Une fois sur le chemin, si je tombe sur des canards, je les pousse à me suivre ; si je tombe sur une opportunité d’alliance je me marie ; et si je tombe sur une pagode, je me fais bonze (Ra di gap vit cung lua, Gap duyên cung kêt, gap chua cung tu)
Chant populaire (ca dao) du Sud Viêt Nam
L’avènement de Nguyên Anh-Gia Long en 1802 instaura l’unité politique du Viêt Nam tout en laissant une autonomie importante du Nord (Bac thanh) et du Sud (Gia Dinh thanh) par rapport au pouvoir central. Son successeur Minh Mang (1820-1840) la renforça par des réformes administratives dans le sens de la centralisation et une réforme des mœurs non moins déterminée dans le sens d’une uniformisation. Les deux gouverneurs régionaux du Nord et du Sud furent supprimés par Minh Mang et Bac thanh devint Bac ky, Gia Dinh thanh devint Nam ky, alors que les deux ky limitrophes de la capitale s’appelaient ta (de gauche) et huu (de droite) truc ky 369 . L’origine des termes vietnamiens Bac ky, Nam ky, auxquels s’ajouta Trung ky 370 , usuels sous la colonisation témoigne d’une unité nationale solide qui se démarqua des termes français où les colonialistes avaient fait exprès d’utiliser des dénominations en apparence différentes (Tonkin, Annam et Cochinchine) pour désigner les trois “pays” vietnamiens de l’Indochine française. Aussi bien chez les Vietnamiens – encore plus clairement chez les gens instruits et/ou patriotes – que chez les administrateurs et/ou érudits français, on savait bien que les trois “pays” n’étaient en fait que les trois parties d’un même Viêt Nam (qu’on appelait aussi Annam). Néanmoins, le statut différent pour chaque “pays” sous la colonisation accroissait d’autant plus des divergences qui étaient antérieures aux contacts avec l’Occident.
Les autorités vietnamiennes et françaises successives depuis la dynastie Nguyên instaurée par Gia Long en 1802, jusqu’au pouvoir colonial, la République Démocratique du Viêt Nam née en 1945 et devenue République Socialiste après 1975, ont toujours eu à cœur de bien asseoir leur autorité politique et morale sur un Viêt Nam uni de la frontière chinoise aux confins méridionaux. Il ne leur a jamais plu de rappeler ces vérités historiques car ils craignaient – à notre avis à tort, car l’unité vietnamienne est bien réelle et profondément ancrée – que ce passé non identique risquerait de déstabiliser l’unité présente. Cette attitude ombrageuse est sans doute l’une des raisons qui expliquent la rareté des études vietnamiennes sur cet aspect de l’histoire de notre pays. L’intérêt des chercheurs étrangers est moins victime du tabou et, à quelques exceptions près, ce sont les auteurs non vietnamiens – ou d’origine vietnamienne mais vivant hors du pays – qui se sont plus volontiers penchés sur ce sujet. Mais ils s’attachent plus aux caractéristiques de la terre nouvelle défrichée et mise en valeur par les seigneurs Nguyên depuis le début du 17ème siècle (qui correspond au Centre Viêt Nam) et à celle annexée plus ou moins pacifiquement par les Vietnamiens en empiétant sur la partie côtière du Cambodge. Peu ont souligné l’hétérogénéité des parties de l’Indochine française et encore plus particulièrement des « trois pays » vietnamiens, ce qui a jeté un voile sur l’évolution à multiple vitesse des colonies et protectorats dits indochinois. En retraçant l’histoire des femmes, force nous est cependant de reconnaître le particularisme – antérieur à la colonisation – ainsi que la précocité et l’avance certaines de la modernisation en Cochinchine par rapport au reste du Viêt Nam pendant la colonisation.
Bac : Nord ; Nam : Sud ; ta truc ky : région immédiatement à gauche ; huu truc ky : région immédiatement à droite ; tout cela par rapport à la position centrale de Huê, la capitale impériale ; Trung : Centre.
Malgré le sens étymologique, les Vietnamiens répugnent à utiliser Bac ky, Trung ky, Nam ky car ces termes ont été entachés par la consonnance séparatiste sous la colonisation. Avant 1945, ils préféraient parler de Bac Viêt, Trung Viêt, Nam Viêt ou de Bac, Trung, Nam.