2.3.2.1. Au sein même du centre : des zones polarisées par les riches, des zones polarisés par les pauvres et des zones intermédiaires de mixité

En France, notamment dans des villes comme Paris ou Lyon, la concentration des populations riches au centre est justifiée dans les modèles de l’économie urbaine par les préférences des ménages pour les aménités urbaines (Brueckner et al. 1999). Au-delà de cette vision modélisatrice, le centre reste le lieu de concentration des différents groupes de populations, en distinguant souvent les zones riches des zones pauvres par des espaces intermédiaires de mixité.

Carte 12 : Polarisations et mixités sociales à Lyon
Carte 12 : Polarisations et mixités sociales à Lyon

Source : données INSEE-DGI 2005

À Lyon, l’hypercentre et notamment la zone regroupant les quartiers des 2ème, 3ème et 6ème arrondissements le long du Rhône est dominé par les populations riches (Carte 12) Cette zone riche est suivie par deux demi-cercles de quartiers relativement mixtes, même si le quartier de la Guillotière semble encore résister à la gentrification. Le premier, à l’est, regroupe des quartiers occupés par des populations moyennes et modestes, à l’exception de certains quartiers dans le 8ème arrondissement (Montplaisir) qui attirent des populations aisées. Cependant, le deuxième demi-cercle, à l’ouest, mêle populations moyennes et aisées. Cette relative opposition devient plus marquée en première couronne où d’un côté se trouvent les quartiers pauvres de l’est lyonnais et de l’autre les quartiers riches de l’ouest (à l’exception de la Duchère). Cela dit, une grande partie du centre est occupée par des populations mixtes.

Dans les deux villes polycentriques, le centre historique est également coupé en deux parties (riche et pauvre) bien séparées. À Marseille, les quartiers pauvres situés au nord du vieux port sont opposés aux quartiers riches des 7ème, 8ème et 9ème arrondissements situés au sud (Carte 13). En effet, même dans ce centre populaire où une grande partie de la population est composée de retraités, il existe une séparation entre les quartiers pauvres cités précédemment et les quartiers aisés autour de Lord Duveen, Cadenelle, Estrangin et Perrier. Cependant, les deux zones sont séparées par d’autres quartiers mixtes, relativement modestes au contact des quartiers pauvres et relativement aisés au contact des quartiers riches. En comparant nos résultats avec des travaux antérieurs, on constate que certains quartiers centraux d’employés et d’inactifs identifiés en 1982 (Mansuy et Marpsat, 1994, p.213-214) sont devenus des quartiers mixtes, voire aisés (Palais de justice, Vauban ou Le Carnas). La gentrification est sélective selon les aménités urbaines et architecturales et touche parfois des quartiers populaires comme ceux de l’Hôtel de Ville, Joliette ou Noailles qui changeront encore de profil dans quelques années. Les autres quartiers populaires (à l’image de Belsunce ou Saint Just) et la plupart des quartiers ouvriers jeunes (aujourd’hui à dominante retraités) poursuivent leur processus de ghettoïsation et maintiennent la ségrégation spatiale au sein du même centre.

À Lille, la partie sud polarise les populations pauvres, alors que les quelques quartiers polarisés par les riches se trouvent au nord du centre notamment dans le Vieux Lille, entre les quartiers du Grand Boulevard de la Madeleine et les quartiers de Lambersart. Ce quartier qui abritait il y a des dizaines d’années des populations pauvres est devenu un des quartiers les plus prisés de la ville et continue sa phase de gentrification, conformément au processus ségrégatif décrit dans le premier chapitre (Carte 14), en attirant des ménages aisés. Cela étant, la majorité des quartiers du nord lillois sont finalement assez mixtes, contrairement à ce que montrent les lectures basées sur le seul revenu moyen. Cependant, ils peuvent suivre dans l’avenir le même chemin que le Vieux Lille, mais seules les analyses temporelles à des échelles fines permettraient de le quantifier.

Carte 13 : Polarisations et mixités sociales à Marseille
Carte 13 : Polarisations et mixités sociales à Marseille

Source : données INSEE-DGI 2005

Il est plus courant de trouver des populations pauvres dans des quartiers à dominante aisée, mais beaucoup plus rare des populations aisées dans des quartiers à dominante pauvre. Pourtant il est économiquement plus facile pour un riche de s’installer dans un quartier pauvre que le contraire. Les logements sociaux rescapés de la spéculation du marché immobilier ont permis de maintenir les populations modestes dans des quartiers de plus en plus recherchés. La quasi-absence des populations riches dans les quartiers pauvres confirme la thèse de l’évitement et de la valorisation des aménités urbaines par les ménages riches. Les populations riches sont plus sensibles à la présence d’un seuil minimum de riches dans le quartier. Cela est conforme au processus de gentrification car ce sont les classes moyennes qui investissent largement les quartiers pauvres avant que les classes riches ne commencent à s’installer. Les politiques visant à attirer des populations riches dans les territoires pauvres doivent s’attendre à un processus lent et sélectif selon l’image et les caractéristiques de chaque espace.