Conclusion : Les multiples figures d’une femme mythifiée

Ainsi, qui étaient-elles donc, les femmes vietnamiennes vers les années 1920 ? A défaut d’études cognitives, nous disposons davantage de modèles normatifs, notamment du confucianisme des Song auxquels la charité et la tolérance bouddhistes, la spontanéité taoïste permettaient d’en estomper les contours par trop rigides. Les trois philosophies concouraient cependant à enseigner le sens du devoir, du sacrifice et à prévenir hommes et femmes contre les tentations du désir et du plaisir – plus particulièrement le désir et le plaisir sexuels. Les coutumes populaires s’affirmaient comme échos et en même temps comme contre-poids, voire comme objections et contre-modèles à travers leurs pratiques et leurs représentations véhiculées notamment 143 par les chants alternés 144 et les ca dao-berceuses dont les petits hommes et petites femmes étaient imprégnés dès les premières années de leur vie et ensuite presque toute leur vie durant. Les chants alternés animaient les rizières et les travaux agricoles dans leurs étapes successives comme ils servaient de divertissements très prisés par les mandarins lettrés, les petits et grands fonctionnaires vietnamiens des autorités coloniales. Les berceuses étaient chantées le long des journées et tard dans les veillées laborieuses par les petites filles, les grand-mères, les mères, mais aussi les tantes, nièces, cousines, voisines, voire les pères et frères… Point n’était besoin d’être femme ni d’être mère pour chanter des berceuses et réciter ou entendre chanter et réciter des ca dao. Il en ressort “la” Vietnamienne idéalisée et mythifiée sous de multiples figures. Désidéalisation et démythification s’imposent, les générations de 1918-1945 en seront conscientes et s’y efforceront, sans toujours réussir.

Héroïnes vénérées de la lutte patriotique ou épouses, mères effacées, oublieuses de soi mais sur qui reposaient petites et grandes familles. Soumises aux trois dépendances et afficheuses des quatre vertus confucéennes ? Ou laborieuses et actives, ingénieuses et dynamiques, énergiques dans le travail, déterminées dans les passions amoureuses ? Immanquablement dotées de toutes les qualités réputées féminines et maternelles ou traversant aussi des convulsions humaines dans leurs expériences sentimentales d’amoureuses, d’épouses, de mères mais aussi de femmes en tant que femmes, que personnes et individus ? En fait, Vietnamiens et Vietnamiennes n’ont pas attendu la confrontation avec l’Occident pour percevoir les femmes et réfléchir sur elles.

Notes
143.

Nous n’avons parlé ici que des ca dao mais nous évoquerons d’autres formes du folklore (contes, fêtes,…) quand l’occasion s’y prêtera.

144.

Selon les régions et les situations où ils se pratiquent, il s’agit de : ho dôi dap, hat vi, hat dam, hat quan ho, etc.