2.1.2. Structure économique, démographique et politiques urbaines

Il s’agit ensuite de sélectionner les autres variables explicatives les plus pertinentes concernant la structure économique, la structure démographique mais aussi l’histoire de la ville et des politiques urbaines.

2.1.2.1. Structure économique

Aux États-Unis, l’analyse de la ségrégation est basée principalement sur la répartition des groupes ethniques au sein des villes. En France, la distribution des catégories socio-professionnelles dans l’espace est la solution la plus souvent privilégiée. Plusieurs études monographiques et comparatives montrent le lien entre la concentration des cadres et des chômeurs et le niveau de ségrégation des villes (Gaschet et Gaussier, 2008 ; Preteceille, 2003).

Carte 5 : Emploi total en 1999 et taux d’emplois métropolitains supérieurs
Carte 5 : Emploi total en 1999 et taux d’emplois métropolitains supérieurs

Source : Julien, 2002

La littérature sur les grandes métropoles mondiales (Sassen, 1996) souligne à la fois leur importante dynamique permettant de concentrer et de gérer les fonctions supérieures et les richesses mais aussi de séparer les espaces des flux et des espaces des lieux et de renforcer la ségrégation spatiale (Cf. chapitre 1). La métropole parisienne considérée comme l’une des villes globales (après New York, Londres et Tokyo) est effectivement la plus ségréguée des aires urbaines françaises (0,526). Alors qu’elle regroupe 27 % de l’ensemble de l’emploi en France, Paris polarise presque la moitié des Emplois Métropolitains Supérieurs (49 %) en 1999, ce qui représente 16 % l’ensemble de l’emploi total (Carte 5).

Une des spécificités des métropoles est leur capacité à offrir des emplois qualifiés et à polariser les cadres. Par ailleurs, la croissance de la demande pour les personnes qualifiées accentue les différenciations sociales et peut conduire à la ségrégation spatiale (Jargowsky, 1996 ; Berry et Glaeser, 2005). L’impact du nombre des cadres d’entreprises sur le niveau de ségrégation résidentielle est bien souligné sur la région parisienne : « Ce sont donc essentiellement les classes supérieures et moyennes liées aux entreprises qui contribuent à la bipolarisation résidentielle » (Préteceille, 2003, p.67). Nous montrons la corrélation entre le pourcentage des emplois de cadres d’entreprises et le niveau de ségrégation spatiale sur les 100 aires urbaines étudiées (Figure 26), renforcée par l’exemple parisien.

Figure 26 : Indice de ségrégation en fonction du pourcentage des emplois qualifiés
Figure 26 : Indice de ségrégation en fonction du pourcentage des emplois qualifiés

Source : élaboration propre, Données INSEE-DGI, 2005 ; INSEE, RGP 1999

Certains travaux ont analysé de près l’influence des activités de haute technologie sur la différenciation résidentielle (Pecqueur et Rousier, 2005). En insistant sur la dimension historique dans le district technologique grenoblois, ces derniers montrent un effet « high tech » suivant les mouvements résidentiels et renforçant la division sociale de l’espace. Il faut signaler que l’impact de la forte urbanisation qui a marquée cette ville pendant les trente glorieuses a largement dessiné le paysage résidentiel. 45 % des logements à Grenoble ont été construits entre 1949 et 1974, ce qui est proche du pourcentage le plus élevé de 47 % au Havre.

La dynamique d’emplois dans les métropoles est souvent accompagnée par une attractivité résidentielle et une dynamique dans les activités immobilières. Les métropoles attractives pour l’emploi et le fort capital humain, comme Paris, ne sont pas seulement des lieux de production mais aussi de consommation des aménités (Glaeser et al. 2001). Cela dit, d’autres villes moins importantes peuvent attirer des ménages aisés voulant profiter de ses aménités naturelles. Les deux phénomènes contribuent bien évidemment à la croissance des prix du marché foncier et immobilier. Reste que l’absence de données illustrant les disparités dans le marché immobilier dans chaque aire urbaine prive certainement notre étude d’une bonne variable explicative. Nous supposons que les villes les plus marquées par les dynamiques des activités immobilières sont les plus ségréguées. En écartant les aires urbaines de Nice et de Fréjus où le pourcentage des activités immobilières est le plus élevé (environ 3 %) et la ségrégation est relativement moyenne, la relation entre ces deux variables devient linéaire avec un coefficient de détermination de 0,28.

Au-delà de l’effet du chômage confirmé par la littérature et son interaction avec la ségrégation spatiale, d’autres travaux insistent sur l’impact de la pauvreté sur la ségrégation spatiale dans les villes américaines (Wilson, 1987, Jargowsky, 1996). La croissance de la pauvreté dans une ville encourage la fuite des classes moyennes et la recherche de l’entre-soi, ce qui renforce l’homogénéité des quartiers de la ville. Ce qui signifie que, plus la ville est pauvre plus son niveau de ségrégation est élevé. Cependant, en analysant la ségrégation spatiale en fonction du seuil de pauvreté (moitié du revenu médian) dans chacune des 100 aires urbaines nous ne constatons aucune relation évidente (Figure 27).

Figure 27 : Indice de ségrégation en fonction du seuil de pauvreté dans les 100 aires urbaines
Figure 27 : Indice de ségrégation en fonction du seuil de pauvreté dans les 100 aires urbaines

Source : élaboration propre, Données INSEE-DGI, 2005 

Nous retenons, enfin, les critères du chômage, du pourcentage de l’emploi de cadres d’entreprises et celui dans l’activité immobilière comme variables économiques explicatives du niveau de la ségrégation dans les aires urbaines françaises (Tableau 11).