Chapitre III. Études de style

 «Le Texte est pluriel. Cela ne veut pas dire seulement qu'il a plusieurs sens, mais qu'il accomplit le pluriel même du sens [...] Le Texte n'est pas coexistence de sens, mais passage, traversée; il ne peut donc relever d'une interprétation, même libérale, mais d'une explosion, d'une dissémination. Le pluriel du Texte tient, en effet, non à l'ambiguïté de ses contenus, mais à ce que l'on pourrait appeler la pluralité stéréographique des signifiants qui le tissent (étymologiquement le texte est un tissu)» (R. Barthes, Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, op. cit., p. 75)

Ce chapitre va nous permettre d'entrer dans le vif de notre sujet en explorant l'aspect le plus original des deux auteurs. En effet nous analyserons les traits qui, à notre avis, sont les plus modernes de leur style, soit l'athanor des genres et des langues, les néologismes, le rapport entre poésie et image, très développé chez les deux écrivains; par la suite, nous aborderons aussi les langages chromatique et numérique qui, selon Thérèse Michel-Mansour, s'imbriquent et s'entrecroisent avec d'autres signes dans tout texte maghrébin pour signifier essentiellement la rupture256. D'ailleurs «Le texte [...] est l'espace où aucun langage n'a barre sur un autre, où les langages circulent»257. Pour finir, nous nous occuperons de la caractéristique littéraire moderne par excellence, à savoir le jeu intertextuel. Ce paragraphe sera aussi un prétexte pour révéler les phares, ou mieux, les “sémaphores” littéraires de Nadir et de Saïd dans le but de montrer comment les deux écrivains parviennent à intégrer habilement, dans leurs œuvres, le style ou bien les emprunts faits à d'autres auteurs qui n'appartiennent pas exclusivement au domaine littéraire maghrébin. D'ailleurs, comme l'affirme Barthes, «le style est essentiellement un procédé citationnel, un corps de traces, une mémoire [...] un héritage fondé en culture et non en expressivité»258. Selon Barthes il s'agirait plutôt d'un procédé plus ou moins inconscient dû aux connaissances et aux goûts littéraires de l'écrivain qui s'en sert. Ce bagage culturel est constitué de plusieurs sédiments successifs apportés par des lectures, des approfondissements, de la curiosité, et tout cela ressort mystérieusement au cours de l'écriture. En effet,

‘«L'auteur crée mais ne voit pas sa création ailleurs que dans l'objet auquel il donne une forme, autrement dit, il ne voit que le produit en devenir de son acte créateur et non le processus psychologique intérieur qui préside à cet acte. Telle est, d'ailleurs, la nature du vécu de tout acte créateur: il vit son objet et se vit lui-même dans l'objet mais il ne vit pas le processus de son propre vécu [...] C'est pourquoi l'artiste n'a rien à dire sur le processus de son acte créateur, il est en entier dans le produit créé et il ne peut que nous renvoyer à son œuvre; et c'est, en effet, là seulement que nous allons le chercher...»259.’
Notes
256.

Michel-Mansour Th., op. cit., p. 175.

257.

Barthes R., Le bruissement de la langue., cit., p. 79.

258.

Ibid., p. 158.

259.

Bakhtine M., Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984, p. 29.