des variables de l’emploi qualifié, l’emploi industriel et le changement du revenu moyen (Jargowsky, 1996). En renouvelant le même travail sur une période plus récente, Yang et Jargowsky (2006) montrent clairement l’effet de la croissance de la population entre 1990 et 2000 sur le niveau de ségrégation des 523 aires métropolitaines.

Figure 24 : Indice de ségrégation en fonction de la taille de population de l’aire urbaine
Figure 24 : Indice de ségrégation en fonction de la taille de population de l’aire urbaine

Source : élaboration propre, Données INSEE-DGI, 2005 ; INSEE, RGP 1999

Nous savons par ailleurs que l’étalement urbain est influencé par la croissance de la taille de la ville et des revenus des ménages (Anas et al. 1998). En effet, les aires urbaines les plus peuplées sont celles où l’indice d’étalement urbain est le plus important (Figure 25). Ce travail réalisé à l’échelle fine du quartier renforce d’autres résultats obtenus à l’échelle communale montrant que la taille de population favorise l’étalement urbain des villes ou au moins la dilatation de leurs zones denses centrales (Mignot, 2000 ; Peguy, 2000 ; Bouzouina, 2003).

Figure 25 : Indice d’étalement urbain en fonction de la taille de l’aire urbaine
Figure 25 : Indice d’étalement urbain en fonction de la taille de l’aire urbaine

Source : élaboration propre, Données INSEE, RGP 1999

La forte corrélation entre la taille de la ville et l’ensemble des indicateurs de la structure urbaine (densité et indice d’étalement) pose un vrai problème de multicolinéarité avec cette variable dans le cadre des modèles de régression statiques. L’objectif étant de tester l’effet de la densité et de l’indice d’étalement urbain, nous avons choisi de ne pas prendre en compte la taille urbaine dans un premier temps et de construire des groupes homogènes pour s’affranchir de l’effet taille dans la mesure du possible. Il faut signaler que l’échantillon contient moins de 100 aires urbaines. Pour éviter le problème de multicolinéarité, plusieurs travaux procèdent ainsi, et ne prennent pas en compte la taille urbaine dans leurs modèles statiques (Pendall et Carruthers, 2003 ; Yang et Jargowsky, 2006).

Enfin, même si l’objectif est de tester l’effet de la forme urbaine à travers la densité, il est important d’intégrer d’autres facteurs susceptibles d’expliquer la ségrégation : « (…), it is worth noting because the fact that urban growth is moving in both directions -inward and outward- at once underscores the need to account for a wide range of factors, including history, when considering the relationship between urban form and income segregation » (Pendall et Carruthers, 2003, p.548). La ségrégation spatiale est associée à la structure urbaine mais aussi à la structure démographique, économique et à l’histoire de la ville et de son urbanisation.

Notes
59.

« Toujours, depuis la politique d’Aristote, on a admis que l’accroissement au-delà d’une certaine limite du nombre d’habitants fixés en un lieu affectera leurs relations mutuelles et le caractère de la ville. Les grands nombres impliquent, on l’a fait remarquer, une gamme plus étendue de variations individuelles. En outre, plus nombreux sont les individus entrant dans un processus d’interaction, plus grande la différenciation potentielle entre eux. On peut donc s’attendre à ce que les caractéristiques personnelles, les métiers, la vie culturelle et les idées des membres d’une communauté urbaine se distinguent entre des pôles plus largement séparés que ceux des ruraux. On peut en déduire aisément que de telles variations doivent donner naissance à la ségrégation spatiale des individus en fonction de la couleur de leur peau, de leur héritage ethnique, de leur statut économique et social, de leurs goûts et préférences. » (Wirth, 1938 cité in Grafmeyer et Joseph, 2004, p.265-266).