Amina Saïd, Tombeau pour sept frères, (à paraître)366.

Encore une fois la légende des Sept Dormants d'Éphèse séduit l'écrivaine tunisienne à tel point qu'elle a décidé de lui consacrer entièrement son livre futur. Ce dernier s'inscrit bien dans l'esthétique combinatoire qui caractérise toute l'œuvre saïdienne. En effet, l'auteure même a suggéré la nature hybride de son prochain texte en le définissant, au cours de notre entretien, «poème narratif» car l'emploi du vers libre, qui est d'ailleurs une constante chez Saïd, associé au besoin spasmodique de raconter finissent par dynamiter le discours poétique. Ici on assiste donc à une véritable hybridation narrative du poème pour un souci de majeure compréhension. L'œuvre se présente comme un long et unique poème en prose divisé en huit parties dont chacune est précédée par une citation renvoyant plus ou moins directement à ce mythe méditerranéen. Les sept protagonistes prennent la parole, à tour de rôle, pour raconter chacun un morceau de cette histoire qui ne cesse de séduire par son côté énigmatique. Ainsi le récit des personnages se développe en s'appuyant principalement sur trois axes antithétiques (jour / nuit, veille / sommeil, vie / mort) où le chiffre sept revient d'une manière obsédante jusqu'à devenir l'objet d'un véritable éloge:

‘ainsi étions-nous désormais sept nombre parfait
sept comme la division du monde depuis l'endroit où nous étions
sept comme les cieux les terres les mers les sphères célestes
et leurs sept pierres comme les pléiades de la grande ourse
les noms maléfiques de la lune les sept démons
qui pour les anciens dévoraient l'astre insaisissable des songes
à qui fut confiée la nuit et qui se divise le septième jour
croît et décroît avant de s'engendrer lui-même
car pour que le monde continue ce qui a été doit être détruit
sept comme les cataclysmes les compartiments de l'enfer
les paradis contigus les couleurs de l'arc-en-ciel les sept esprits
les sept jours et chacun des prophètes qui les honorent
sept comme les six directions cosmiques et leur centre
les sept zones qui entourent l'arbre universel
sept comme les colonnes du temple de la sagesse
les âge de la vie et les étapes de la quête
jusqu'à la mort mystique’

Des vers et des strophes entières se répètent d'une section à l'autre, comme si la poétesse essayait de représenter même au niveau formel le cycle de l'éternel retour. Le ton est solennel et les mots choisis appartiennent au domaine philosophique car la légende devient un prétexte pour une méditation sur la vie et sur sa fragilité. L'existence acquiert de la valeur lorsqu'on la rapproche de la mort (“la vie serait-elle un long sommeil dont nous éveillerait la mort?”) car, comme nous l'avons déjà remarqué, chez Saïd, les contraires ne s'annulent jamais mais plutôt, grâce au rapprochement, s'enrichissent de leurs significations opposées. Face à la constatation amère du destin inéluctable de chaque individu la poétesse, par la bouche d'un dormant, se laisse échapper ce message consolateur fait de mots voilés de douleur causée par la perte d'une personne très chère367. Et le souvenir devient alors le seul éclair d'éternité car:

‘ceux que nous avons aimés sont pour toujours en nous
la séparation jamais ne touche un seul être
la douleur se partage et ne se transcende
qu'en accédant à un nouveau seuil’

Ainsi, Tombeau pour sept frères apparaît comme un livre singulier car, si d'un côté, il semble se rattacher aux œuvres précédentes en poursuivant le projet d'hybridation de l'écrivaine, de l'autre, il s'en détache car, pour une fois, l'auteure étouffe tout élan narcissique en s'adressant directement à ce mythe méditerranéen pour y trouver des réponses aux mystères de l'existence. Ce qui témoigne aussi de la nécessité de la poétesse de puiser, de temps en temps, à ses traditions pour apaiser sa soif d'origines à la recherche de son identité floue et morcelée.

Notes
366.

Cette brève analyse n'a aucune prétention d'exhaustivité d'autant plus qu’elle s’applique à un manuscrit dont la parution est prévue pour le mois de juin. Nous remercions l’auteur de nous avoir permis de lire ses poèmes avant leur publication.

367.

En effet, l'auteur nous a avoué que la douleur provoquée par la mort de son père a déclenché la naissance de cette œuvre et qu'elle a trouvé dans la légende des Sept Dormants une réponse au mystère de la mort.