Section I – Une connexion de fait entre les procédures : « la navette sociale »

Il existe desacteurs communs à la négociation et à la consultation mais aussi des thématiques proches, donc un intérêt pour les mêmes informations et un agencement des procédures incitant à la collaboration.

L’expression "canal dual" signifie que les représentants du personnel sont issus de deux modes de nomination : la nomination par désignation et la nomination par élection. Cette dualité est spécifique à quelques rares systèmes de représentation des salariés, dont le système français. Les salariés sont principalement417 représentés par des délégués syndicaux désignés par le syndicat, des délégués du personnel élus directement par les salariés, tout comme certains membres du comité d'entreprise. Le canal dual permet de multiplier les facettes de la représentation des salariés, puisque les institutions418 interviennent à des moments différents de la vie de l'entreprise et ont des moyens distincts. Cela permet d'assurer la "participation des salariés" à la détermination des conditions de travail et à la gestion de l’entreprise, au sens de l'article 8 du préambule de la Constitution. Ces procédés de représentation ne sont pas imperméables les uns aux autres. D'ailleurs, plus le législateur affirmait le caractère singulier de chaque institution et élargissait leur champ de compétences, plus des connections se sont mises en place entre ces institutions.

Ainsi, au moment de la négociation d'entreprise, les agents de la représentation419 dans l'entreprise ont la possibilité de mettre leurs compétences en commun en établissant un dialogue entre les institutions. Nous avons constaté précédemment que les membres du comité d'entreprise, les délégués du personnel peuvent être appelés à négocier dans certains cas de figure. Au-delà de ces cas, lorsque chaque institution reste dans son registre, des croisements s’opèrent.

Dans le cas de la négociation d'entreprise, le comité d'entreprise et le délégué syndical ont des rôles différents à chaque étape des discussions avec l'employeur. Ils sont en capacité de faire évoluer les négociations d'un même pas, grâce à un procédé de va-et-vient de l'information entre les deux institutions : c'est ce que nous qualifierons de "navette représentative"420 opérée entre consultation et négociation. Ce procédé n'a aucune existence textuelle, mais la conjugaison des lois définissant les missions des deux institutions permet de le mettre en place. Cette absence de reconnaissance légale entraîne d'importants écarts d'efficacité du procédé, selon le mode de mise en action choisi par les différents acteurs.

Cette possibilité de représentation optimale des salariés est bouleversée par des réformes récentes qui mettent en opposition les deux types de représentation. Certains nouveaux textes de loi semblent favoriser la négociation au détriment de la consultation. Il s’agit notamment de la loi du 18 janvier 2005421 qui autorise la mise en place d’accords de méthode pouvant éventuellement amoindrir les moyens d’action du comité d’entreprise lors de sa consultation. Cette tendance peut paraître plus favorable aux salariés, étant donné que leurs représentants ne se contentent plus de donner leur avis mais participent à la mise en place de la décision en validant ou non l'accord. Pourtant, ce qui est perçu comme une influence plus importante des salariés sur les décisions de l'employeur peut engendrer une confiscation d'un aspect de la représentation. Ce constat ne peut pas être monolithique puisque, si la plupart des textes récents privent le comité d'entreprise d'une partie de ces droits durant la consultation - comme la loi du 30 décembre 2006 (qui permet de décider par accord collectif de la raréfaction des documents fournis au comité d'entreprise) ou encore l'article L. 1233-21 du Code du travail (L. 320-3 a. C. trav.) instaurant les accords de méthode - la jurisprudence crée de nouvelles obligations attachées à ces négociations qui pourraient s’avérer favorables aux salariés.

L'entreprise comprend plusieurs institutions représentatives du personnel qui ont chacune un rôle défini422 et qui incarnent une forme de représentation singulière. A priori, le cloisonnement entre institutions existe puisqu'elles interviennent de façon dissemblable, à des moments et avec des moyens d'action différents. En effet, le législateur de 1982 a élargi les missions du comité d'entreprise et des délégués syndicaux, tout en essayant de maintenir un cloisonnement de leurs fonctions. Mais l'élargissement de leur champ d'intervention a eu un effet inverse en entrouvrant la possibilité d'un "dialogue" entre ces institutions. Cette possibilité s'exprime essentiellement lors des négociations d'entreprise, qui créent une occasion de réunir les institutions.

L'étanchéité entre institutions n'est donc qu'une façade, le cloisonnement entre institutions est artificiel (§1) puisque, en plus des exceptions légales qu'on connaît (le comité d'entreprise négocie à certaines occasions par exemple), il existe une communication interinstitutionnelle qui s'instaure de manière logique, tant les missions du comité d'entreprise et des délégués syndicaux sont complémentaires (§2).

Ce mode d'interaction s'avère être un grand avantage pour une meilleure représentation des salariés, car il permet de multiplier les points de vue sur une même question.

Notes
417.

Nous laissons de côté le CHSCT.

418.

Nous parlons ici d'institutions au sens large, c'est-à-dire représentatives du personnel et de représentation, de l'intérêt des salariés de l'entreprise; aussi incluons-nous les notions de comité d'entreprise et de délégués syndicaux dans ce paragraphe. Nous pourrions également parler d'institution de représentations collectives ou suivre le raisonnement d'Antoine Mazeaud qui inclut le délégué syndical dans les institutions représentatives du personnel dans son ouvrage Droit du travail, Montchrestien, coll. Domat, 2000, p. 94. Voir Franck Petit, " Qu'est-ce qu'une institution représentative du personnel ? ", Dr. soc., 12 Décembre 2002, p. 1073.

419.

Des salariés ou de leurs intérêts.

420.

Notre expression s'inspire de celle consacrée par Daniel Boulmier, "Consultation et négociation dans l'entreprise: la navette sociale, un remède à la pesanteur", Dr. ouv., Août 1998, p. 350. Cependant la navette sociale de Daniel Boulmier est obligatoire; de plus, l'avis du comité d'entreprise permettrait ou non de valider l'accord, en quelque sorte il a un droit de veto sur les négociations d'entreprise, alors que nous étudions la mise en place spontanée de ce processus de va-et-vient entre consultation et négociation.

421.

Loi du 18 janvier 2005, n° 2005-32 de programmation pour la cohésion sociale.

422.

Nous ne parlons pas de vocation propre, puisque « Si l'histoire des trente dernières années livre un enseignement, c'est bien la vanité d'une séparation étanche des institutions représentatives du personnel » selon Antoine Lyon-Caen, "Le comité d'entreprise à l'heure du changement", Dr. soc., Avril 1984, p. 299. Mais il existe bien en théorie des missions dont chaque institution a le monopole légal. Cependant, même à l'intérieur de ces missions, des rapports entre institutions s'établissent et c'est ce dont nous souhaitons traiter.