Et les enfants déjà victimes d’une discrimination

En décrivant les familles pauvres, les auteurs n’ont pas manqué de remarquer les enfants, et l’injustice du sort des fillettes. Elles sont dépeintes comme dans ce petit tableau saisissant d’une nouvelle intitulée Famille pauvre 646 :

‘’ ‘« Gai portait Chân sur le dos 647 . L’enfant somnolait, la tête penchée d’un côté, la salive tombait de sa bouche comme son nez qui coulait. Cang marchait en titubant derrière sa sœur. Il jouait au mandarin. Muni d’un fouet fait d’une branche, il le claquait sur le bras de sa sœur et injuriait bruyamment. » 648 La fillette savait déjà pleurer quand ses parents se disputaient, alors que ses frères trop jeunes s’en faisaient un plaisir. A la première averse de la saison des pluies, comme les adultes elle se précipita pour aller chercher des rainettes – nourriture d’appoint des familles pauvres. Son père la retrouva raide morte d’une morsure de serpent.’

Dans Pour le devoir et pour le sentiment, Hô Biêu Chanh dépeint un personnage secondaire Châu, une petite fille de neuf ans, maltraitée par sa belle-mère et laissée sans soin jusqu’à la mort. Le portrait physique et psychologique de Châu comme celui de Qui, son frère et de Hôi, l’enfant donné au voleur par son père montre l’intérêt que l’auteur porte aux enfants et plus particulièrement aux fillettes. Comme son frère, Châu était souvent brutalisée par sa belle-mère ; mais étant une fille, elle devait porter dans les bras (bông em) sa demi-sœur tout le long de la journée, était battue chaque fois que la petite faisait des caprices, elle ne pouvait comme son frère s’échapper de la maison pour gagner de l’argent par de petits boulots ; sa dépendance était nettement plus marquée.

Dans L’injustice dont ma sœur a souffert 649 , Nguyên Van Hai raconte une méchanceté d’enfant.

‘’ ‘Le narrateur était un petit garçon pourri, gâté par la famille, surtout par sa mère. Il avala en cachette le reste d’un plat préféré dont il s’était déjà régalé au repas de midi. Ne voulant pas qu’on se moque de sa gourmandise, il joua la comédie et rejeta la faute sur le chien. Sa mère de ce fait battit non seulement le chien mais aussi sa sœur. Elle l’accusait de mauvaise fille qui n’était pas assez soigneuse pour mettre le plat hors de portée du chien. L’auteur note, sous les yeux observateurs de l’enfant, l’injustice de l’éducation réservée au sexe féminin : « Bien que ma famille dispose de serviteurs, ma sœur devait balayer la maison, faire la vaisselle, accomplir tous les devoirs d’une femme modèle. Ce n’était pas que ma mère ne l’aimait pas, mais elle voulait former en ma sœur l’âme d’une future épouse et d’une future mère. (…) Cinq ans de différence d’âge avait fait de nous deux destinées complètement distinctes. J’étais un enfant qui, bien nourri, bien habillé, vivait sous la protection pleine de douceur et de tendresse d’une bonne maman. Ma sœur était au contraire une servante dont le moindre geste était surveillé par les regards sévères de ma mère. (…) La rigueur de ma mère à l’égard de ma sœur frôlait l’absurdité. Une fois, elle lui dit : « Je ne veux pas de fleur dans ta chambre, n’importe quelle fleur, ni même de fleur des champs. » (…) Quand nous sortions, on ne savait pas que nous étions frère et sœur car j’étais habillé comme un petit prince et ma sœur était déguenillée comme une servante. La différence d’âge n’était qu’une raison. La deuxième raison, c’était qu’elle était une fille et moi un garçon, en plus le dernier-né. C’était la raison la plus certaine qui expliquait le décalage entre nous. Je ne comprends pas pourquoi la plupart des mères sont injustes et prennent toujours la défense du fils contre la fille. Mais à l’époque on considérait cette injustice comme étant très normale. Ma sœur le prenait aussi de cette façon, elle n’était point jalouse de moi et se souciait seulement de bien accomplir son devoir d’enfant et de grande sœur. » 650

Notes
646.

TÔ HOAI, Nha ngheo (Famille pauvre), 1ère éd. in Roman du samedi, n° 452, 13/5/1943, reproduit in Recueil complet…, op. cit., T. 30A, p. 442-447.

647.

Les tên des enfants sont : Gai (Fille), Chân et Cang, qui veulent dire jambe. Pour le terme porter en français, il existe une multitude d’équivalents en vietnamien qui décrivent concrètement la façon de porter. Quand il s’agit de porter un bébé, les plus communs sont : am/bê/bông (porter dans les bras), cong (porter sur le dos), etc. Comme les fillettes sont à peine plus grandes que les bébés qu’elles portent, elles n’ont pas la force de les porter dans les bras, sauf en mettant l’enfant à califourchon sur le côté (am nach) ; le plus souvent elles les portent sur le dos (cong).

648.

Famille pauvre, op. cit., p. 443

649.

NGUYÊN VAN HAI, Nôi oan khô cua chi tôi (L’injustice dont ma sœur a souffert), 1ère éd. in Roman du samedi, n° 340, 21/12/1940, reproduit in Recueil complet…, op. cit., p. 559-563.

650.

L’injustice dont ma sœur a souffert, op. cit., p. 559-560.