P. Brocheux note dans le chapitre intitulé La société coloniale de l’ouvrage collectif Indochine, la colonisation ambiguë : « La dominante patrilinéaire disparaît souvent dans la strate la plus basse de la paysannerie pour faire place à une certaine égalité entre les sexes. » 474 Nous pouvons élargir cette remarque au-delà de la communauté rurale. L’égalité était plus grande dans le bas peuple en ce qui concernait les relations intra-familiales en général et conjugales en particulier, c’était un fait établi. Ce qui fut nouveau, c’était que cela devenait intéressant et même enviable, car parmi les membres des familles aristocratiques, ceux qui étaient instruits à l’école occidentale ont adopté de nouvelles valeurs. Dans Feuille de jade… Nga et son oncle enviaient la position sociale de Chi ; l’humilité de son rang lui dispensait des contraintes dont eux-mêmes étaient victimes du fait de leur destinée d’or et de jade (vang ngoc) : « Il n’y a pas plus grand bonheur que d’avoir la liberté de suivre ses pensées ! », s’exclamèrent-ils.
Nam va (Faire la grève) 475 est une nouvelle de Bui Hiên qui, comme Ma dâu (Fantômes de la Variole) 476 illustre avec un grand réalisme les rapports de couple entre de jeunes paysans et paysannes d’un village côtier de Nghê An, province natale de l’écrivain. Dans les deux nouvelles, les personnages n’avaient pas de noms propres, ils étaient désignés par anh Do, chi Do, comme on appelait les jeunes couples de paysans sans titre ni profession particulière et n’ayant pas encore d’enfants. Après la naissance du premier bébé, ils devenaient anh chi Cu, s’ils avaient un fils, anh chi Di ou anh chi Hoe s’ils avaient une fille. Nam va est une manifestation protestataire qu’utilisaient – et qu’utilisent toujours – les faibles comme les enfants, les femmes, les misérables. Cela consiste à amplifier et à étaler ses malheurs ou les préjudices causés par autrui pour exiger des réparations ou tout simplement pour prendre les autres à témoin qu’on est victime d’une oppression et qu’on… proteste. Dans Nam va de Bui Hiên,
‘’ ‘la jeune paysanne, bousculée par son mari dans une dispute sans aucune gravité, décida de protester en restant couchée par terre et en refusant de participer aux repas de famille, refusant aussi de travailler, bien sûr ! Elle poussa l’audace jusqu’à mordre son mari et sa belle-mère quand ils voulaient la relever de force. Maligne et dépourvue de toute considération futile, une fois son mari sorti, elle s’empara des deux nattes sur le lit pour se rattraper des mauvaises nuits passées sur le sol dur et froid par un long sommeil de jour : « C’est la première fois qu’elle peut dormir de jour, d’un sommeil profond que rien ne dérange ; la première fois qu’elle goûte à ce luxe de la fainéantise réservé aux dames de la ville. » 477 Elle apprit de la petite souris à se nourrir des patates séchées mises en réserve dans le coin de chambre où elle s’était renfermée et put tenir le coup sept jours avant qu’un représentant du village fût invité à venir réconcilier le couple.’ ‘La paysanne des Fantômes de la Variole ne voulait pas coucher avec son mari parce qu’elle avait pris en aversion son physique repoussant. « Ses parents sont vraiment cruels. Elle était bien déterminée à ne pas épouser Câu ; il lui fut arrivé une fois de casser une baguette en face de ses parents en proférant un serment dur comme fer, mais ses parents par cupidité s’étaient quand même efforcés à user de leur despotisme pour lui imposer cette alliance mal assortie. » Un vieux paysan expérimenté inventa un stratagème pour la convaincre. La variole faisait partie des maladies infectieuses épidémiques qui étaient très dévastatrices à l’époque coloniale. Les paysans ignorants croyaient que c’étaient des fantômes qui semaient la mort. En falsifiant sa voix, le vieux joua aux fantômes de la variole pour faire peur à la jeune femme dans ses veillées où elle tissait seule. La paysanne effrayée se jeta ainsi dans le lit de son mari. Quand elle apprit la vérité, il leur fut déjà né un beau bébé.’Si ces deux paysannes, comme bien d’autres personnages féminins, ont pu impunément faire leurs quatre volontés, c’était qu’elles étaient tellement dam dang dans leur travail ménager et productif que personne dans la belle-famille ne songeait à s’en débarrasser. Elles vivaient sans doute avec cette spontanéité et cette liberté depuis longtemps, comme en témoigne la littérature populaire orale. Mais ce fut en les regardant d’un œil neuf que Bui Hiên, qui de 1936 à 1945 avait été successivement ou simultanément lycéen, enseignant de collège privé, fonctionnaire, journaliste et écrivain, les a décrit dans leur relation de couple. C’était une relation où les paysannes, toujours ignorantes, superstitieuses, victimes de l’oppression familiale et sociale mais encore davantage de la misère, ont été néanmoins perçues par les écrivains modernes comme des individus, mieux, des femmes. Cette jeune épouse qui se fâchait et réagissait quand son mari la bousculait, mais qui éclata de rire en le voyant revêtir pour accueillir les autorités communales le costume qu’il avait porté le jour de leur mariage ; cette autre qui refusait obstinément de partager le lit conjugal jusqu’au moment où elle éprouvât elle-même le besoin impérieux de la présence de son époux; elles se sentaient bien à égalité avec leur mari, sinon légèrement supérieures parce qu’il leur était libre de manifester leurs “caprices” de femme.
Avec ce regard renouvelé et les compétences d’observation et d’analyse acquises à l’école française, Trân Tiêu, inspiré par le dicton « Mari et enfants sont des dettes » 478 qu’il a placé en exergue de son roman, a retracé dans Chông con (Mari et enfants) 479 toute une vie de femme laborieuse et responsable. Dans ce roman, à plusieurs égards comparable aux ouvrages connus de Pearl Buck, on voit bien que c’était sur les épaules de la femme que reposait sa famille entière, depuis sa belle-mère jusqu’à son mari et ses enfants, même adultes, mariés, devenus eux-mêmes père et mère. En apparence, la vie de cette paysanne du Nord à qui l’auteur n’a pas cru nécessaire de donner un tên ressemblait beaucoup à celle de bien d’autres femmes anonymes des ca dao. Elle était dam dang toute sa vie, contrairement à son mari qui, bon laboureur dans sa jeunesse, mais aussi grand enfant, insouciant, frivole, s’adonnait à tous les vices et se laisserait mener par le bout du nez par le premier venu, s’il n’était embrigadé par sa mère et surtout par son épouse. Du principe confucéen « phu xuong phu tuy (le mari montre le chemin et la femme le suit) », les lettrés au village ont fabriqué des dictons de type : « Thuyên theo lai, gai theo chông (Telle la barque qui suit le gouvernail, la femme suit son mari) ». Mais plus anciens que celui-ci, et bien plus profondément ancrés dans la mentalité vietnamienne, ceux qu’on se plaît à répéter est : « Lênh ông không bang công ba (L’ordre de monsieur ne vaut pas le công 480 de madame », ou « nhât vo nhi troi (ma femme d’abord, le Ciel ensuite) ». La paysanne de Trân Tiêu, par conséquent n’étonne guère le lecteur vietnamien averti, quand elle prit seule la décision de participer à un pèlerinage pour sortir de l’état embarrassant où sa première grossesse tardait à survenir, de se servir des économies collectées depuis avant son mariage pour acheter un emploi au village à son mari dans l’espoir de le responsabiliser afin qu’il ne se perde pas aux jeux, d’investir à nouveau pour son fils afin de consolider sa personnalité vacillante, etc. Mais elle est devenue tout à fait nouvelle quand elle commença à se révolter contre le grand-oncle de son mari qui lui imposa, par intérêt, de donner sa fille aînée comme concubine à un riche parlementaire (ông nghi) ayant l’âge de son père. Elle n’eut pas gain de cause, ce en quoi le roman est resté réaliste. Mais elle passa la nuit blanche à se remémoriser son propre mariage où même si elle ne connaissait pas son époux, elle avait vécu de douces émotions et bénéficié des égards de l’entourage en ce jour si solennel et important d’une vie de femme. En comparant ce souvenir aux noces de sa fille où celle-ci en sanglots essayait vainement de résister « comme une jeune vache sachant où on veut l’amener », elle s’écrit, enragée : « Ô Ciel, ô Ciel ! Quelle honte et quelle douleur pour ma fille ! » Quand sa fille prit à son tour la décision de se libérer de l’enfer qu’elle vivait dans la riche famille du parlementaire en s’en enfuyant avec son amant, un serviteur de la maison, la réaction de madame ly – car c’était comme cela qu’on l’appella alors à cause du modeste titre de son mari – porta bien la marque de son époque transitoire. Voici comment Trân Tiêu a exprimé les tiraillements de sa génération :
‘’ ‘« Hélas ! Quoi de plus honteux et déshonorant pour la renommée d’une famille que le crime d’une fille qui s’enfuit de chez son mari pour suivre un homme. Elle en a désormais la bouche clouée, elle ne sera plus qu’une sourde-muette. Elle n’aura plus rien à être fière face aux gens. Plus elle y pense, plus elle est fâchée jusqu’au fond de ses entrailles, elle en est étranglée, sa colère l’empêche de respirer. Elle s’écrie, pointant son doigt dans le vide comme si elle était en train de crier et de montrer sa fille du doigt : « Salope ! Tu mériterais que le corbeau te pique ! Que l’éléphant t’écrase ! 481 Tu as tué ta mère, tu as tué toute ta famille… » Mais chaque fois qu’elle avait ainsi assouvi sa colère, tout de suite apparaissait dans son esprit une autre idée, qu’on pourrait dire commune à l’humanité : Him 482 était jeune, Him était belle, Him avait un amour ardent comme sa mère au temps de sa jeunesse, comme toute jeune fille à la puberté. Elle se rappela le commentaire très franc de sa voisine Vot : « Un mari aussi vieux, on ne perd rien à le laisser tomber. » Elle sourit en reconnaissant que dans son cœur elle éprouvait le même sentiment. (…) De toute façon, sa fierté, son honneur dans cette société friande d’honneur illusoire (hu danh) l’avaient portée à une colère folle qui la rendait cruelle et lui en faisait perdre toute la raison. C’était pour cela qu’en face des gens, elle continuait à injurier cette enfant qui lui était si chère. Surtout, à la vue de leurs sourires ironiques, elle entrait dans une colère plus folle et l’injuriait de plus belle. Mais, à tous les coups, après un moment de réflexion, elle prenait toujours pitié de Him et priait le Ciel pour que Him fût toute sa vie heureuse avec le serviteur beau garçon. Deux pensées contradictoires la poursuivaient sans cesse. D’une part elle était en colère de l’honneur outragé, d’autre part elle avait pitié de Him pour son destin infortuné. Finalement elle pensait qu’il ne restait qu’une seule solution, c’était de racheter son honneur en s’enrichissant. Elle était déterminée à devenir riche. Une fois riche, elle pratiquerait l’usure pour contrôler les commérages, elle ferait de ses enfants des notables du village. La mauvaise réputation de sa fille s’estomperait d’elle-même jusqu’à complète disparition. (…) Après quatre ans où elle s’était acharnée au commerce et s’était férocement serré la ceinture, elle se gagnait une réputation parmi les meilleures. La renommée de madame ly était célèbre dans tout le village et la mauvaise réputation de sa fille ensevelie sous son tas d’argent devenait imperceptible. » 483 ’Ainsi, non seulement cette femme laborieuse assurait les ressources économiques de sa belle-famille depuis le jour où elle y fut rentrée, c’était aussi elle qui maintes fois sauva son mari de la débauche, sa fille aînée du déshonneur, sa fille cadette et son gendre de la misère matérielle, c’était elle qui prenait presque toutes les grandes décisions et qui remplissait contre vents et marées son rôle de gardienne de l’honneur familial. Et elle accomplissait ces multiples devoirs avec une détermination féroce, un sens élevé de la dignité, mais une sensibilité combien plus humaine, des compétences et une ingéniosité combien mieux réussies par exemple que le père de Nga dans Feuille de jade… Son mari n’était qu’une ombre bien pâlotte à ses côtés. Et même s’il lui arrivait d’être jalouse, quand son mari courait après les chanteuses, la relation de couple comptait bien peu dans sa vie de vrai chef de famille.
Autour du personnage central de madame ly, Trân Tiêu a décrit d’autres caractères et destinées de femmes. C’est à l’époque coloniale que pour la première fois la littérature met en scène l’accouchement et les accidents tragiques qui y sont liés à cause de l’ignorance et de la superstition. Mân, le gendre de ba ly, malgré son certificat d’études primaires, n’était pas parvenu à convaincre sa femme non instruite à accoucher à l’hôpital de la ville où le couple s’était établi, car elle s’était laissée raconter qu’on y pratiquait des opérations effrayantes. Retournée dans la belle-famille, victime de la superstition et de la malveillance du frère aîné et de la belle-sœur de Mân, qui étaient convaincus que laisser une femme accoucher chez eux leur apporterait les malheurs les plus redoutables, la jeune mère ne put survivre. Plus énergiques, prenant l’initiative et menant la barque, comme madame ly, sa voisine Vot ou sa fille aînée Him, ou laissant volontiers les autres assumer les responsabilités comme la belle-mère, voire passive jusqu’à la sottise comme la cadette Sôi, les femmes de Trân Tiêu étaient loin d’être pleinement maîtresses de leur vie, mais, en tant que représentation de femmes, elles ont été prises en compte dans leur relation de couple – même décrite en creux, marquée par son absence ou son évanescence – comme cela n’a jamais pu être auparavant.
Il en est de même pour beaucoup d’autres femmes du peuple, non ou peu instruites, personnages d’autres romans et nouvelles en quôc ngu.
‘’ ‘Dans la nouvelle Voicil’obscurité 484 , Mun, la femme de Nhân, de trois ans son aînée, avait été sa protectrice et bienfaitrice depuis qu’ils étaient deux enfants vivant dans la misère. Après le mariage, c’était elle qui en vendant des gâteaux de sa confection subvenait aux besoins de leur famille de quatre enfants, car lui gagnait moins d’argent avec son travail aléatoire de coolie. La situation s’empira quand Nhân devint aveugle ; mais Mun redoubla d’efforts et d’endurance et restait le pilier de sa famille toujours heureuse. Ce ne fut que lorsque Mun périt dans un accident que toute sa famille tomba dans la déchéance la plus noire ; ses plus grands enfants allaient vendre des cacahuètes dans la rue et son mari avec les petits furent réduits à la mendicité ; la mort de sa femme avait ainsi jeté Nhân et ses enfants dans la plus complète obscurité.’« L’orphelin-e de père mange du riz avec du poisson, l’orphelin-e de mère lèche les feuilles (de bananier servant à envelopper les gâteaux de riz, qu’on jette après usage) dans la rue », disait le ca dao. Les écrivains modernes ont décrit la famille disloquée, les petites et grandes fortunes dilapidées, les enfants affamés, abandonnés « depuis le jour où maman est morte 485 ».
‘’ ‘Dans La lame de couteau 486 , la femme de Den était bien plus costaud que lui et aurait pu facilement gagner seule sa vie comme coolie à divers endroits de la ville de Hai Phong, la ville la plus industrialisée du Tonkin après Ha Nôi. « Regardez-la, même quand son mari est assis sur son corps, elle reste plus de la moitié plus grande et plus grosse que lui. Et regardez-la tous les jours au quai Sau Kho (Six Entrepôts), elle s’en va allègrement avec tout un quintal de riz sur son dos, elle se bat avec des hommes robustes, leur enfonce le coude dans le côté, leur donne des coups directs dans la rate et les attaque à l’endroit sensible avec son genou. Après sept, huit accouchements, elle est toujours capable de porter sur la tête de grosses caisses de patates ou jusqu’à quatre paniers de maïs au bout de la palanche. » Plus forte que Den, plus endurante et courageuse au travail et gagnant par conséquent mieux sa vie, elle était en plus prévoyante et sage, alors que Den était joueur, buveur, colérique, violent et la battait régulièrement.’ ‘« Elle s’était mariée à Den et lui est liée, sans cheo ni cuoi 487 . Il était coolie, elle était coolie. Il n’avait ni père ni mère, elle non plus n’avait aucun lien en haut, aucune racine en bas. Ils étaient en contact étroit tous les jours, se parlaient en intimité, partageaient joies et peines sous un ciel de charbon, de poussière et de gas oil. Un jour, ils se cherchaient dans la nuit noire. Ils devenaient mari et femme. Plusieurs fois, un enfant dans les bras, un autre tenu par la main, avec un petit panier de vêtements, elle était déterminée à le quitter, elle partait à Câm Pha, Vang Danh, Uông Bi 488 , louait un logement, achetait un lit. Mais cela ne durait jamais plus d’une dizaine de jours. Au petit matin, à la tombée du jour, le bruit des pas pressés des gens qui après une journée de dur labeur rentraient chez eux au plein milieu des disputes dues à la misère, ce bruit la faisait pleurer. Elle pleurait, secouée de petits sanglots. Et de nouveau on voyait la femme Den revenir vers lui, lui donner des enfants et se laisser battre par lui, se laisser administrer des coups à faillir en mourir. » 489 ’Les femmes des ca dao se plaignaient en chantonnant des berceuses, parfois poignantes. Mais les femmes des nouvelles en quôc ngu gémissaient, criaient, hurlaient, en invoquaient le Ciel, gesticulaient, se roulaient par terre, menaçaient de se tuer, faisaient ce qu’elles pouvaient… sans arriver à préserver, contre la passion du mari aux jeux ou à l’opium, voire aux chanteuses et prostituées, le maigre pécule qu’elles avaient sué sang et eau pour gagner, à calmer la violence de leurs fils, de leurs maris, de leurs hommes. Enragé de voir son fils saigner du nez par suite d’une bagarre avec les voisins, Den s’empara d’un couteau.
‘’ ‘« La femme Den courait après lui. Tout s’assombrissait, ciel et terre, devant elle. Deux semaines après, elle était debout devant un grand bureau. Sous ses yeux, au bord du bureau, se trouvait la lame d’un long couteau, mince, entachée de sang noirci à son bout pointu. Elle avait la tête basse, son esprit était brumeux. On lui posait des questions d’une voix impérieuse, mais elle semblait ne rien entendre. En dehors de la fenêtre, le vent soufflait très fort, le soleil était éclatant. En ce moment même, Den qui s’était réfugié à Ha Nôi était en train de se crisper sur les bras d’une charrette à bœufs, Bung (son fils) errait à l’extérieur d’une école privée, la petite Ty au visage décomposé, livide, pleurnichait sur les flancs décharnés de la grande Ty. » 490 ’L’observateur des scènes de vie des coolies et de la populace des banlieues de Hai Phong qu’était Nguyên Hông avait la double expérience d’un enfant né dans la douceur d’une situation matérielle aisée, ayant vécu ses premières années dans une famille petite-bourgeoise catholique de Nam Dinh, puis, après la déchéance de sa famille paternelle, l’a quittée pour suivre sa mère dans une vie laborieuse et misérable à Hai Phong. Enfant sensible, il a perçu très tôt l’irrégularité de la relation conjugale de ses parents qui dissimulaient sous une hypocrite harmonie une dissension profonde. Dans le roman autobiographique Les jours de mon enfance rédigé lors de ses vingt ans, Hông impressionne le lecteur par des remarques d’une perspicacité toute nouvelle sur une union discordante comme il en existait – et il en existe toujours – beaucoup. Son père avait trente ans à son mariage, le double de l’âge de son épouse.
‘’ ‘« Ils se sont mariés non pas parce qu’ils s’étaient aimés après une longue connaissance. Mais seulement à cause des deux familles, l’une étant riche mais tardait à avoir un héritier, l’autre redoutant le danger de garder dans la maison une belle jeune fille arrivant à la puberté et souhaitant pour cette jeune fille un soutien solide, espérant qu’elle gagnerait l’estime d’une grande famille si elle avait la chance d’avoir une nombreuse descendance. » 491 Hông raconte avoir perçu cette « amère contradiction » dès l’âge de sept, huit ans. Vers douze ans, témoin de la déchéance familiale, Hông était convaincu que cette déchéance était « irrémédiable, inévitable, conséquence naturelle des sentiments forcés, des efforts, de la soumission, de l’ennui et des sacrifices ». « Un père et une mère de caractères différents, qui ne se comprennent ni ne s’aiment, qui se méprisent presque, mais qui sont obligés de vivre l’un à côté de l’autre (…). Les nuits longues et froides (…) sont des nuits où l’un somnole dans la fumée de l’opium et l’autre se retourne silencieusement dans son lit. L’un est blasé, las de vivre. L’autre est muette, amère, et ressent que sa vie même entourée de l’affection des enfants reste glaciale, démunie, et tous les deux sont pénétrés du même sentiment qu’ils sont en train de dépérir petit à petit, dépérir de lassitude, d’ennui, d’aversion et de douleur… » 492 ’Hông a décrit sa mère comme une épouse soumise vis-à-vis du mari et de la belle-mère, une femme dam dang qui savait se débrouiller par le petit commerce pour subvenir aux besoins de la famille quand son mari malade et opiomane ne pouvait plus assumer cette responsabilité, et surtout pour ses enfants, une mère affectueuse, aimante, source de vie, de bonheur. Mais il a su aussi les exprimer et compatir avec les frustrations de femme dans sa vie sentimentale et la souffrance dans ses relations de couple. Il a témoigné par la même occasion de la conviction de la génération ayant vingt ans dans les années 1930 : la famille moderne devrait se fonder sur une relation conjugale issue de l’amour et du partage volontaire d’une vie commune de la part des individus libres de leur choix.
Sauf dans le Sud, cela est resté avant 1945 beaucoup plus une conviction intellectuelle qu’une réalité. Aussi bien Hoang Ngoc Phach, auteur de Tô Tâm que Nhât Linh, auteur de Rupture comme d’autres auteurs du courant réaliste se contentaient dans leur vie personnelle d’une alliance arrangée et d’une épouse traditionnelle qui ne partageait aucunement leurs pensées ni leurs rêves d’écrivain. Beaucoup de romans et de nouvelles des écrivains du Nord exprimaient cependant les tourmentes des époux instituteurs, professeurs de collège, écrivains, poètes, journalistes, intellectuels en un mot vis-à-vis de leurs épouses paysannes laborieuses, qui travaillaient dur et se privaient de tout. Les tourmentes, le sentiment de culpabilité qu’ils éprouvaient dans la relation conjugale par trop inégale leur ont inspiré les meilleurs de leurs écrits, comme Clair de lune 493 , Une vie de trop 494 , Une larme 495 , Une vie qui s’use 496 de Nam Cao, Jours nouveaux 497 de Thach Lam… L’idée – si ce n’était pas encore tout à fait un idéal – d’égalité était sans doute aussi sous-jacente dans des scènes de vie de familles paysannes où l’oppression du mari était criante, les sacrifices et privations des femmes et des enfants apparaissaient aux yeux des écrivains modernes comme une injustice inhumaine.
‘’ ‘Le mari dans Les enfants n’ont pas le droit de manger du chien 498 est désigné par han (il, lui) ; sa femme par la femme, thi (elle, désignant les femmes du peuple) ; les enfants par des noms propres qui ne sortaient guère du commun : Gai (Fille), Cu Lon (Grand Garçon), Cu Nho (Garçon Moyen), Cu Con (Petit Garçon). Le prétendu “chef de la famille” ne pensait qu’à boire, à bien manger et à “jouer aux notables” avec ses copains, alors que c’était la femme qui faisait vivre chichement la famille par son petit commerce. Cette femme se permit exceptionnellement d’acheter pour un sou et demi – sur son gain de six sous ce jour-là, des cannes à sucre en guise de friandise pour ses quatre enfants. En rentrant, elle tomba sur son mari qui, faute d’autres ressources avait abattu le chien de la maison pour se préparer un repas de fête avec ses amis. Elle enragea, bien sûr. « Quelle pitié ! Quelle grande pitié pour elle ! Elle avait vraiment un destin malheureux pour tomber ainsi sur un mari qui ne savait se soucier de rien et qui n’aimait que manger et boire. Un chien gros comme cela, si on le vendait en ce moment, on gagnerait trois dong, de quoi avoir du riz pour toute la famille pendant quinze jours. Et pourtant, il avait suffi que ses lèvres bougent un peu 499 pour qu’il tue le chien. Quel gaspillage, quelle ruine ! Manger comme lui, n’était-ce pas comme s’il était en train de dévorer ses enfants, ô Ciel ? Elle en fut étranglée d’indignation. Elle eut envie de crier très fort. Mais il y avait les amis de son mari. Elle ne put que se serrer les dents. Mais elle n’eut plus la force de le regarder. Elle courut bruyamment à la maison. Elle se jeta lourdement sur le lit en bois de sung. Elle en avait marre, elle se sentait imprégnée d’une profonde lassitude… » 500 Et pourtant, elle était bien obligée de lui obéir et d’aller acheter à crédit 501 du riz à faire cuire pour le mari et ses copains, alors qu’il ne restait plus rien à manger pour les enfants et elle-même, car on ne pouvait acheter à crédit plus de cinq sous de riz. Il fallait pour la gourmandise de son homme de l’alcool et de la sauce de poisson à acheter aussi à crédit. « Elle gémissait comme si on l’avait cambriolée. Mais puisqu’il avait voulu se perdre, tant pis pour lui. Elle le lui achèterait. Puis il vendra ce qu’il pourra pour rembourser. S’il en restait à manger, on mangerait ; s’il n’en restait pas, on s’en priverait. Si le père mangeait trop, ses enfants allaient mourir de faim. Ou ils iraient mendier… » 502 Le festin du père et de ses amis se prolongeait, alors que les enfants, torturés par la faim, attendaient les restes. Une étincelle d’espoir quand le père appella Fille pour débarrasser. Mais dans le plateau tous les bols étaient vides.’La mère dans ce récit ne pouvait rien d’autre que de pleurer avec ses enfants. Mais la nouveauté, c’est que des scènes (si familières à la vie paysanne) comme celle-ci ont retenu l’attention de l’écrivain, que l’écrivain s’est révolté et a appellé à la révolte par des commentaires de type : « La mère souffreteuse et les quatre enfants chétifs se regroupèrent dans un coin de cuisine. Dans cette famille, eux cinq ressemblaient au petit peuple qui vivait un destin de chenille et de fourmi sous le joug d’un despote. » 503 Nam Cao sera en 1943 membre de l’Association de l’Action culturelle pour le Salut national (Hôi Van hoa Cuu quôc) dirigée par le Parti communiste vietnamien. La période entre 1940 et 1943 où il vivait – très gêné “aux crochets de sa femme” – à la campagne lui a permis d’être témoin de la misère noire dans laquelle vivaient les paysans du Nord, là où en 1945 a eu lieu une famine tuant plus de deux millions de personnes. Son sens de l’observation et ses sentiments humanistes lui ont inspiré des nouvelles saisissantes où les femmes apparaissent comme doubles victimes de la misère et de l’oppression de genre, la deuxième étant ressentie même comme plus scandaleuse.
Dans le Sud où la misère était moins accusée, l’inégalité dans la relation de couple l’était aussi beaucoup moins. Dans les romans et nouvelles des auteurs sudistes, on voit indifféremment le mari ou la femme se conduire de manière blâmable, c’est-à-dire contraire à la conviction morale largement partagée par les auteurs et lecteurs de la littérature moderne. « Epouser une femme, c’est pour allier les sentiments humanistes et le sens du devoir (nhân nghia) des deux côtés, non pas par soucis d’intérêt », cette affirmation par un personnage de Hô Biêu Chanh semble représentatif du courant majoritaire. Les femmes peu instruites parlaient peu d’égalité, encore moins de liberté individuelle, que ce fût dans l’amour ou dans le rapport conjugal. Mais par leur exigence de relations fondées sur le principe du nhân nghia, elles attendaient en fait du prétendant une volonté de les choisir pour ce qu’elles étaient, dans un engagement à long terme et non pas pour des rapports sexuels passagers – d’or et de pierre, et non de lune et de fleur, comme disait Kim Trong à Thuy Kiêu. Bach Tuyêt et Bang Tâm dans Qui arrive à le faire ?, Thanh Kiêu dans Argent, Argent comme bien d’autres avaient passé par de multiples péripéties dans leur aventure amoureuse avant d’être assurées que leurs prétendants avaient pour elles cet amour respectueux de leur vertu, de leur personnalité propre. Le sens de la dignité féminine était souligné très fortement, mais le sentiment affectueux se manifestait de manière plutôt discrète et la séduction semblait d’un tout autre registre que celui de l’amour authentique ou de la relation conjugale légitime, ce en quoi les intellectuels sudistes se démarquaient par un relent confucianiste persistant, malgré leur tolérance, évidente et authentique, leurs efforts fructueux de concilier les traditions et la modernité.
Examinons par exemple ce passage savoureux où Hô Biêu Chanh décrit comment une femme adultère, une paysanne non instruite, a su calmer la colère et effacer les doutes de son mari.
‘’ ‘Suu était tellement naïf que tout le monde était au courant de l’adultère sauf lui. Mis en éveil par huong tuân 504 Tam, il commença à poser des questions à sa femme, qui n’hésita pas à l’insulter pour dissimuler sa faute, ce comportement étant exactement ce qui est bien connu et parfaitement qualifié par la locution proverbiale « gaidi gia môm (fille/femme séductrice et ayant la langue bien pendue) ». Voici comment la scène s’est terminée :’ ‘« Un long moment après, Thi Luu qui était dans la chambre éleva la voix pour appeler :’ ‘Père de Sung ! 505 ’ ‘Quoi ?’ ‘Viens un peu que je te dise 506 quelque chose.’ ‘Trân Van Suu se lèva et alla fermer la porte avec un loquet, mit la lampe (à pétrole) sur l’autel des ancêtres et l’éteignit, puis il s’avança vers la chambre, souriant avec bonheur, car il avait tout oublié de ce que huong tuân Tam lui avait dit dans l’après-midi. » 507 ’ ‘’Le passage a été très apprécié des commentateurs les plus autorisés tels que Vu Ngoc Phan 508 ou Bui Xuân Bao, qui l’a qualifié de morceau non seulement réussi mais osé pour l’époque 509 . Il nous montre que Hô Biêu Chanh, comme d’autres écrivains sudistes que nous aurons l’occasion de citer – car, selon nos investigations, ce passage « osé » n’est point exceptionnel – était parfaitement capable de percevoir et de rendre compte de la relation conjugale dans l’intimité la plus réaliste et réelle. C’était, à notre avis, par un souci moraliste à la confucéenne que Hô Biêu Chanh comme bon nombre d’écrivains sudistes évitaient de concevoir et de décrire la relation conjugale dans son aspect sentimental et sensuel, réservant cet aspect pour des rapports masculins-féminins plus passagers dans un but intéressé ou dans des cas particuliers comme celui de Suu qui avait une femme frivole et corrompue. C’est l’une des raisons qui amoindrit de beaucoup la qualité littéraire et l’attrait des nouvelles et romans du Sud car l’amour bien que presque toujours présent n’y apparaît que de façon superficielle, figé dans une raideur moraliste peu naturelle et, s’ils ne manquent point de détails notés avec finesse, ces détails restent trop fugitifs et lapidaires, sauf une exception, mais de taille, celle de Lê Hoang Muu, écrivain qui très tôt et brillamment, s’est spécialisé dans le roman érotique. Nous y reviendrons.
Indochine, la colonisation ambiguë, op. cit., p. 199.
BUI HIÊN, Nam va (Faire la grève), paru d’abord in Ngay nay (Aujoud’hui), 9/1940 in Nam va, recueil de nouvelles, 1ère éd. Doi nay, Ha Nôi, 1941, reproduit dans Tông tâp van hoc Viêt Nam (Recueil complet de la littérature vietnamienne, 2ème éd. Khoa hoc xa hôi, Ha Nôi et Van nghê Thanh phô Hô Chi Minh, 1985, T. 30A, p. 291-298.
BUI HIÊN, Ma dâu (Fantômes de la Variole), in Nam va, recueil de nouvelles, op. cit., reproduit dans Recueil complet de la littérature vietnamienne, op. cit., T. 30A, p. 305-311.
Nam va, op. cit., p. 292.
« Chông con la cai no nân ». Ce dicton a un réciproque : « Con la no, vo la oan gia (Les enfants sont une dette, la femme en est une plus catastrophique. »). Ce qui montre une vision équilibrée d’une relation conjugale égalitaire, dans la misère.
TRÂN TIÊU, Chông con (Mari et enfants), 1ère éd.1941, rééd. Van nghê Thanh phô Hô Chi Minh, 2001, 328 p.
Les femmes adultères étaient punies par la loi Gia Long promulguée en 1804 du châtiment le plus sévère, qui consistait à les faire écraser par un éléphant ou écarteler par un cheval, pour qu’elles connussent une mort violente et que leur corps ne restât pas intact. Elles n’avaient pas le droit d’être ensevelies et leur cadavre était exposé aux corbeaux.
Ce tên communément donné aux paysannes du Nord est à peine personnalisé, car il signifie l’organe génital féminin et comme Cu pour les garçons, ne se différencie pas de beaucoup des tên comme Gai (Fille) ou Be (Petit-e).
Mari et enfants, op. cit., p. 267-271.
NGUYÊN HÔNG, Dây bong tôi (Voici l’obscurité), nouvelle, parue pour la première fois dans l’hebdomadaire Moi (Nouveau), n° 10, 7/9/1939, reproduit dans Recueil complet… op. cit., T. 30B, p. 52-60.
Titre d’une nouvelle de Nam Cao, Tu ngay me chêt, parue pour la première fois dans l’hebdomadaire Tiêu thuyêt thu bay (Roman du samedi), n° 452, 13/5/1943, reproduit dans Recueil complet… op. cit., T. 30A, p. 122-129.
NGUYÊN HÔNG, Luoi dao (La lame de couteau), nouvelle, parue pour la première fois dans l’hebdomadaire Tiêu thuyêt thu bay (Roman du samedi), n° 439, 14/11/1942, reproduit dans Recueil complet… op. cit., T. 30B, p. 184-191.
Cuoi désigne les cadeaux ou l’argent exigés par la famille de la mariée à celle du prétendant ; cheo est l’argent qu’il faut remettre au village de la mariée pour que les noces soient régulières vis-à-vis des autorités communales.
Noms des différentes mines de charbon de la région.
Le couteau, op. cit., p. 185.
Le couteau, op. cit., p. 185.
Les jours de mon enfance, op. cit., p. 186.
Les jours de mon enfance, op. cit., p. 206.
NAM CAO, Trang sang, parue pour la 1ère fois dans Romans du samedi, n° 439, 14/11/1942, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 99-111.
NAM CAO, Doi thua, parue pour la 1ère fois dans Romans du samedi, n° 490, 4/12/1943, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 182-191.
NAM CAO, Nuoc mat, parue pour la 1ère fois dans Romans du samedi, n° 488, 20/11/1943, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 172-181.
NAM CAO, Sông mon, roman rédigé à Dai Hoang le 1/10/1944, 1ère éd. Van nghê, Ha Nôi, 1946, extrait reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 213-253.
THACH LAM, Ngay moi (Jours nouveaux), rédigé en 1937, 1ère éd. Doi nay, Ha Nôi, 1939, résumé et extraits in NGUYÊN THANH THI, Thach Lam nhung tac phâm tiêu biêu (Thach Lam et ses oeuvres les plus caractéristiques), Giao duc, Ha Nôi, 2003, 236 p., p. 107-162.
NAM CAO, Tre con không duoc an thit cho, parue pour la 1ère fois dans Romans du samedi, n° 444, 19/12/1942, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 112-121.
Locution proverbiale qui signifie « avoir envie de bonne chère ».
Tre con không duoc an thit cho, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 117.
Mua chiu en vietnamien. En fait, la pénurie était telle que les petits commerçants dans les villages et les quartiers pauvres des villes étaient – et sont toujours – amenés à vendre “à crédit ”, c’est-à-dire en n’étant pas payés comptant. Ils seront bien sûr remboursés avec des intérêts plus ou moins lourds. Les autorités coloniales ont essayé en vain de freiner l’usure et ses effets dramatiques.
Tre con không duoc an thit cho, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 118.
Tre con không duoc an thit cho, reproduit dans Recueil complet…, op. cit. T. 30A, p. 120.
Huong tuân est un notable chargé de l’ordre et de la sécurité du village.
Il était commun d’appeler son mari par “père de X”, X étant le nom du fils aîné. L’interpellation de Thi Luu est nuancée par un mot intraduisible : « a », qui termine la phrase et lui donne un ton mi-intime, mi-affectueux, tout en restant légèrement condescendant. L’ironie de Hô Biêu Chanh est manifeste car Thi Luu interpelle son mari en utilisant le tên du plus petit et non pas celui de l’aîné ; et il s’agit justement de l’enfant adultérin, Suu n’est pas son père. Il est vrai que la tolérance des mœurs dans le Sud permet d’utiliser indiféremment le tên de l’un des enfants.
En vietnamien « Vô biêu môt chut », où môt chut=un peu, vô=entrer et biêu veut dire littéralement parler, donner un ordre, mais dans vô biêu indique plutôt le ton de l’interpellation, gentiment condescendant.
HÔ BIÊU CHANH, Cha con nghia nang (Le lourd lien paternel), rédigé en 1929, Tông hop Tiên Giang, 1988, 144 p., p. 35.
VU NGOC PHAN, Nha van hiên dai (Les écrivains contemporains), Vinh Thinh, 1951, T.II, p. 187-188.
BUI XUÂN BAO, Le roman vietnamien contemporain, Sai Gon, Collection Humanités sociales, 1972, p. 119-120, cité par NGUYÊN KHUÊ, Chân dung Hô Biêu Chanh (Portrait de Hô Biêu Chanh), Thanh phô Hô Chi Minh, 288 p., p. 194.