Tân van veut dire littéralement “littérature nouvelle”. Une certaine familiarisation avec cet hebdomadaire nous donne cependant l’impression que le terme a été forgé pour désigner “journal” ou “périodique” en général, tant ce genre de “littérature” paraissait “nouvelle” pour l’époque. L’impression est confirmée quand on voit le terme utilisé par d’autres périodiques. Nous adoptons par conséquent la traduction de P. Brocheux 326 , avec une modification de nuance : Gazette des femmes.
Pour l’auteur de l’Histoire de la presse vietnamienne… les objectifs de Phu nu tân van sont
‘« d’aborder les problèmes relatifs au genre féminin (nu gioi), de montrer l’importance et le rôle du genre féminin dans la vie nationale et sociale. Le périodique ne se range dans aucun parti, aucune tendance, il ne connaît que la vérité, la volonté et la patrie. Il ne sera pas non plus étranger aux problèmes sociaux de la vie quotidienne et de la famille. » 327 ’La rédactrice en chef, madame Nguyên Duc Nhuân, née Cao Thi Khanh, déclare aussi, cite Huynh Van Tong, que son but est de « coordonner les goûts des gents masculine et féminine (nam phai, nu phai) ». 328
Mais lisons nous-mêmes l’éditorial du premier numéro de Phu nu tân van :
‘« Aujourd’hui, Phu nu tân van est né. Cela veut dire que le pays dispose d’un nouvel ouvrier pour l’embellir, la société dispose d’un nouveau bras pour prendre en charge les affaires sociales, dans le champ de bataille littéraire entre une nouvelle armée de femmes, mais aussi dans les chambres des foyers, nous les femmes disposons d’un organisme pour participer à la compétition de la vie !’ ‘La situation des femmes dans notre pays a décidément changé par rapport au temps où le foyer était la prison des femmes et où elles étaient exclues des responsabilités envers le pays. (…)’ ‘Il faut faire en sorte que les femmes jouissent d’une instruction poussée, que leur esprit se développe, qu’elles comprennent que leur mission est d’être une femme-général à l’intérieur du foyer pour qu’elles se rendent utiles à la société. Il s’agit là d’un problème éducatif extrêmement important, pous lequel il faut investir beaucoup d’efforts intellectuels et un grand cœur, sans compter les mois et les années, car ce problème est à la base de l’évolution de l’humanité. » 329 ’Sans tomber dans une opposition stérile entre les sexes, Phu nu tân van définit ainsi très clairement les objectifs de l’œuvre qu’elle entreprenait et de la lutte qu’elle entendait mener. Sa non-discrimination sexuelle lui permettait par contre « d’élargir les thèmes traités et son audience qui était autant masculine que féminine » 330 , remarque un autre spécialiste de l’histoire sociale vietnamienne dont la voix fait autorité.
Même dans sa période florissante entre 1930 et 1945, la presse féminine ne s’imposait jamais par sa quantité, loin de là ; nous en comptons 13 sur les 509 périodiques repertoriés par Huynh Van Tong 331 , soit à peine 2,5 %. Mais chaque ky avait sa revue féminine : très rapidement après Phu nu tân van, Gazette des femmes (2/5/1929 – 20/2/1934) à Sai Gon, Phu nu Thoi dam, Chronique des femmes, sous-titré Journal pour les femmes et les jeunes filles (8/12/1930 – 5/6/1934) vit le jour à Ha Nôi et Phu nu tân tiên, Femmes modernes (29/7/1932 – 15/7/1933, 4 numéros parurent encore entre février et avril 1934) à Huê. L’influence de ces revues dépassait largement le public féminin. Comme nous le verrons par la suite, leur statut de périodiques féminins et destinés à un public de femmes leur était en même temps pratique pour dissimuler leurs tendances politiques et leur permettait de servir de tribune à la lutte moderniste comme à la critique plus ou moins discrète du régime colonial. Il ne faudrait pas cependant se faire d’illusion sur la vigilance de la police secrète. En fouillant dans les archives de Ha Nôi, Philippe Papin a retrouvé une note confidentielle signalant que
‘« madame Kiêu Thi Lich, qui dut soumettre l’innocent journal Ban gai (Amies) en juin 1936 à la censure, se révéla être la belle-sœur de l’un des membres dirigeants du Parti communiste indochinois. » 332 ’Il n’empêche que la presse féminine se destinait d’abord et essentiellement au public féminin, aux questions féminines et féministes. Dans son premier numéro, datant du 8/12/1930, Phu nu thoi dam afficha son objectif :
‘« Dans tous les domaines, il faudrait élever le niveau de vie des femmes et les soutenir. Sur la balance sociale, si l’homme et la femme sont à égalité, cela donnera un équilibre fondamental à l’humanité. » 333 ’Nous verrons dans les chapitres suivants, notamment au chapitre VII comment la presse féminine servait de tribune, de moyen d’organisation et de lutte du féminisme vietnamien des années 1925-1945. Mais d’ores et déjà, pour jeter quelques repères chronologiques, il nous semble qu’avec un décalage d’environ un demi-siècle (le premier périodique en quôc ngu date de 1865 et le premier périodique féminin de 1918), la presse féminine aurait évolué en quatre phases suivantes : 1918-1929, 1929-1936, 1936-1939 et 1939-1945. La première phase fut marquée uniquement par la parution éphémère du Son de cloche… ; la deuxième par Phu nu tân van et ses homologues des autres ky ; la troisième par le mouvement dit du Congrès indochinois qui voyait l’effervescence de la presse militante légale et semi-légale ; la dernière où la lutte anti-colonialiste se retirait dans la clandestinité et où la presse légale dans les centres urbains s’asphyxiait dans un environnement social de plus en plus étouffant à la veille de la Révolution d’Août 1945.
Dans Indochine, la colonisation ambiguë, op. cit., p. 233, P. Brocheux traduit le titre de la revue par La Gazette féminine.
La presse vietnamienne…, op. cit., p. 254.
La presse vietnamienne…, op. cit., p. 254-255.
« Chuong trinh cua bôn bao (Le programme de notre revue) », éditorial de Phu nu tân van, n° 1, 2/5/1929.
P. BROCHEUX, Indochine, la colonisation ambiguë, op. cit., p. 233.
La presse vietnamienne…, op. cit., p. 433-515.
Archives nationales du Viêt Nam, fonds de la mairie de Ha Nôi, dossier 2665, note confidentielle de la Sûreté, 12/6/1936), citée par P. PAPIN, Histoire de Ha Nôi, Fayard, 2002, p. 281, 367.
Cité in La presse vietnamienne…, op. cit., p. 301.