§1. Le principe majoritaire et la démocratisation de l’exercice du droit à la négociation

L’article 8 du préambule de la Constitution de 1946 proclame le droit, pour tout travailleur, de participer à la détermination collective des conditions de travail par l’intermédiaire de ses délégués. Le concept de  "détermination collective" n’a jamais fait l’objet d’importants développements doctrinaux, les contours de ce que recouvre cette expression restent flous. 

Le Conseil constitutionnel310 fonde le droit à la négociation comme étant une des formes de participation des salariés aux décisions de l'employeur. Ce droit a donc une valeur constitutionnelle et est réaffirmé par l’article L. 2221-1 du Code du travail (L. 131-1 a. C. trav.).

Ce droit à la négociation s’exerce par l’intermédiaire de délégués qui, dans l’entreprise, prennent la forme d’une délégation comprenant obligatoirement le délégué syndical311. L’exercice du droit à la négociation nécessite donc une représentation. Il en découle que les salariés ne l'exercent qu'indirectement. Ce mode de représentation est aujourd’hui fortement remis en cause du fait de la crise du syndicalisme. Les salariés se reconnaîtraient moins dans leur syndicat. Cette méfiance est maintenue par la règle de l’unicité de signature qui entretient l’idée selon laquelle le droit à la négociation ne s'exercerait plus conformément à la volonté des salariés. Cela constitue un frein au développement de la négociation collective, puisque les accords signés souffrent parfois d’illégitimité.

Afin d'essayer de restaurer la légitimité des accords d'entreprise, la loi du 4 mai 2004 instaure un principe majoritaire polymorphe (A), la règle étant qu'un seul délégué syndical peut adopter un accord s'appliquant à l'ensemble des salariés, sauf opposition des délégués syndicaux représentant une majorité de salariés. Toutefois les "partenaires sociaux" peuvent déroger à cette règle en instaurant, par accord de branche, une majorité d'adhésion, c'est-à-dire que seul le délégué syndical ou les délégués syndicaux représentant la majorité des salariés de l'entreprise peuvent adopter l'accord négocié. La majorité se mesure à l'aune des résultats de l'élection du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Le ou les syndicats majoritaires sont ceux ayant recueilli au premier tour plus de la moitié des voix des salariés votants.
Il faut noter que la position commune du 9 avril 2008 propose l’instauration d’une approbation des accords par des organisations représentants 30% des suffrages valablement exprimés aux élections du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel312. Seules les organisations syndicales représentant 30 % au moins des suffrages valablement exprimés pourraient donc valider un accord d’entreprise, à condition que les organisations syndicales majoritaires (au vu des suffrages valablement exprimés) ne s’opposent pas à l’accord.

Le principe majoritaire instaure, selon nous, une nouvelle forme de représentation, centrée sur l'intérêt d'une partie des salariés, tout en encadrant plus strictement mais indirectement le pouvoir d'action des délégués syndicaux.

Cette nouvelle forme de représentation repose davantage sur l'élection et se rapproche de plus en plus de la figure publiciste de la représentation, au détriment du mandat de droit civil. Cependant, la forme de la représentation reste variable selon la déclinaison du principe majoritaire retenue.

D’un autre côté, ce changement réinscrit les salariés au cœur de la négociation (B), en permettant à une majorité d'entre eux de peser davantage sur les négociations et sur l'adoption ou non de l'accord. Cette forme de représentation qui accentue la participation des salariés est-elle plus proche de la définition constitutionnelle du droit à la participation ? Cette légitimité nouvelle, qui émane d'une certaine majorité salariale, constitue également une manière de neutraliser le délégué syndical en lui faisant subir une pression électorale. Nous nous interrogeons sur l'articulation possible entre la représentation syndicale et le principe majoritaire durant les négociations d'entreprise.

Ce principe majoritaire est basé sur une conception restrictive de la représentation, puisqu'il donne la priorité à la majorité des salariés, sachant que cette dernière s'appuie sur les résultats d'une élection (celle du comité d'entreprise ou à défaut des délégués du personnel) sans rapport immédiat avec la négociation collective. Cette élection portera désormais une double signification. De plus, cette élection n'a lieu que tous les quatre ans313, sauf accord dérogatoire contraire, ce qui signifie qu'une partie des salariés présents dans l'entreprise au moment des négociations ne s'est peut-être pas exprimée lors des dernières élections. L'influence de chaque syndicat ne correspondra donc pas forcément à ce que souhaitent les salariés présents dans l’entreprise au moment de la négociation.

Cette vision plus électoraliste de la représentation sera-t-elle compensée par la présence du délégué syndical qui reste libre de défendre des intérêts autres que ceux de la majorité ? Les intérêts majoritaires sont-ils l'équivalent de l'intérêt collectif ? L'intérêt majoritaire ne prive-t-il pas une partie des titulaires du droit à la négociation de l'exercice de leur droit ? Ces interrogations nous ramènent au débat portant sur la définition exacte des titulaires du droit à la négociation : les salariés certes, mais à titre individuel ou collectif?Cette question récurrente pose le problème du type d'intérêt défendu durant les négociations d'entreprise.

Le principe majoritaire décliné sous d'autres formes aurait peut-être pu remettre le salarié au centre du débat, en créant le lien indispensable entre salariés et délégués syndicaux.

Le défi que le législateur souhaite relever avec la mise en place du principe majoritaire est important, car la représentation des salariés par les syndicats pourrait devenir caduque s'ils considéraient ne plus être engagés par les actes conclus par les organisations syndicales. Or la place de la négociation collective est de plus en plus importante.

Notes
310.

CC, n° 96-383 DC du 6 Novembre 1996.

311.

Article L. 2232-17 du Code du travail (L.132-20 a. C. trav.).

312.

Cette mesure serait applicable dès le 1er Janvier 2009 dans les entreprises (article 5 de la position commune). Il s’agirait d’une mesure transitoire avant l’instauration d’un mode de conclusion majoritaire des accords.

313.

Loi n° 2005-882 du 2 Août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. JO n° 179 du 3 Août 2005 p. 12639.