A - Un principe polymorphe

L'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 précise que la détermination des conditions de travail appartient à chaque salarié, mais qu'elle doit être collective. Cette dernière précision est peu commentée. D'ailleurs il n'existe pas réellement de définition de la notion de "détermination collective". Comment faire pour que l'exercice d'un droit propre à chaque salarié314 soit collectif ? Cela passe peut-être par le choix du délégué qui doit être l'intermédiaire des salariés lors de la négociation collective.

Certes le délégué syndical doit avoir une approche collective des intérêts des salariés, puisqu'il les représente dans leur globalité et que le pluralisme syndical a pour vertu de permettre une représentation diversifiée des intérêts des salariés. Mais s'agit-il pour autant d'une détermination collective des conditions de travail ? Le délégué des salariés peut-il être le vecteur de l'aspect collectif au sens constitutionnel ? Il semble que cette vision soit un peu réductrice, étant donné la construction de l'alinéa 8. En effet le texte pose d'abord le principe, selon lequel chaque salarié détermine collectivement les conditions de travail. Il semble que tout travailleur puisse intervenir dans cette détermination. Cependant elle doit impérativement être collective, ce qui suppose une rencontre de la volonté des salariés et non pas une simple addition de volontés individuelles. Pour déterminer collectivement des conditions de travail, il faut établir des revendications portées par les salariés, puis défendues par un délégué à la table des négociations.

Le choix du délégué syndical comme délégué des salariés ne suffit pas à établir une détermination collective des conditions de travail, car celui-ci peut négocier sans connaître exactement les revendications des salariés de son entreprise. Certes c’est un salarié de l’entreprise en prise avec les conditions de travail et il représente un syndicat, donc l'intérêt collectif de la profession. Mais cela ne suffit pourtant pas à créer les conditions pour que les salariés déterminent collectivement leurs conditions de travail. La particularité de la construction linguistique de l'alinéa 8 tient au fait d'accoler un terme au singulier  "chaque salarié"  à l'adverbe "collectivement". Ces mots ont un sens, c'est pourquoi nous pensons qu'il doit être possible à chaque salarié de faire entendre sa voix au délégué. Le principe majoritaire semble être un bon moyen d'expression de chaque salarié, mais la loi du 4 mai 2004, dite pour le dialogue social, propose différentes lectures de ce principe, qui offrent une intervention plus ou moins importante des salariés.

La loi du 4 mai 2004315 propose une conception particulière du principe majoritaire, puisqu'il est décliné sous trois formes :

  • la majorité d'adhésion ;
  • la majorité d'opposition ;
  • la consultation directe des salariés.

La troisième forme peut donner lieu à controverse quant à sa qualification de déclinaison du principe majoritaire, mais il s'agit bien de faire valider un accord par une majorité de salariés. C'est pourquoi nous choisissons de faire figurer la consultation des salariés en tant que forme du principe majoritaire. Néanmoins cette forme d'expression de la majorité intervient dans des circonstances particulières, elle est souvent un palliatif à l'échec de la mise en œuvre d'une première forme majoritaire. Pour cette raison, nous l'étudierons dans un second temps.

Selon la forme du principe (1) imposée par l'accord de branche, le sens du principe majoritaire divergera (2), puisque l'intervention des salariés sera plus ou moins accentuée.

Notes
314.

Nous verrons que la qualification du droit à la négociation n'est pas aussi évidente que cela, puisque le débat doctrinal autour de cette question est encore vivace. Voir notamment la thèse de M-A Souriac Rotschild et l'ouvrage  Critique du droit du travail d'Alain Supiot. Chaque auteur défend une définition opposée du droit à la négociation : le professeur Souriac y voit un droit collectif alors qu'Alain Supiot l'interprète comme un droit individuel d'exercice collectif.

315.

Loi n° 2004-391 du Mai 2004.