Vertu et/ou hypocrisie

Nhât Linh a abordé le sujet dans un beau roman injustement méconnu, Lanh lung (Froide solitude).

‘’ ‘Nhung, la fille aînée d’un docteur confucéen (ông Nghe), avait épousé un bachelier, fils d’un mandarin quan an, mariage arrangé par les deux familles. Son mari décéda peu de temps après et l’intrigue commença moins de trois ans après son décès ; un décès « qui ne lui laissait par le moindre regret, la moindre affection, mais seulement l’arrière-goût âcre et amer d’une vie amoureuse non satisfaite. » 548 Nhung s’éprit de Nghia, le précepteur des enfants de la grande famille, et son amour fut partagé. Mais elle était enfermée dans le rôle de la veuve vertueuse qui avait les yeux rouges le jour de l’anniversaire de la mort de son mari défunt, qui renonçait au maquillage et aux robes de couleurs. Sa vertu présupposée ne faisait pas seulement son honneur, mais aussi celui de sa famille et de sa belle-famille. « Nhung avait l’impression d’être une fleur précieuse, que sa belle-mère montrait aux visiteurs pour être complimentée. Cela lui était cependant agréable qu’on lui exprime de l’estime et de l’admiration pour sa chasteté ; les louanges même rabâchés flattaient néanmoins son orgueil sur sa dignité. » 549 Le mariage de sa sœur Phuong avec un jeune homme d’origine modeste fut une déception honteuse pour sa mère. Mais Nhung profita du jour des noces pour se permettre une belle robe rose, et parmi les compagnes de la mariée s’imagina en cérémonie nuptiale avec son amant, présent parmi les compagnons du marié. Les rencontres en cachette se poursuivaient, même après le départ de Nghia, discrètement congédié par la belle-mère par mesure préventive. Pressée par Nghia de quitter sa belle-famille d’une façon ou d’une autre, Nhung se hasarda à dévoiler la vérité à sa mère pour lui demander l’autorisation de se remarier mais se heurta à un refus catégorique, qu’elle n’osait pas passer outre. Le roman se termine par la perspective d’avenir que Nhung entrevoyait pour elle-même, dans la beauté resplendissante d’une jeune femme de vingt-trois ans : « Elle verra le blanc saupoudrer sa chevelure, ses yeux se ternir, et pareil à ses joues vermeilles, l’amour de Nghia sera un jour affadi. (…) Chasteté et fidélité honorables. Avec des dents ébranlées et des cheveux blanchis, cette récompense mettra fin à sa vie, la vie d’une jeune veuve qui serait restée chaste pour pratiquer le culte de son époux et préserver intacte sa bonne renommée. » 550

L’héroïne de Nhât Linh, sans doute parmi les plus finement décrites dans sa psychologie et ses tiraillements, a fini par baisser les bras. Froide solitude n’en reste pas moins remarquable par les passages savoureux sur les tressaillements du cœur et du corps de la jeune veuve et surtout sur les contradictions dans l’âme non seulement de Nhung, mais aussi de sa sœur, sa mère, sa belle-mère, toutes des victimes plus ou moins conscientes mais consentantes des contraintes reconnues comme inhumaines mais qui ne s’en imposaient pas moins comme de respectables valeurs morales. Ce qui les amenait inévitablement, surtout Nhung et sa belle-mère à une hypocrisie permanente dont elles faisaient presque une seconde nature, par leurs comportements et les paroles échangées, polies de la part de Nhung, doucereuses de la part de madame an 551 .

Notes
548.

NHÂT LINH, Lanh lung (Froide solitude), 1ère éd. 1936, rééd. Van nghê Thanh phô Hô Chi Minh, 204 p., p. 8.

549.

Froide solitude, op. cit., p. 28.

550.

Froide solitude, op. cit., p. 204.

551.

Voir extraits traduits en Annexe.