Conclusion

Le travail de comparaison entre les acteurs du droit à la participation permet d’établir que la forme de la représentation des salariés induit le type d’intérêts représentés. Incontestablement la désignation des représentants permet la représentation d’intérêts différents de ceux de l’élection. Il s’agit d’un côté de représenter un intérêt commun à tous les salariés de l’entreprise, voire au salariat, de l’autre, de représenter un intérêt majoritaire ou, en tous les cas, limité à l’entreprise. Cette distinction est essentielle car elle permet de mesurer les conséquences des changements apportés à la figure de la représentation. A ce propos, si les représentants des salariés au comité d'entreprise sont toujours les mêmes (à la fois élus et désignés, ce qui permet au syndicat d’assurer une présence continue dans cette institution), les changements concernant la figure du représentant des salariés aux négociations sont importants. En effet, les élus du personnel et des salariés mandatés peuvent négocier à certaines conditions.

Cette possibilité de négocier avec un plus grand nombre d’interlocuteurs est due au fait que les négociations ne pouvaient se tenir que là où il existait des délégués syndicaux. Or les employeurs étaient de plus en plus demandeurs de négociations, sachant que ces dernières se sont souvent transformées en outil de flexibilisation des conditions de travail.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce problème est identique pour le droit à la consultation, étant donné qu’il ne peut s’exercer que dans les entreprises de plus de 50 salariés. Mais dans ce dernier cas, aucune réponse légale n’a été trouvée, alors que la possibilité de négocier dans toutes les entreprises est ouverte depuis longtemps. Elle a même été élargie par la position commune du 9 avril 2008669, puisqu’il n’est plus nécessaire de recourir à un accord de branche pour permettre la négociation avec les élus670.

Toutefois la potentialité pour des élus, des mandatés, de négocier dans l’entreprise trouve également une explication dans le fait que le délégué syndical a toujours été porteur d’une ambigüité. Effectivement le rapport du délégué syndical aux salariés est complexe : il ne les représente pas directement. Aussi la critique s’est-elle souvent focalisée sur ce représentant. On peut alors imaginer que l’ouverture de la négociation à d’autres acteurs était une façon détournée de répondre à ces difficultés.

La remise en question de la légitimité du délégué syndical pose également un problème de légitimité des accords signés. Cette difficulté est accentuée par la règle de l’unicité de la signature des accords. La règle de validation majoritaire des accords devait alors compenser le manque de légitimité des accords. Mais le principe majoritaire répond davantage à la problématique des accords illégitimes qu’aux critiques faites au délégué syndical. Ce n’est pas la figure du représentant syndical qui est repensée mais le mode de validation des accords. Le vote fait office de béquille aux éventuelles défaillances de la représentation au lieu d’asseoir le syndicat dans la négociation et de conforter une représentation de l’intérêt collectif.

La place du vote des salariés devient alors centrale. Il détermine le poids de chaque organisation syndicale dans les négociations (au travers du principe majoritaire671), voire permet d’adopter directement les accords (par le biais du référendum), de plus les élus peuvent négocier. Cette "polysémie" du vote vient perturber la définition de l’intérêt représenté, donc du sens de la négociation. A qui et à quoi doit servir ce droit ? Aux salariés les plus stables dans leur emploi qui peuvent voter tous les quatre ans lors des élections professionnelles ? Aux salariés les plus précaires, à tous ? Ces interrogations s’amplifient lorsque l’on s’interroge sur l’identité des salariés réellement représentés durant les négociations d’entreprise. La notion de communauté de travail incluant des salariés d’entreprises sous-traitantes devrait permettre de prendre en compte des intérêts larges pendant les négociations ; cependant cette notion jurisprudentielle n’est pas valable concernant le droit à la négociation. Aussi l’urgence de reconnaître un droit à la négociation collective appartenant à la communauté de travail se rattache-t-elle aux questions concernant la nature des intérêts représentés.

L’importance du vote dans la négociation est confirmée dans la position commune, puisque ce texte accroît la possibilité de négocier avec les élus et impose le choix des délégués syndicaux672 parmi les candidats aux élections professionnelles ayant au moins recueillis 10% des suffrages aux élections professionnelles de références (article 10 de la position commune). Ce texte affirme également l’objectif de mise en place d’un principe d’adoption majoritaire des accords.

Cette nouvelle façon d’aborder le droit à la négociation nous semble fort contestable : il s’agit d’une réponse à courte vue au problème de la représentation des salariés pendant les négociations d’entreprise. Certes l’état actuel du droit à la négociation (spécialement l’accroissement du domaine du dérogatoire) entraîne une remise en cause fréquente des délégués syndicaux et de ce mode de représentation indirect des salariés. Nous avons souligné l’urgence de développer un lien plus direct entre le délégué syndical et les salariés, mais la solution retenue par la position commune risque de dévoyer l’intérêt représenté par le délégué syndical. Il faut préserver la place centrale du syndicat dans la négociation tout en lui octroyant les moyens de mettre en place une forme de démocratie participative concernant les négociations d’entreprise. Il serait possible d’envisager que ce cadre s’accompagne d’un système proche de celui des Etats-Unis. Les salariés désigneraient l’unique syndicat qui les représente aux négociations pendant deux ans. Certes l’élection du délégué syndical jouerait un rôle important. Néanmoins la possibilité de défendre l’intérêt collectif plutôt que l’intérêt majoritaire resterait entière car le travail d’information et de débat avec les salariés serait rendu possible par l’accroissement des moyens du syndicat (possibilité de consultation, de négociation, …). Le syndicat élu devra faire ses preuves, mais sa capacité d’action ne dépendra plus du vote, et ce durant deux années. Le rapport de force pendant les négociations serait accentué par la présence d’un unique syndicat autour de la table des négociations.

Cependant le cadre actuel de représentation des salariés, en introduisant le vote dans la négociation collective, tend à faire converger les modes de représentation en confondant les représentants élus et ceux qui sont désignés. La position commune du 9 avril 2008 renforce cet état ; il permet d’affirmer le postulat, selon lequel les acteurs de la négociation et la consultation se conjuguent de plus en plus. Cette convergence de la négociation et de la consultation n’est pas nouvelle. Elle existe sur un autre plan que celui des acteurs. En effet, les procédures de négociation et de consultation peuvent s’articuler pour permettre d’optimiser la représentation des salariés. Elle existe également en droit communautaire sous la forme d’une quasi fusion des procédures.

Cette articulation des procédures prend cependant une forme nouvelle en droit interne. Le changement de fond provient du fait que la convergence observée entre les deux formes du principe de participation mute en une soumission d’un droit par l’autre : le droit à la négociation inféode le droit à la consultation. La consultation du comité d'entreprise devient un sujet de négociation parmi d’autres. D’autres nouveaux thèmes de négociation viennent s’ajouter à celui-ci et, parmi eux, la gestion quantitative de l’emploi ou encore le droit de grève.

Cette extension du domaine de la négociation marque une étape supplémentaire dans l’évolution du droit à la négociation. Au départ, ce droit était un moyen de compenser une relation contractuelle inégale, il devait donc être un moyen d’acquérir des droits nouveaux. Puis, alors même que l’état de subordination n’a pas changé(ne s’est pas modifié - répét), voire même que la relation contractuelle est encore plus déséquilibrée du fait de l’augmentation du chômage, le droit à la négociation vient à changer de nature. Effectivement, le législateur de 1982 choisit de libéraliser des règles de la négociation. Mais cette possibilité nouvelle de faire des conditions salariales une variable d’ajustement économique ne crée pas de dynamique économique, bien au contraire. La négociation devient un outil de gestion de l’entreprise parmi d’autres. Avec l’évolution décrite ci-dessus, il semble que la négociation n’est plus une négociation de gestion mais bien de cogestion, vu que les représentants du personnel sont amenés à assumer les choix de gestion de l’employeur, sans pour autant avoir acquis un pouvoir de décision quant aux choix économiques fait par celui-ci.

Ce dévoiement de la négociation collective conduit à s’interroger sur l’évolution même du droit du travail et à penser de nouveaux droits des salariés.

Notes
669.

Position commune du 9 Avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme.

670.

Article 4-2-1 de la position commune.

671.

La position commune du 9 avril 2008 affirme l’objectif d’atteindre un principe de validation majoritaire des accords. D’ici là, le texte met en place de nouvelles conditions de validation des accords d’entreprise. Ils seraient validés par des organisations syndicales représentant 30% des suffrages valablement exprimés lors des élections professionnelles et en l’absence d’opposition de syndicat représentant une majorité de salariés à ces mêmes élections : article 5 de la position commune du 9 Avril 2008.

672.

Qui ne peuvent être désignés que par les syndicats ayant obtenu un score électoral de 10% aux élections de références : article 4-1 de la position commune du 9 avril 2008.