Section II - Les représentants des salariés pendant la consultation

Historiquement avec la mise en place du comité d'entreprise, le législateur a privilégié la représentation élective par rapport à la désignation (qui interviendra beaucoup plus tard). Mais, tout en préférant l’élection à la désignation, il fera entrer le syndicat dans le comité d’entreprise par une voie détournée.

Cette forme de représentation élective semble être moins sujette aux polémiques et susciter moins de critique de l’action syndicale que la négociation collective. Peut-être est-ce parce que le vote est un mode de légitimation mieux reconnu ou parce que le comité d'entreprise paraît engager moins directement les salariés ?

Cela s’explique probablement du fait que, comme l’explique Pierre-Yves Verkindt, en matière de relations collectives du travail, « la consultation des institutions représentatives du personnel s’inscrit dans une logique de décision unilatérale. Quand le Code du travail évoque à de multiples reprises l’information et la consultation des représentants du personnel, il oblige à distinguer […] entre l’information dont l’institution représentative est destinataire, et la consultation, qui n’est du point de vue du chef d’entreprise, qu’une information dont l’institution représentative est cette fois émettrice. C’est la raison pour laquelle la consultation des institutions représentatives est perçue d’abord, non comme une composante du processus d’information mais comme l’expression d’un contre-pouvoir »141. Ainsi, aux yeux des salariés, il ne s’agit pas d’un pouvoir de participation directe. La mission du comité d'entreprise, au moins sur le plan économique, s’apparenterait davantage à une expression sous forme de contre-pouvoir.

La question de la représentation semble alors moins aiguë que pour la négociation, ce sentiment étant renforcé par le fait que, comme l’explique Antoine Lyon-Caen, même si « la Cour de Cassation attache certains effets aux résolutions du comité »142, il semble légalement impossible de considérer que les résolutions du comité d'entreprise engagent juridiquement les salariés.

Cependant, il ne faut pas oublier que la consultation peut être considérée comme la première forme prise par la constitution sociale143 dans l’entreprise. Effectivement, comme l’explique Jean-Marc Béraud144 : « L’idée même de constitution sociale de l’entreprise suppose donc un abandon du commandement au profit d’une forme de gouvernement. Pour beaucoup d’auteurs, c’est ce qu’a réalisé le législateur après la Libération en créant le comité d'entreprise et les délégués du personnel ». Ainsi, même si le rôle du comité d'entreprise n’est que consultatif, sa constitution reste l’un des premiers jalons d’une démocratie dans l’entreprise : « Certaines normes ont bien pour destinataires les comités d'entreprise auxquels sont conférées des prérogatives arrachées à la sphère du pouvoir des dirigeants ou des représentants du capital […] d’autres normes ont pour destinataires, non plus véritablement les comités, mais les employeurs […] imposant aux employeurs, des méthodes nouvelles de gestion»145.

Cette action contraignante, surtout valable en matière économique, est quelque peu passée au second plan avec le développement de la négociation collective qui constitue un pouvoir de décision confié aux représentants des salariés. La cristallisation des défauts du syndicalisme s’est donc faite sur l’organe incarnant la représentation des salariés pendant les négociations : le délégué syndical, alors même que le syndicat est présent dans le comité d'entreprise depuis sa création. En effet, le comité connaît une composition tripartite : du côté patronal, le chef d’entreprise préside l’institution ; quant à la représentation des salariés, elle est duale puisqu’elle existe au travers de deux, voire trois acteurs différents. Il s’agit des élus présentés par un syndicat représentatif, des élus sans lien avec une organisation syndicale et enfin, des représentants désignés par le syndicat. Ces différentes figures sont autant de déclinaisons de la représentation des salariés, de la forme la plus directe avec l’élection à une configuration plus indirecte avec la représentation par le biais du syndicat.

Sous l’angle de la représentation, les rôles des membres élus (§1) et des membres désignés (§2) du comité d'entreprise sont distincts, leur mission est très différente.

Commençons par évacuer la question de la représentation patronale. Celle-ci est nécessairement étrangère à la représentation des salariés, cependant elle a longtemps posé problème. Le rôle du chef d’entreprise au sein du comité d'entreprise a beaucoup évolué puisque, à la naissance de l’institution représentative du personnel, le président du comité d'entreprise, c'est-à-dire le chef d’entreprise, prenait part à tous les votes. Le vote de l’employeur correspondant à l’idée que le législateur s’était fait de l’institution, ce devait être un organe de coopération. Cependant, cette idée s’est révélée être en inadéquation avec ce qu’étaient réellement les comités d'entreprise : « En pratique les CE ont toujours été un lieu et un moyen d’expression des salariés et non pas un lieu de recherche de convergence sur la base d’intérêt commun »146, comme le souhaitait le législateur. Aussi le vote de l’employeur venait-il fausser l’expression des salariés. Ce n’est qu’en 1978 que les juges vont enfin tenir compte de la réalité de l’activité des comités d’entreprise en excluant le vote de l’employeur en cas de consultation de l’institution. Comme le précise l’auteur, cela s’explique par le fait que c’est alors la représentation du personnel au sein du comité d'entreprise qui s’exprime et non le comité d'entreprise personne morale. « On est donc passé d’un comité organe de coopération avec la direction à un comité moyen d’expression des intérêts des salariés »147 avec cette limitation du vote de l’employeur. Cette évolution sera officialisée par les lois Auroux qui préciseront le rôle du comité.

Finalement, ce qui a fait doute pendant longtemps, c’est la fonction représentative exacte du comité d'entreprise : s’agit-il de l’expression du comité d'entreprise, personne morale, ou des salariés à travers le comité d'entreprise ? La Cour de cassation a tranché en faveur de la seconde version, ce qui oblige inéluctablement à exclure l’employeur du vote.

De ce fait, nous n’entrerons pas dans les détails concernant le chef d’entreprise, puisque son rôle est d’exposer la marche de l’entreprise ainsi que les décisions qu’il compte prendre, notamment sur un plan économique et sur la gestion de l’entreprise.

Quant aux représentants des salariés, ils sont multiples et la diversité de leurs origines permet une représentation diversifiée.

Notes
141.

Pierre-Yves Verkindt , "De la consultation à la négociation : questions de procédure", Dr. soc. , 4 Avril 1998, p. 322.

142.

Antoine Lyon-Caen, "Le comité d’entreprise institution de représentation du personnel" , Dr. ouv. , 1986 p. 358 et 359.

143.

Au sens où l’explique Jean-Marc Béraud, "Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise", Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à Jean Pelissier, Dalloz, 2004, p. 55., c'est-à-dire « une loi fondamentale établissant les organes essentiels d’une institution ainsi que leurs compétences, et déterminant le degré et les modalités de participation des membres » ; or ce mode de fonctionnement n’est absolument pas consubstantiel au fonctionnement de l’entreprise, il s’agit avant tout d’un choix politique.

144.

Jean-Marc Béraud, "Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise", Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à Jean Pelissier, Dalloz, 2004, p. 55.

145.

Jean-Marc Béraud, préc. p. 60.

146.

Jean-Marc Béraud, "Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise", Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à Jean Pelissier, Dalloz, 2004, p. 59.

147.

Jean-Marc Béraud, "Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise", Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à Jean Pelissier, Dalloz, 2004, p. 59.