2.2.2.2. Forte densité centrale et ségrégation

Le débat autour de l’impact de la densification des zones centrales de la ville en termes de ségrégation spatiale s’articule autour de deux hypothèses contradictoires. La première, dans la lignée de la ville conviviale de Beckmann (1976), considère que la forte densité permettrait de rapprocher les différents groupes de populations, de recréer de la mixité et le lien social dans la ville. La deuxième hypothèse estime que la densification des centres est synonyme de gentrification et de fuite des classes modestes et moyennes. Par conséquent, la forte densité centrale favoriserait l’homogénéisation du centre et la ségrégation spatiale dans la ville. Cette hypothèse repose sur le mécanisme d’éviction du marché foncier et immobilier lié aux politiques de réhabilitation des centres et à la valorisation de l’usage du sol (Cf. chapitre 1). Ce type d’opération contribue parfois à faire disparaître une partie non négligeable du logement privé à bas prix et à renforcer l’homogénéisation sociale de certains quartiers. Mais l’impact sur le prix de l’immobilier et la ségrégation dans l’ensemble de la ville nécessiterait d’être vérifié sur une longue durée, notamment en France. Dans le contexte des villes américaines, Wassmer et Baas (2006) montrent que l’hypothèse selon laquelle un renforcement de la densité d’une zone urbaine conduirait à une augmentation du prix médian des logements n’est pas soutenue sauf raisons historiques. Par ailleurs, Dawkins et Sanchez (2004) constatent que les métropoles avec des politiques limitant la suburbanisation enregistrent moins de ségrégation en 2000 et connaissent une importante baisse depuis 1990. Cela dit, notre objectif est de tester le lien direct entre la densité centrale et le niveau de ségrégation des aires urbaines à une date donnée (2001).

D’après les résultats précédents (Tableau 14), la densité centrale de population n’a aucun effet sur la ségrégation spatiale de l’aire urbaine. Là encore, la structure économique métropolitaine de la ville représentée par le pourcentage des emplois occupés par des cadres d’entreprises est plus pertinente. Nous savons que cette variable est à la fois associée à la densité centrale (R2 = 0,46) et à la taille urbaine (R2 = 0,58). En partant des deux groupes de populations de taille comparables (80 000-130 000 et 150 000-450 000 habitants), nous avons donc testé l’effet du pourcentage des emplois de cadres d’entreprises en construisant des petits groupes à densité centrale identique. Un des groupes, dont la taille est comprise entre 80 000 et 130 000 habitants et la densité centrale entre 3 et 4 habitants/hectare (16 aires urbaines), montre un effet propre à cette variable de la structure économique. L’indice de détermination est de 0,36. En effet, ce n’est pas la densité du centre qui joue sur la ségrégation, mais le volume d’emplois supérieurs dans les entreprises de l’aire urbaine qui attire les cadres et le fort capital humain (Berry et Glaeser, 2005). Quand les ménages riches privilégient une localisation centrale, pour profiter des différentes aménités, comme c’est le cas dans la métropole parisienne, cela n’est pas sans conséquence sur le niveau de densité et d’homogénéité du centre (Brueckner et al. 1999).

Enfin, densifier les parties centrales des villes n’implique, en principe, ni une baisse ni une hausse de la ségrégation spatiale. C’est ce que nous pouvons supposer via l’absence de lien entre la densité centrale et la ségrégation spatiale des villes étudiées. Cependant, la question centrale touche le type de quartier et le public concernés et la densification peut avoir des effets contradictoires selon qu’elle suive le processus de ghettoïsation ou de gentrification (Figure 1, chapitre 1). Seules les analyses dynamiques permettront de tester si les politiques de densification visant purement à lutter contre l’étalement urbain n’ont pas d’effet sur la ségrégation spatiale. En attendant, il est tout à fait justifié que la loi SRU insiste sur la mixité sociale et la lutte contre la ségrégation (20 % de logements sociaux par commune de plus de 3 500 habitants) en même temps que la densité et la lutte contre l’étalement urbain (suppression du plafond légal de densité).