Chapitre II : Un Viêt Nam qui bouge

Ne comparons pas un poète à un poète. Comparons donc une époque à une autre époque. Je suis convaincu que dans l’histoire de la poésie vietnamienne, il n’y a jamais eu d’époque aussi riche que la nôtre. Jamais on a vu coexister des âmes poétiques ouverte comme celle de Thê Lu, rêveuse comme Luu Trong Lu, puissante comme Huy Thông, pure et claire comme Nguyên Nhuoc Phap, profondément triste comme Huy Cân, rustique comme Nguyên Binh, étrange comme Chê Lan Viên… et ardente, tumultueuse, tourmentée comme Xuân Diêu. D’un poète à l’autre, la différence est évidente. Contrainte et emprisonnée pendant si longtemps, la personnalité individuelle a été soudain libérée. .

Hoai Thanh et Hoai Chân, 1941

Dans ce chapitre, nous retraçons le cadre de l’évolution où l’élément essentiel était la scolarisation des filles, laquelle à son tour générait de nouvelles professions, de nouvelles possibilités d’expression et d’échanges comme la diffusion de l’écriture quôc ngu, la presse, la littérature moderne. Les cadres familiaux et sociaux étaient également en train de bouger avec une plus grande permissivité de la morale familiale, une révolte contre l’opinion sociale traditionnelle et une remise en question de l’emprise par trop étouffante des associations et communautés. N’ayant pu accéder nous-mêmes aux archives concernant l’époque coloniale, nous avons hérité des travaux de chercheurs confirmés. Parus un demi-siècle après la fin de la guerre franco-vietnamienne, alors que leurs auteurs se sont spécialisés dans l’histoire socio-politique vietnamienne depuis plusieurs dizaines d’années, Indochine, la colonisation ambiguë 206 de Pierre Brocheux et Daniel Hémery, L’école française en Indochine 207 de Trinh Van Thao sont des ouvrages incontournables. Nous y avons joint une documentation qui concerne plus directement notre champ d’études et notre sujet : des témoignages de femmes à travers des mémoires, recueillis par des interviews 208 ou en nous servant de souvenirs de famille sur nos grands-mères, par exemple.

Notes
206.

P. BROCHEUX et D. HEMERY Indochine, la colonisation ambiguë, La Découverte, Paris, 1995.

207.

TRINH VAN THAO L’école française en Indochine, Karthala, Paris, 1995.

208.

Nous avons ainsi interviewé Hoang Xuân Sinh sur sa mère, Bui Thi Me sur elle-même et ses contemporaines dont Bui Thi Nga, l’épouse de Huynh Tân Phat.