Le premier son de cloche du genre féminin

Nu gioi chung (Son de cloche du genre féminin), sous-titré Fémina Annamite, le premier périodique féminin vit le jour à Sai Gon et reconnut dans son n° 1 du 1er février 1918 : « Dès son arrivée à Saigon et dans le cadre de son programme de réforme en vue d’améliorer le niveau de vie de la société vietnamienne, Albert Sarraut a autorisé l’édition d’une première revue féminine afin d’améliorer le niveau de vie des femmes. » 319 Le propriétaire du journal, un Français, Henri Blaquière a décidé d’en confier la rédaction à une poétesse de renom, Suong Nguyêt Anh (1864-1921), la fille du grand patriote Nguyên Dinh Chiêu (1822-1888). Porte-parole de la lutte des lettrés du Sud contre la conquête franco-espagnole en 1859-1861, Nguyên Dinh Chiêu avait quitté son village natal après la défaite vietnamienne et s’était réfugié dans un coin reculé de Vinh Long (correspondant à l’actuelle province Bên Tre) pour manifester son refus de collaborer avec les occupants. Son esprit anti-occidental était tellement poussé qu’il dédaignait les produits français comme le savon, traversait les champs pour ne pas fouler la route des Français et à plus forte raison refusait d’apprendre et de laisser ses enfants apprendre l’alphabet latin. Le fait que sa fille accepta l’offre était par conséquent significatif d’une évolution.

Le Son de cloche du genre féminin explicita dans le premier numéro sa ligne directrice par un éditorial signé de Suong Nguyet Anh. Le périodique souhaitait se concentrer dans la diffusion du quôc ngu sans aborder les questions politiques. Il se proposait d’élever la moralité, d’apprendre aux lectrices comment se comporter dans la vie quotidienne, d’accorder l’attention au commerce et à l’artisanat, de favoriser les contacts humains, etc 320 . La photocopie de la page de garde 321 de cet hebdomadaire de dix-huit pages (dont huit pages consacrées à la publicité) nous permet d’identifier en plus de l’éditorial un essai sur « La position et la force des femmes ». Les parties suivantes concernent l’apprentissage professionnel avec un article sur le métier des cosmétiques, le travail ménager avec trois articles intitulés « De la pâtisserie », « A savoir » et « Puériculture ». Dans la partie Divers, on trouve entre autre chose une rubrique « Conversation entre mère et enfants ». On voit que l’hebdomadaire s’est bien positionné comme un périodique destiné à un public ciblé, celui des femmes qui savaient lire, mais qu’il se donnait aussi comme mission de promouvoir la professionnalisation et de diffuser les nouvelles connaissances et savoir-faire dans des domaines traditionnellement “dédiés” aux femmes. Il ouvrait d’autres perspectives dans le plaisir littéraire : la partie Belles lettres comporte des rubriques comme « Le son de cloche du genre féminin » – probablement des écrits d’auteures – « Poèmes » et, plus original, « Contes de mille et un jours ».

Ce premier périodique féminin ne survit pas plus d’un an. Mais Huynh Van Tong rapporte – malheureusement sans citer ses sources – qu’ « à l’avis d’un certain nombre de lectrices, cette revue a apporté plus ou moins de nouveaux changements dans la vie intellectuelle et matérielle des Vietnamiennes, depuis toujours enfermées dans les principes rigides de Confucius et de Mencius. » 322 Le « Son de cloche du genre féminin » fut remplacé fin 1918 par Den nha Nam (Lampe de la maison vietnamienne) qui explicita ainsi la signification de son nom : « Cette lampe n’éclaire pas une portion particulière du peuple d’Annam, mais tout l’ensemble. Elle éclaire aussi bien les lettrés que les paysans, les Sudistes que les Nordistes… » 323 « Pas une portion mais l’ensemble », faut-il y entendre une rectification pour ramener la première revue féminine à une vision plus monolithique de la communauté lectrice ?

Huynh Van Tong signale dans son histoire de la presse vietnamienne 324 un périodique intitulé Son de cloche des genres masculin et féminin (Nam nu gioi chung), édité à Cho Lon 325 qui publiait des informations du pays et du monde « en plus des rubriques sur les hommes et les femmes ». Toujours selon cet auteur, les objectifs affichés par ce journal étaient d’enseigner le chinois aux lecteurs et de critiquer les Tonkinois, notamment les rédacteurs en chef tonkinois des périodiques saigonnais. Tong affirme que cette discrimination contribua à la baisse vertigineuse du tirage de 5000 en mars 1930 à 1000 et à disparition du journal fin 1930.

Il n’empêche qu’à partir de la fin des années 1920, les périodiques spécifiquement destinés aux femmes connurent un nouveau développement.

Notes
319.

Nu gioi chung (Son de cloche du genre féminin) n°1, 1/2/1918, micro-film conservé à la Bibliothèque générale de Hô Chi Minh Ville.

320.

Nu gioi chung, n° 1, 1/2/1918, op. cit.

321.

Nu gioi chung, n° 1, 1/2/1918, op. cit. Cette page est également reproduite in La presse vietnamienne…, op. cit., p. 138.

322.

La presse vietnamienne…, op. cit., p. 139-140.

323.

La presse vietnamienne…, op. cit., p. 140.

324.

La presse vietnamienne…, op. cit., p. 183-184.

325.

A l’époque coloniale, ville chinoise juxtaposée à la ville vietnamienne de Sai Gon.