Introduction

Le droit à la participation des salariés, c’est la démocratie qui entre dans l’entreprise, c’est le salarié qui demeure citoyen sur son lieu de travail.

L’arrivée de la démocratie dans l’entreprise vient contrarier l’essence même du contrat de travail : la subordination du salarié à l’employeur. Le salarié est assujetti au pouvoir de direction de l’employeur, il n’est pas dans une relation d’égalité. En conséquence, il n’est pas libre. Le défi de la participation dans l’entreprise est le suivant : faire qu’un salarié soumis à un pouvoir de direction puisse être considéré comme libre, qu’il soit, au moins ponctuellement, sur un pied d’égalité avec l’employeur.

Ce droit à la participation a été affirmé constitutionnellement (alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) : « Tout travailleur participe par l’intermédiaire de délégués à la détermination collective de l’ensemble des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Ce passage « du silence à la parole » 1 s’est construit, étape par étape, dans les entreprises : d’abord avec le comité d'entreprise (1946), puis quelques années plus tard avec l’entrée du syndicat dans l’entreprise (1968). Ces évolutions ont eu lieu au prix d’événements historiques majeurs. Chacune de ces formes de représentation porte la marque de luttes sociales ou politiques d’une importance capitale. Cette participation des salariés n’est pas le fruit d’une évolution "naturelle". Bien au contraire, les salariés et les syndicats ont imposé ces changements du fait de leur implication dans des combats divers. Ainsi, le comité d'entreprise est né au lendemain de la Libération, grâce à l’influence que les syndicats ont retirée de leur participation à la résistance. Quant au syndicat, il entre officiellementdans l’entreprise, suite aux événements de mai 1968.

L’idée de la démocratie dans l’entreprise a donc pris vie sous différentes formes et souvent par le biais d’un exercice collectif. Il faut noter qu’il existe un droit individuel à la participation 2 , cependant, son exercice «est, dans la pratique, d’un intérêt limité » 3 . Ce droit semble d’ailleurs peu utilisé. Une des raisons de ce délaissement est due au fait que le salarié reste dans une relation subordonnée lorsqu’il s’exprime. Certes, la loi lui assure un droit d’expression, mais cette liberté ne peut être totale à cause de l’ascendant de l’employeur sur le salarié. Pour cette raison, la solution la plus adéquate pour assurer une réelle participation des salariés est leur représentation. Seule la relation collective peut rétablir le salarié dans sa citoyenneté car la relation contractuelle peut difficilement être à la fois assujettissante et émancipatrice. Ainsi seules la négociation collective et la consultation du comité d'entreprise peuvent réellement garantir une forme de participation des salariés à la vie de l’entreprise.

Les textes de loi réformant le droit du travail se sont multipliés 4 , notamment ceux portant sur le principe de participation 5 . Ce droit s’est particulièrement développé par le biais de la négociation collective. Toutefois, le législateur a également réformé la consultation du comité d'entreprise, récemment sous l’angle d’une négociation portant sur la consultation 6 .

La négociation est devenue l’outil privilégié pour régir les relations de travail. Ce phénomène s’observe depuis quelques temps au niveau de l’entreprise 7 et fait aujourd’hui son apparition au niveau national. En effet, à l’échelon national, on constate que la négociation est quasiment devenue un passage obligé pour réformer. La loi de modernisation du dialogue social 8 dispose que « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisation syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation » 9 . D’une certaine manière, les protagonistes 10 sociaux s’inscrivent dorénavant dans le processus législatif. Il était d’ores et déjà possible de négocier des accords nationaux sur certains grands thèmes, mais c’est l’automaticité de la démarche qui est novatrice. Ce choix politique s’explique probablement par l’influence grandissante du droit communautaire, qui implique directement les protagonistes sociaux dans la création de la norme. Ce changement est également déclenché par lesmobilisations des étudiants et des salariés contre des ordonnances instaurant le contrat "première embauche" 11 et le contrat "nouvelle embauche" 12 . Dans les deux cas, l’absence totale de discussion avec les différents acteurs intéressés est venue s’ajouter à la carence de débat parlementaire sur ces questions 13 . Ce manque de considération pour les "partenaires" sociaux a été l’un des moteurs de la mobilisation. Il apparaît clairement que la réforme en droit du travail est mieux vécue, lorsqu’elle est décidée en concertation avec les acteurs concernés.

La négociation collective est donc devenue une étape inévitable pour réformer le droit social. L’"agenda social" élaboré par le pouvoir exécutif en 2008 est une parfaite illustration de cette prise de conscience.

Ce renouveau du dialogue social au niveau national conduit à s’interroger sur le rôle des protagonistes sociaux et leur légitimité à décider pour les salariés. Ces questionnements ont pris une tournure nouvelle avec l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 14 et sa transcription législative. Au-delà du rôle joué par le pouvoir exécutif tout au long des négociations (détermination des thèmes de négociation et du délai imparti, menace permanente de légiférer dans un sens bien précis), la question de la légitimité des différents acteurs a fait irruption lors de la transcription d’une partie de l’accord dans la loi. Christophe Barthélemy 15 s’interroge sur le rôle des parlementaires au moment de l’adoption de cette loi, l’auteur explique qu’une intervention en vue de modifier le texte serait attentatoire à la volonté des signataires et, par conséquent, à l’équilibre de l’accord. Il en déduit que l’application de la loi de modernisation sociale induit une opposition de la légitimité sociale (incarnée par les syndicats de salariés et d’employeur) à la légitimité politique détenue par le parlement. Comment articuler les deux légitimités ? Le législateur doit-il servir de simple chambre d’enregistrement aux accords signés par les protagonistes sociaux ? Les signataires ont effectivement émis le souhait d’une reprise conforme de l’accord. Cette demande a trouvé un écho favorable auprès du gouvernement et de certains parlementaires.

Cette approbation provient d’une forme de confusion des légitimités. En effet, si les protagonistes sociaux souhaitent que leur texte porte le sceau de l’intérêt général, donc soit transformé en une loi, ils doivent accepter le jeu législatif et, subséquemment, l’éventuelle modification de leur accord.

Il n’y a pas d’opposition de deux légitimités, la hiérarchie des normes invite à admettre que le périmètre des légitimités, donc l’intérêt représenté, n’est pas le même selon la norme en question. Quand il s’agit d’un accord national, c’est l’intérêt collectif des salariés et celui des employeurs qui est représenté ; quand il s’agit d’une loi, c’est l’intérêt général. Or, les deux ne sont pas identiques. Ainsi, le second ne peut pas se substituer au premier. Le problème provient du fait que la loi de modernisation du dialogue social 16 peut être interprétée comme une délégation de pouvoir du législatif vers les acteurs de la vie de l’entreprise.

Ce questionnement sur la légitimité des négociateurs ainsi que sur le type d’intérêt représenté se retrouve, sous une autre forme, au niveau de l’entreprise. En effet, la légitimité des acteurs de la négociation d’entreprise est souvent remise en cause. Le législateur a choisi de transformer le mode d’adoption des accords d’entreprise, tout comme le rôle des salariés, afin de résoudre ce problème. La mesure de l’audience électorale, la participation directe ont donc fait leur entrée dans la sphère de la négociation d’entreprise. Or, la spécificité de la représentation des salariés pendant les négociations tient à la représentation de l’intérêt collectif et non d’un intérêt majoritaire. La légitimité des acteurs ne peut être jugée et réformée qu’à l’aune de la détermination de l’intérêt en cause.

De plus, la légitimité des représentants est envisagée différemment, selon qu’il s’agit de l’une ou l’autre forme du droit à la participation. En effet, le droit à la participation des salariés se décline essentiellement sous deux formes : la négociation et la consultation. La particularité de ce droit constitutionnel tient également à son mode d’exercice, puisque les salariés doivent être représentés.

En comparant les acteurs de ces droits et leur mode de nomination, on fait le constat suivant : dans le cas de la négociation, les délégués syndicaux ne sont qu’indirectement les représentants des salariés, tandis que les titulaires du comité d'entreprise le sont directement du fait de leur élection. La représentation en tant que concept juridique est alors envisagée différemment, puisque le choix de la désignation du représentant des salariés à la négociation induit une représentation indirecte des salariés, contrairement à l’élection. En effet, le délégué syndical représente le syndicat qui est le garant des intérêts des salariés. Aussi le lien entre le délégué syndical et les salariés ne peut-il être qu’indirect : c’est cette forme de représentation qui, aujourd’hui, semble poser problème.

La représentation indirecte des salariés par le délégué syndical n’a pas occasionné de difficultés jusqu’en 1982. Avant cette date, les accords d’entreprise consistaient en une adaptation des accords de niveau supérieur aux particularités de l’entreprise et ne pouvaient qu’y déroger in melius (en plus favorable pour les salariés). La problématique de la représentation était alors moins sensible, puisque les accords d’entreprise ne pouvaient qu’améliorer la situation des salariés.

En 1982, les "Lois Auroux" 17 introduisent la notion de dérogation in pejus (en moins favorable) à la loi. Des accords d’entreprise peuvent à présent être moins-disants que la loi (dans des domaines très précis explicitement spécifiés par le texte de loi). Ainsi, les représentants des salariés vont-ils être conduits à céder des avantages sociaux par le biais d’accords d’entreprise. Cette évolution de la fonction même de la négociation collective est à l’origine d’une remise en question de la légitimité des représentants des salariés.

Le questionnement sur la légitimité est à la croisée de plusieurs problématiques et la relation de représentation indirecte entre salarié et délégué syndical n’est pas un facteur d’amélioration de la perception du rôle des délégués syndicaux.

La forme de la représentation des salariés pendant les négociations d’entreprise vacille depuis près de vingt ans. L’impact de cette remise en question est important, puisque l’efficacité du droit à la négociation tient au fait « qu’il est primordial, pour un bon exercice de la négociation collective, de conférer une nouvelle légitimité à ses acteurs. De la légitimité des partenaires sociaux dépend celle de l’accord collectif au-delà des seules questions de sa légalité » 18 . A travers la représentation des salariés, c’est la légitimité des normes issues de la négociation qui est remise en question. La loi du 4 mai 2004 aggrave cette situation en étendant la possibilité de dérogation in pejus à une vingtaine de textes de loi, par accord d’entreprise. Cette même loi modifie également l’articulation entre niveau de négociation. C'est-à-dire que, sauf stipulation contraire, un accord d’entreprise peut être moins favorable aux salariés que leur accord de branche. La question de la légitimité des accords signés devient prégnante.

Ce bouleversement de la hiérarchie des normes et de l’objet de la négociation d’entreprise semble être compensé par l’instauration d’une forme de principe majoritaire. Cependant, la traduction législative de ce principe reste très éloignée d’une conception démocratique de la négociation et de la conclusion des accords.

De plus, la généralisation du principe majoritaire (dans la version proposée par loi du 4 mai 2004 19 ) ne répond pas à la délicate question de la représentativité des négociateurs. Le système inique de représentativité mis en place par l’arrêté du 31 mars 1966 20 perturbe l’ensemble de la réflexion sur la légitimité des acteurs à la négociation. Toutefois, sans entrer dans ce débat largement relayé par l’actualité 21 et les nombreux travaux universitaires 22 , il est possible d’examiner la forme de la représentation pour elle-même.

La forme de la représentation des salariés est un facteur de l’efficacité de la participation. Les différences de perception des deux types de représentation qui existent dans le cadre du droit à la participation illustrent l’importance du choix des acteurs sociaux. La loi du 4 mai 2004 ouvre la possibilité de négocier avec les élus du personnel ou un salarié mandaté, en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, et sous certaines conditions 23 , dans l’objectif de permettre la tenue de négociation dans le plus grand nombre d’entreprises. Cette substitution de la légitimité élective à la désignation démontre que ce n’est pas tant le mode de nomination des acteurs de la négociation qui assoit leur légitimité, mais davantage le rapport qu’ils entretiennent avec les salariés. La détermination de l’intérêt représenté est au centre de la réflexion : les négociations d’entreprise doivent-elles faire émerger un intérêt collectif ou un intérêt majoritaire ? La confusion des formes de nomination des représentants durant la consultation ou la négociation n’est pas anodine, ce choix implique une redéfinition de l’intérêt défendu par les représentants.

Le profil des représentants des salariés (élus, désignés…etc) permet de faire du droit à la participation, soit un droit du plus grand nombre, soit un droit du collectif représenté. La conception du droit constitutionnel à la participation mérite d’être précisée : s’agit-il d’un droit individuel exercé collectivement, d’un droit appartenant à la collectivité ou d’un droit de la majorité ? La seule certitude est que son mode d’exercice passe par la médiation de représentants qui, selon leur origine, leur mode de désignation, sont plus aptes à défendre l’une ou l’autre de ces formes d’intérêt.

Dans les entreprises, la gestion des relations sociales par le biais de la négociation est donc utilisée depuis fort longtemps. Les réformes récentes ne font d’ailleurs qu’encourager ce mouvement, notamment en encadrant ces négociations, afin d’en permettre le développement. L’évolution du droit à la participation des salariés est donc particulièrement marquée dans l’entreprise. Les dernières législations 24 ont amorcé une modification des relations entre les protagonistes sociaux et entre les salariés et leur représentant. En effet, les réformes entreprises concernent aussi bien le profil des représentants des salariés, l’intervention des salariés dans leur propre représentation que l’articulation des formes de la participation.

Les problèmes qui émergent de la participation des salariés dans l’entreprise augurent de ceux qui apparaîtront aux autres niveaux de négociation. Aussi l’étude des formes de la participation des salariés au niveau de l’entreprise et de leurs transformations nous semble-t-elle indispensable, afin d’envisager l’avenir de la participation des salariés dans son ensemble.

En plus d’un problème d’efficacité lié à la forme de la représentation, le droit à la participation connaît un problème d’effectivité. Les salariés éprouvent parfois des difficultés à exercer leur droit à la participation là où ils travaillent, du fait de la complexité de la structure de leur entreprise.

Un droit effectif est une norme qui atteint l’objectif qui lui était assigné 25 . Dans le cas du droit à la participation, la négociation collective donne réellement la possibilité aux salariés, par le biais de délégués, de déterminer les conditions de travail. Quant à la consultation du comité d'entreprise, il est plus risqué d’affirmer qu’elle permet de participer à la gestion de l’entreprise. Cependant ce droit offre une possibilité de contrôler la gestion de l’entreprise, ce qui peut être considéré comme une forme passive de participation à la gestion. Le droit à la participation est donc effectif. Toutefois, il n’est pas toujours efficace, notamment lorsque des salariés intérimaires ou d’entreprises sous-traitantes ne peuvent pas participer à la détermination de leurs conditions réelles de travail, puisqu’ils ne sont pas représentés durant les négociations se déroulant dans l’entreprise d’accueil. Le droit à la participation permet théoriquement la détermination des conditions de travail, mais son application dans une relation de travail complexe n’est pas toujours possible à l’endroit où le salarié exerce son activité. Cette nuance entre l’effectivité et l’efficacité est parfois ténue, parce que l’inefficacité tend vers un début d’ineffectivité ou, en tout cas, une effectivité partielle du droit observé.

Ainsi l’application du principe de participation n’est pas toujours possible dans le cas de salariés dépourvus de relations contractuelles avec l’entreprise où ils travaillent. Cependant, certaines adaptations sont en cours, sachant que le droit à la participation a connu de nombreux aménagements, tant d’un point de vue législatif que d’un point de vue jurisprudentiel. L’une des raisons de ces diverses transformations tient à l’organisation juridique et matérielle de l’entreprise. L’organisation fordiste permet une identification des centres de pouvoirs, des liens contractuels entre employeurs et salariés. Mais ce type d’organisation est devenu marginal ; aujourd’hui l’entreprise est souvent un maillon d’un réseau 26 et son fonctionnement dépend d’autres entreprises. Rares sont celles qui ne font pas partie d’un groupe ou ne dépendent pas d’une autre entreprise. Nous sommes entrés dans l’ère de la déstructuration et, de ce fait, l’exercice effectif du droit à la participation s’est compliqué. En effet, les salariés d’entreprises sous-traitantes, tout comme les salariés intérimaires, travaillent dans d’autres entreprises que celles qui les emploient. Ce phénomène de complexification de la relation salariale peut entraver l’exercice des droits des salariés, notamment celui de la négociation ou la consultation. L’effectivité du droit à la participation est remise en cause, puisque le salarié ne peut pas toujours exercer ses droits sur les lieux de son activité, et il ne participera pas à la détermination de ses conditions de travail. Il peut exister une différenciation entre le lieu de travail et l’entreprise où sont effectivement exercés les droits à la négociation du salarié.

La réorganisation de l’économie et des entreprises invite donc à réexaminer la situation des travailleurs d’entreprises extérieures.

Ces difficultés d’exercice du droit à la participation trouvent un début de solution dans la notion de communauté de travail. Les juges ont fait émerger cette notion, afin de permettre un exercice réel du droit à la participation des salariés là où ils travaillent. La notion jurisprudentielle de communauté de travail a alors pris de l’ampleur, mais elle reste cantonnée aux problèmes des élections. Ainsi, les salariés de la communauté sont uniquement concernés par les élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise. L’exercice du droit à la négociation est délaissé.

L’effectivité du droit à la participation pourrait être renforcée, si la communauté de travail était un niveau à part entière de négociation. Les salariés devraient être représentés, quel que soit le droit en jeu ; cette reconnaissance partielle d’un droit effectif à la participation ne trouve pas de raison d’être.

La reconnaissance d’une communauté de travail devrait concerner l’ensemble des droits à la participation pour en permettre une meilleur effectivité. Les salariés intéressés sont identiques, mais la loi ne les reconnaît pas dans le cadre du droit à la négociation dans l’entreprise qui les accueille. La jurisprudence établit une distinction en fonction de la déclinaison du droit à la participation retenue.

L’étude des acteurs (côté salariés) du droit à la participation invite à établir le constat suivant : les acteurs du droit à la participation s’entrecroisent s’agissant des représentants (les élus peuvent négocier, le délégué syndical peut être présent au sein du comité d'entreprise), et les salariés représentés sont les mêmes.

Cette convergence, notamment des représentants des salariés, se conjugue avec une participation de plus en plus directe de ces derniers à la négociation. Cette tendance est illustrée par un recours plus fréquent au vote des travailleurs. Le choix d’appliquer une forme de légitimité élective aux accords collectifs est au cœur des réformes mises en œuvre, à la fois par le biais des élus qui négocient (même si ce n’est pas le but de ces réformes), mais aussi par une participation directe des salariés à la négociation. Ces possibilités nouvelles invitent à une réflexion sur le rôle du représentant et la définition de l’intérêt représenté.

La négociation et la consultation s’entremêlent de plus en plus. En effet, leurs acteurs se confondent et l’élection fait son entrée au cœur de la négociation. La convergence de ces deux procédures n’est pas nouvelle, puisque l’articulation de la négociation et de la consultation est un phénomène connu. Le propre de cette articulation de la négociation et de la consultation est le respect de l’intégrité de chaque phase (de consultation et de négociation).

Aujourd’hui, l’interchangeabilité des représentants, la place grandissante du vote, additionnées à des réformes qui ouvrent des négociations sur la consultation, permet de percevoir un changement d’approche du droit à la participation. Cette confusion des genres interroge sur l’avenir de la forme du droit à la participation dans l’entreprise. Ce droit se décline pour permettre de remplir au mieux les objectifs assignés par la Constitution : définir collectivement les conditions de travail et participer à la gestion de l’entreprise. En conséquence, le rapprochement des procédures peut faire entrevoir une dissolution d’un droit dans l’autre, une fusion des procédures en une seule, telles que l’envisage le droit communautaire. La déclinaison du droit à la participation répond à un objectif : celui d’une représentation adéquate, selon qu’il s’agit de négocier dans l’intérêt des salariés ou de prendre part à la gestion de l’entreprise. Cet objectif est-il respecté lorsque les procédures s’entremêlent ?

Le mélange des genres (acteurs, élections, …) invite à s’interroger sur le rapport existant entre négociation et participation. Des réformes récentes proposent un nouveau modèle d’articulation des procédures, qui semble fortement influencé par le droit communautaire.

Le principe de participation est devenu un pivot de la vie de l’entreprise car l’entreprise est souvent régie par les conventions et accords collectifs. Il faut cependant signaler que de nombreuses entreprises, donc de salariés, ne connaissent pas de négociations. Dans le cas contraire, la négociation et la consultation encadrent les décisions patronales de gestion de leur société.

Incontestablement, le droit à la participation est entré dans la vie quotidienne de beaucoup de salariés. Son évolution récente répond probablement à de nouveaux besoins, mais de qui ? La nouvelle forme du droit à la participation s’assimile davantage à une nouvelle forme de participation qu’à une fusion des procédures. On se demande donc à quelle nécessité elle répond.

En résumé, le droit constitutionnel à la participation se décline principalement sous deux formes : la négociation collective et la consultation. Ces droits découlent d’un même principe, mais leur forme est très différente, tant du point de vue des acteurs que du processus.

Ces différences marquent un choix fondamentalement distinct quant aux intérêts représentés pendant la négociation ou la consultation. C’est d’ailleurs l’une des explications de  l’existence d’un canal dual de représentation ; au-delà des acteurs, c’est bien des intérêts représentés dont il s’agit. Le législateur, en participant à l’interchangeabilité des représentants et en introduisant de ce fait une part de vote dans les négociations a-t-il modifié les intérêts représentés ?

Les acteurs de la négociation permettent de comprendre le changement de nature de la négociation et de la consultation. On remarque alors une convergence des deux formes de la participation, phénomène confirmé par la possibilité de négocier le processus de consultation dans certains cas. Cette nouvelle articulation des phases de consultation et de négociation n’est pas une création en soi, puisque la navette sociale 27 existe depuis longtemps. Une étape supplémentaire est cependant franchie en soumettant la forme de la consultation à la négociation. S’agit-il d’une démarche de fusion des procédures pour uniformiser le principe de participation ou d’une nouvelle déclinaison de ce droit ?

Vu sous l’angle de la loi, le principe de participation permet d’établir des connexions entre la forme de la représentation et l’intérêt représenté. En effet, la déclinaison législative du principe constitutionnel de participation en deux droits à part entière, exercés de manière foncièrement différente, permet de s’interroger sur la polymorphie de la représentation. De même, en examinant les rapports qu’entretiennent ces droits issus de la même norme juridique, on distingue un dévoiement de leur forme initiale ; est-ce pour aller vers une troisième forme de participation ou pour uniformiser la matérialisation du principe de participation ?

La traduction législative du principe de participation constitue un terrain d’observation de la représentation des salariés propice à s’interroger sur l’évolution du principe à travers ses déclinaisons légales.

Nous avons donc choisi d’étudier la représentation à travers ses acteurs (1ère partie). Puis, forts du constat d’un rapprochement entre ceux-ci, nous avons étudié les rapports qu’entretiennent le droit à la négociation et le droit à la consultation (2ième partie), tantôt articulation, tantôt fusion, tantôt soumission.

Notes
1.

En référence au livre de Le Goff « Du silence à la parole », Calligrammes, 1989.

2.

Il s’agit du droit d’expression directe des salariés, droit introduit, à titre expérimental, par la loi du 4 août 1982 et pérennisé par la loi n° 86-1 du 3 janvier 1986. Ce droit individuel à la participation à la vie de l’entreprise permet aux salariés de s’exprimer sur leur travail et son organisation.

3.

Gérard Lyon-Caen, Jean Pélissier, Alain Supiot, « Droit du travail », Dalloz, collection Précis, 19ième édition, 1998, p. 867.

4.

Article Emmanuel Dockès, "Le stroboscope législatif", Dr. soc. n° 9/10, 2005, p. 835.

5.

Il s’agit par exemple de la loi n° 2004-391 du 4 Mai 2004, loi n°2005-32 du 18 Janvier 2005, …

6.

Loi n° 2005-32 du 18 Janvier 2005 pérennisant les accords de méthode.

7.

La loi du 4 Mai 2004 fait du niveau de l’entreprise l’épicentre des négociations, puisqu’il devient de plus en plus autonome.

8.

Loi2007-130 du 31 janvier 2007 parue au JO n° 27 du 1er février 2007.

9.

Article codifié sous le numéro L. 2211-1.

10.

Nous préférons le terme de "protagonistes sociaux" à celui de "partenaires" car il nous semble plus neutre. Il reflète davantage les différentes conceptions de la négociation qui existent au sein des syndicats.

11.

Ancien article 8 de la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances.

12.

Ordonnance n° 2005-893, relative aux contrats de travail "nouvelles embauches".

13.

En effet, les ordonnances permettent au gouvernement de prendre des dispositions, dans des domaines précis, sans soumettre ces normes au parlement : article 38 de la Constitution.

14.

ANI du 11 Janvier 2008 pour la modernisation du marché du travail.

15.

Christophe Barthélemy "Rénover le dialogue social pour libérer le marché du travail", Journal La tribune, du 11 Mars 2008.

16.

Loi2007-130 du 31 janvier 2007 parue au JO n° 27 du 1er février 2007.

17.

  Loi du 4 Août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, loi du 28 Octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, loi du 13 Novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail.

18.

Lydie Dauxerre, La Représentativité syndicale, instrument du dialogue social, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 17.

19.

La position commune du 9 Avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme offre une autre vision du principe majoritaire puisque, en attendant l’instauration définitive de ce principe, seuls les accords adoptés par des organisations syndicales représentant au moins 30 % des suffrages valablement exprimés aux dernières élections professionnelles (celle du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel) peuvent adopter l’accord (si les organisations représentant la majorité de ces suffrages ne se sont pas opposées à l’accord).

20.

La position commune propose l’abrogation de cet arrêté.

21.

Du fait de la position commune qui est actuellement proposée à la signature.

22.

A titre d’exemple, nous citerons la thèse de Lydie Dauxerre, La Représentativité syndicale, instrument du dialogue social, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 17.

23.

Articles L. 2232-21 et L. 2232-22 du Code du travail (article L. 132-26 a. C. trav.).

24.

Notamment la loi du 4 Mai 2004.

25.

Pour approfondir la notion d’effectivité, se reporter à l’article de Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, "Théories et pratiques de l’effectivité duDroit", Droit et société2-1986, p. 127.

26.

Voir la thèse d’Elsa Peskine, Les Réseaux d’entreprise et le droit du travail, Thèse, Paris X, 2004.

27.

Se reporter à l’article de Daniel Boulmier, "Consultation et négociation dans l’entreprise : la navette sociale, remède à la pesanteur", Dr. ouv. Août 1998, p. 350.