Intérêts et limites de la recherche

Dans un terrain quasiment vierge, tout apport serait bienvenu. Afin de prévenir une dispersion qui pouvait s’avérer fatale dans le cadre d’un travail individuel, nous avons préféré cependant nous limiter auxquelques axes suivants.

Tout en tenant compte des approches pluridisciplinaires indispensables et enrichissantes, la recherche mettra l’accent essentiellement sur une histoire sociale et culturelle des femmes vietnamiennes dans les limites chronologiques retenues. Les traditions vietnamiennes sont millénaires et leur pérennité – du moins apparente et fantasmée comme telle – est souvent affirmée et réaffirmée avec une conviction très largement partagée par les chercheurs vietnamiens et étrangers comme par le grand public. En s’attachant aux représentations et aux expériences vécues historiquement situées dans l’espace et dans le temps, il seracependant possible – et nécessaire – de cerner et de discerner les réalités, y compris dans les représentations et dans les pratiques effectives, de l’époque qui nous concerne plus directement. Notre recherche ce sera l’objet de notre première partie tentera ainsi de décrire ces traditions à une époque historique précise, ce qui permettra de rendre plus intelligibles la coexistence, les confrontations et débats avec les différentes approches réformatrices qui se réclamaient de la modernité. Les résultats apporteront des éléments de réponse aux questionnements du sujet de notre recherche, et faciliteront sans doute d’autres tentatives de recadrage dans les débats analogues entre traditions et modernités qui émergent de nouveau dans le Viêt Nam d’aujourd’hui.

Il nous a paru également fécond d’apporter une des premières contributions à l’histoire des femmes vietnamiennes – une histoire à écrire – en nous concentrant d’abord sur l’histoire de ses premiers mouvements et manifestations féministes ou de tendances féministes des temps modernes en même temps que sur celle des mouvements socioculturels qui, de 1918 à 1945, les ont portés à l’émergence, les ont soutenus dans une lutte convergente pour une affirmation des droits à la dignité d’être femmes comme d’être hommes et d’être Vietnamiennes comme d’être Vietnamiens. Car, tout comme les autres courants de pensée et d’actions socioculturelles qui leur sont contemporains, les mouvements féminins et féministes vietnamiens se sont toujours déclarés solidaires de la lutte pour une amélioration des conditions de vie matérielle, intellectuelle, morale et affective des femmes et des hommes de leurs temps, avec une attention particulière pour les plus opprimé-e-s, les plus oublié-e-s en bas de l’échelle sociale, pour une affirmation de l’identité nationale vietnamienne et du droit à la dignité humaine de tou-te-s les Vietnamien-ne-s. Ainsi, la 2è partie de notre travailanalysera des représentations de femmes à partir de la production littéraire de l’époque et présentera des parcours significatifs de femmes modernes et féministes, de femmes révolutionnaires membres ou dirigeantes des mouvements anti-colonialistes, d’épouses des personnalités éminentes. Dans la 3è partie, nous esquisserons un premier bilan du féminisme vietnamien jusqu’en 1945 ainsi que les contours des deuxième et troisième vagues.

Ce travail d’histoire sociale et culturelle éclairera en fin de compte d’autres aspects, encore dans l’ombre jusqu’à maintenant, de la lutte multiforme du peuple vietnamien dont toutes les énergies ont été effectivement mobilisées contre l’oppression colonialiste, même si – et justement parce que – les Vietnamiens ont su apprendre tout au long de leur histoire à s’approprier les forces des autres cultures pour sauvegarder la leur, à la fois de l’anéantissement par la violence brute de l’agression et de l’évanescence sous l’effet d’une civilisation prétendue supérieure ou représentante exclusive du progrès. Etant bien entendu qu’il n’y a pas d’autre moyen de préservation que d’évoluer, de se moderniser, de se remettre en question et d’innover.

Les résultats de la recherche permettront ainsi, du moins oserions-nous l’espérer, de contribuer à restituer un maillon qui semble estompé entre 1908, après l’échec et la répression violente des mouvements des lettrés modernistes du début du siècle, et 1945 où éclata la Révolution d’Août, de la lutte continuelle contre l’oppression, qui témoigne de la vitalité vietnamienne ainsi que des aspirations des femmes et des hommes à la dignité, à la liberté et au bonheur.

A l’histoire de la France contemporaine, cette recherche apportera des compléments d’information sur les impacts contradictoires de la colonisation, notamment dans ses effets éducatifs, culturels et sociaux.

Pour l’histoire des femmes dans le monde, ce sera un début de témoignage vietnamien.