L’épouse dans Maître Lazaro Phiên mourut dans le silence. Elle s’était résignée ; mais son décès condamna son époux à un remords auquel il ne put survivre. Sa force résidait dans sa vertu. L’héroïne de Nguyên Trong Quan au 19ème siècle ne s’est pas encore différenciée de la femme Truong quatre siècles auparavant. Mais les représentations à partir des années 1920 ont été très différentes, tout en usant encore fréquemment de cette force de la vertu dont les femmes étaient bien conscientes.
La vertu féminine dans la conception confucéenne reposait souvent sur l’interdit et la privation. Dans la littérature moderne des années 1918-1945, elle exprimait plutôt une conscience de la dignité et les femmes témoignaient de leur sens de la vertu de manière autrement plus active et dynamique. La femme était respectable et respectée quand elle se respectait et préservait sa virginité pour n’offrir son sentiment amoureux (tinh), son corps (thân) 651 et son dévouement (nghia) qu’à l’élu de son cœur, que ce fût la famille qui le lui avait destiné ou elle-même qui avait pris l’initiative de l’aimer et de le lui faire savoir. Ainsi agissaient les paysannes comme les intellectuelles, de famille pauvre ou riche, comme Bach Tuyêt et Bang Tâm dans Qui arrive à le faire ?, Kiêu Tiên dans Lune d’automne 652 , Nga dans Feuille de jade…, etc. Elles pouvaient se tromper ou être trompées mais n’en restaient pas moins responsables de leurs choix et autonomes dans leur prise de décision, comme Phi Phung dans Les mouvances du cœur humain 653 , Cuc dans Deux amours 654 , Hao dans Sourire forcé, etc. Pour préserver sa virginité et son honneur, la femme restait autrefois à l’intérieur de la maison, celle de son père puis celle de son époux. Beaucoup de femmes dans les romans en quôc ngu quittèrent le foyer et aussi le pays natal pour s’établir ailleurs, parfois en pleine ville, là où l’on pensait qu’il existait un grand risque de corruption et d’immoralité pour les jeunes filles et femmes seules. Les femmes du Nord s’appuyaient sur la famille d’origine – comme Mai qui se formait une famille avec son frère, son fils et un vieux serviteur, madame Sinh qui retournait chez sa mère après avoir été délaissée par son mari. Les femmes du Sud partaient volontiers seules et se faisaient une carrière exceptionnelle comme Lê Thuy, mouvementée comme Kiêu Tiên ou s’arrangeaient pour vivre une vie honnête et autonome avec des métiers d’appoint. Aussi bien au Nord qu’au Sud, le caractère dam dang traditionnel leur permettait de s’adapter à des changements importants dans l’environnement (de la campagne à la ville, ou vice versa) ou de la position sociale (souvent par suite d’une déchéance matérielle de la famille, mais parfois une misérable paysanne se voyait transformée en fille adoptive de famille riche puis elle-même millionnaire et propriétaire terrienne comme Hao dans Sourire forcé). Les atouts traditionnels ne sauraient cependant avoir un bon effet qu’en s’adaptant à l’environnement en évolution, et la tension était grande.
Pour remettre en question les mœurs et valeurs telles que la famille, le mariage arrangé, la vertu et les qualités réputées féminines, les auteurs du Nord sont plus perspicaces et virulents. Qu’ils défendent la rupture et l’émancipation ou le compromis et la réconciliation, ils ne s’enthousiasment pas pour des femmes-victimes, mais plutôt des femmes en lutte. Le cas le plus contradictoirement remarquable est celui de Minh, l’institutrice 655 , présenté par Nguyên Công Hoan son auteur comme une contre-Rupture.
‘’ ‘Instruite et moderne comme Loan, l’héroïne de Rupture, Minh avait un amant avant de se voir imposer un mariage contre son gré, d’autant plus dramatique et révoltant que c’était un mariage dit « pour échapper au deuil (cuoi chay tang) », elle avait l’impression d’être kidnappée. Comme Loan, Minh devait faire face à une belle-famille aristocrate, un mari faible et dépendant, une belle-mère respectueuse des coutumes obsolètes au point d’en devenir absurde et cruelle, une belle-sœur jalouse et mal intentionnée. Elle commençait par se révolter. Institutrice, elle demanda d’être mutée loin de Ha Nôi pour vivre seule, mais dut se soumettre et accepter de démissionner pour devenir ménagère et dépendante. Battue par sa belle-mère, elle sut aller voir un médecin pour obtenir un certificat médical attestant de ses blessures, dans la ferme intention de porter plainte. Sachant qu’on profitait de sa dépendance économique pour la maltraiter et l’humilier, elle envisagea la revanche par la rupture et écrit à son mari : « En quittant cette famille, je sais que mon acte est téméraire. Demain, quand la nouvelle paraîtra dans les journaux, je suis sûre que mère rejettera tout le tort sur moi, qu’elle me traitera de femme sotte et corrompue. Mais je m’en moque. Je suis prête à sacrifier mon honneur, voire mon corps, pour faire comprendre à mère que nous les personnes modernes ne saurions aller dans la même voie que les anciens. » 656 ’ ‘Par un retournement qui a l’effet d’un coup de théâtre, on voit subitement Minh changer d’avis. Elle succomba, parce que l’auteur en a ainsi décidé, aux remontrances d’une parente qui était très clairement porte-parole de l’auteur Nguyên Công Hoan : ’ ‘« Oui, vous pensez que le nouveau est meilleur que l’ancien et vous ne supportez pas d’être opprimée par la famille traditionnelle. Mais votre mère défunte n’était pas moderne. Moi-même je ne le suis pas. Toute notre famille n’est pas moderne. Pourquoi l’avez-vous bien supportée ? Quand vous opposez le moderne à l’ancien, à mon avis vous êtes en train d’imiter les inventions des gens pour vous excuser, pour vous séparer des personnes qui ne pensent pas comme vous. Le moderne et l’ancien ne sont pas aussi distincts et éloignés que vous l’imaginez. (…) Il faut respecter ce qui est raisonnable. Il me semble que vous voulez vivre seule. Si c’est comme cela, qu’en restera-t-il de la famille ? Chacun va donc se désintéresser des autres ? Si, pour son propre bonheur individuel, votre mère, moi-même, vous-même, madame Tuân (la belle-mère de Minh), chacune ne vit que sa propre vie, on deviendra donc égoïste. Si cela se passe dans toutes les familles, qu’en sera-t-il de la société ? » 657 ’ ‘Cette analyse eut pour effet d’amener Minh à se poser la question, qui était bien l’une des tourmentes de son époque : « Est-ce qu’on doit suivre la pensée de l’Europe occidentale pour détruire la famille asiatique orientale ? » 658 ’ ‘Minh craignait la sévérité de l’épouse de son oncle (thim), qui essayait de lui ré-inculquer les valeurs traditionnelles. Elle était vaguement émue, à la fois écoeurée et admiratrice de la patience et de l’endurance (nhân nhuc) d’une autre tante qui devait lui servir d’exemple. Mais Nguyên Công Hoan a voulu que ce fût Minh qui prenne la décision, en tant que femme moderne et défenseur de la modernité. Si elle s’enfuyait, pensait Minh, sa belle-mère serait furieuse et aurait tellement peur des filles modernes qu’elle n’oserait plus jamais en épouser une pour son fils. L’idée de faire peur aux “anciens” lui plaisait un peu. Mais elle se ressaisit en se rappelant qu’on aurait peur parce qu’on détesterait le nouveau. En sa qualité de femme moderne, elle se devait pourtant de faire aimer et admirer le nouveau. On croirait entendre des ripostes bien envoyées à Nhât Linh : ’ ‘« Trop impatiente, j’ai failli dévaloriser le nouveau. Rompre avec la famille traditionnelle, c’est de l’égoïsme, c’est faire en sorte qu’on méprise, qu’on haïsse et qu’on soit écoeuré par le nouveau. Qu’on soit traditionnel ou moderne, il suffit d’être bon. » 659 ’ ‘Elle était cependant très peu convaincante, cette “lutte” de Minh qui renonça à son amour, aida à consolider le ménage chavirant de sa belle-sœur et se servit de l’argent gagné à la loterie (encore la loterie, nouvelle forme de gain par les jeux de hasard dont les Vietnamien-nes ont toujours été friand-es !) pour faire un don aux œuvres de charité au nom de sa belle-mère. Après s’être sortie victorieuse d’un piège tendu pour tester sa fidélité conjugale, elle reçut en revanche la confiance complète de sa belle-famille, notamment de sa belle-mère qui “ se modernisait ” à son exemple par des gestes superficiels : serrer la main en guise de salutation, se poudrer pour le maquillage, etc. Et Minh de croire avec complaisance : « Elle commence par se moderniser en apparence, elle finira par se moderniser du dedans. » 660 ’Des qualités en fait bien traditionnelles telles que la fidélité conjugale, la patience, l’endurance, le sacrifice, la générosité, le pardon pour les outrages subis, l’oubli de soi pour le bonheur des autres, le caractère dam dang, etc. – tout cela de la seule part de la bru-victime de l’oppression – furent à l’origine de la réconciliation bien artificielle ourdie par Nguyên Công Hoan. A force de compromis, l’ex-institutrice Minh n’avait plus rien d’une femme moderne et la liberté dont elle prétendait jouir paraissait bien illusoire.
La critique officielle d’obédience marxiste apprécie les nouvelles de Nguyên Công Hoan, mais beaucoup moins ses romans qui sont taxés de romantisme moraliste, et d’un moralisme confucianiste particulièrement « conservateur dans les romans abordant directement les questions féminines, familiales et matrimoniales. » Dans Minh, l’institutrice, « le sophisme facile et la description allant à l’encontre de la logique des caractères des personnages dissimule mal la pensée conservatrice de l’auteur. » 661 Nguyên Công Hoan est pourtant l’auteur de Feuille de jade… paru en 1934, à peine un an auparavant. Comment expliquer la contradiction ? En fait, pour Nguyên Công Hoan comme pour bien d’autres hommes-auteurs, le conflit de classe semblait violent et irréductible, mais dans la guerre entre le nouveau et le moderne, surtout concernant les questions de femmes, il préférait la conciliation. Minh, l’institutrice était d’ailleurs un roman à thèse où Nguyên Công Hoan s’opposait directement à Nhât Linh dans Rupture, c’était l’une des raisons de cette conclusion inattendue et aussi factice, si ce n’était plus, que celle de Nhât Linh qui, ironisa son adversaire, avait libéré son héroïne au moyen d’un canif. Au-delà des fictions, le débat reste intéressant et actuel sur l’attitude à prendre face au conflit entre le nouveau et l’ancien, entre l’Occident et l’Orient, comme on le formulait à l’époque, ou plus exactement entre l’individu et la communauté, familiale et sociale. Nguyên Công Hoan n’est pas si désespérément conservateur et obtus qu’on le dit quand il fait dire à ses personnages féminins :
‘’ ‘« Il est bien entendu que tout être vivant a des droits naturels. Mais puisqu’on est en contact avec d’autres personnes, il est préférable qu’on sacrifie un peu de ces droits aux autres. On n’y perd rien car on bénéficiera de droits et d’intérêts bien plus grands grâce au sacrifice des autres. » « Actuellement dans notre société, seules les personnes à partir de sa génération connaissent le nouveau. Tous les autres sont des anciens. Si elle est frustrée au contact des anciens, ceux-ci doivent être aussi malheureux de faire face au nouveau. Chacun doit donc en céder une petite partie. Pour être complètement moderne, il faudra sans doute attendre une dizaine d’années, quand elle sera maîtresse d’une famille. Notre famille vietnamienne ne peut pas encore prendre complètement comme modèle la famille européenne ou américaine. Notre société accorde une grande importance à la morale familiale. Ce n’est pas encore possible de penser à l’européenne ou à l’américaine tout en vivant au sein de la famille orientale asiatique actuelle. Si tout le monde rompt avec la famille traditionnelle, qu’en sera-t-il de la société ? » 662 ’Le problème n’était pas si mal posé. La solution proposée dans Minh, l’institutrice n’était pas convaincante parce qu’elle cadrait mal avec l’environnement idéologique et social du Nord qui avait trop peu d’égard pour les jeunes, les femmes, ceux et celles qui étaient en bas d’une hiérarchie par trop rigide. Dans l’environnement idéologique et social du Sud, où les efforts d’adaptation, d’évolution et de conciliation ne venaient pas d’un seul côté, les valeurs traditionnelles des femmes – tinh nghia, dam dang, etc. – leur servaient avec une plus grande efficacité, comme nous l’avons montré précédemment, dans une évolution mieux reconnue par l’opinion sociale majoritaire. Par contre, dans ces cas de conciliation, de réconciliation et de compromis, le problème risquait d’être brouillé et les solutions ambiguës. C’est pour cela que Hô Biêu Chanh, que nous avons vu souvent si novateur et toujours défenseur des opprimés, dont les femmes et les enfants, se croyait lui-même en train de préserver les valeurs confucéennes. Il est aussi qualifié comme confucianiste et conservateur par la critique littéraire qui en fait se contente d’en disserter sans l’avoir vraiment lu.
Il nous semble ainsi difficile de considérer comme tout simplement conservateur par rapport à Nhât Linh moderniste un Nguyên Công Hoan qui n’a pas hésité à laisser s’immoler son héroïne Nga, « feuille de jade » à l’autel de l’amour libre, de la justice et de la conscience humaine 663 , et qui, dans contre-Rupture, s’efforce de montrer Minh chercher à faire respecter et admirer le moderne par les anciens, à acquérir sa liberté individuelle et déterminée à « préserver le culte de l’individualisme, sans porter préjudice à autrui, agir selon son propre point de vue » 664 . Nous sommes au contraire frappée par l’insistance de tous les auteurs à imaginer, même parfois contre la logique et le bon sens, des femmes sujets et non pas victimes.
Hors du groupe Tu luc, les écrivains du Nord classés dans le courant réaliste pour leur part ont le mérite de sortir de l’obscurité les femmes humbles, qu’ils montrent belles, douces ou médiocres au physique, ou franchement laides, hideuses, parfois menant une double vie, ou effrontées dans la délinquance, voire la criminalité, mais toujours travailleuses, dam dang, aimantes, généreuses, véritables piliers de la famille, dernier recours des compagnons en détresse. Ces femmes avaient une force de caractère, une résistance morale et une énergie à surmonter les situations éprouvantes qui empêchent les lecteurs de les percevoir comme victimes passives. Même une prisonnière qu’on ne connaît que par son numéro Vingt-deux, une femme enceinte férocement violée alors qu’elle était sans aucune défense et en position de faiblesse absolue, Nguyên Hông réussit à nous la montrer avec une pureté de l’âme qui inspire du respect 665 . Cette nouvelle est « respectueusement dédiée à la pauvre femme qui en silence a ravalé sa frustration dans l’obscurité de la prison », écrit l’auteur, comme pour souligner la force de l’impulsion qui le poussait à permettre à la souffrance féminine de crier l’injustice.
Thach Lam est un cas particulier parmi les écrivains du groupe Tu luc. Le plus jeune des frères de la famille Nguyên Tuong, il a certes partagé les convictions des aînés et le point de vue résolument moderniste du groupe. Ses écrits par contre se démarquent par leurs thèmes autant que par le style et l’approche des questions sociales soulevées. A vrai dire, les nouvelles – genre le plus réussi de Thach Lam, avec les essais, des essais qui n’ont jamais rien de polémique, sur la littérature ou les friandises de Ha Nôi… – signées de cet auteur n’abordent jamais de front questions, ni problèmes. Thach Lam se contente de décrire, puis, très discrètement, presque subrepticement, glisse quelques commentaires, rapides mais pertinents, même percutants. Les femmes et les petites filles sont nombreuses dans les nouvelles de Thach Lam comme Le foyer de mère Lê (Nha me Lê), Une vie (Môt doi nguoi), Mourir deux fois (Hai lân chêt), Premières brises (Gio lanh dâu mua), De retour (Tro vê), … notamment L’épicière (Cô hang xen) et Les deux enfants (Hai dua tre) 666 , les plus appréciées de ses nouvelles. Elles étaient toutes des humbles, avec des qualités bien traditionnelles, apparemment sans la moindre révolte, la moindre contestation. Ce sont la fine observation de l’auteur et surtout la délicatesse de son cœur compatissant, la force de la volonté de changer l’existant, l’ardent souhait d’un mieux-être qui ont donné vie à ces personnes longtemps passées inaperçues : mère Lê, seule à élever ses onze enfants dans un hameau regroupant des familles émigrées ; Liên, une ouvrière con gai 667 souffre-douleur dans son foyer mais qui n’osait saisir l’opportunité de s’en échapper ; Dung, la cadette mal aimée dès l’enfance, qui après une tentative de suicide non réussie devait considérer le retour chez sa belle-mère comme « un deuxième naufrage où elle allait cette fois-ci effectivement mourir, sans plus pouvoir s’accrocher à quoi que ce fût, sans aucun espoir de secours » ; Tâm, l’épicière qui durant toute sa vie laborieuse n’avait jamais rien dépensé pour elle mais était toujours angoissée par le besoin car elle devait prendre en charge et sa belle-famille et la sienne propre, etc. C’est parfois l’auteur qui a fait ressortir les mérites de ses personnages féminins, ou l’injustice de leur situation ; mais plus d’une fois, il nous les a montrés s’accrocher eux-mêmes à un modeste recours pour sortir de l’ombre, ou prendre crûment conscience de leur destinée.
‘’ ‘Mordue par le chien d’une famille riche chez qui elle allait mendier du riz, mère Lê (Le foyer de mère Lê) avait une forte fièvre et délirait. Toute une vie de misère et de souffrance se déroulait dans son esprit tourmenté. Dans son délire, elle s’écria, éperdue : « Ciel, mais pourquoi j’ai souffert tant que cela ? »’ ‘Quand Liên (Une vie) regardait s’éloigner le train qui emportait Tâm son amant, elle « pensait tristement que la vie heureuse dont elle avait rêvé avec lui était comme les beaux objets qu’elle contemplait dans les vitrines, des objets précieux qui ne seraient jamais siens ».’ ‘Tous les soirs au passage du train, la petite Liên (Les deux enfants) réveillait son frère qui s’était endormi, non pas pour essayer de vendre aux voyageurs parce qu’il n’y avait aucun espoir, mais parce que c’était la dernière activité de la soirée et que ce train venant de Ha Nôi leur évoquait les lumières, les joies et l’animation de la ville lointaine alors qu’avec d’autres petites gens semblables aux lueurs du feu ou de la lampe à pétrole des marchands ambulants clignotant dans la nuit noire, ils vivaient perdus dans l’obscurité et dans la fadeur au bord d’une misérable route de district par où passait le chemin de fer.’Décrivant Les trente-six rues de Ha Nôi (Ha Nôi 36 phô phuong), Thach Lam n’oublie pas La vieille vendeuse de riz gluant (Ba cu ban xôi), ni La boutique de rafraîchissement de mademoiselle Dân (Hang nuoc cô Dân) dont il a superbement brossé le portrait physique et psychologique. 668
Nous empruntons à Nguyên Thanh Thi, un professeur de lettres et commentateur de nos jours ces remarques à notre avis les plus percutantes jamais émises sur les personnages féminins de Thach Lam :
‘’ ‘« Les situations (dans lesquelles il les décrit) entr’ouvrent tout un monde intérieur dissimulé qui n’est calme qu’en apparence. Elles mettent en valeur le caractère dramatique des personnages de Thach Lam à côté de la beauté des qualités d’endurance, de patience et de sacrifice qui sont traditionnelles aux femmes vietnamiennes. Elles rendent les personnages de Thach Lam à la fois très proches et très éloignés des traditions. Les humbles chez cet auteur ne sont pas que des symboles de la tradition mais aussi des personnes psychologiques et dramatiques. (…) Les lecteurs se rendent compte tout d’un coup que l’endurance, la patience et le sacrifice ne peuvent pas représenter seuls la signification de l’existence, ne sauraient toujours s’opposer au droit de vivre comme on devrait vivre, maintenant que la prise de conscience individuelle a plus d’une fois illuminé des personnages de Thach Lam tels que mère Lê, mademoiselle Liên, mademoiselle Tâm, mademoiselle Dung… » 669 ’Faut-il attendre soixante-dix ans après la parution des écrits de Thach Lam pour qu’il soit si bien compris ? Non, pensons-nous, même si Thach Lam était beaucoup moins lu et moins apprécié dans son temps que Nhât Linh ou Khai Hung.
C’est que les romans à thèse, s’ils perdent obligatoirement de leur auréole au fil des temps, ont à l’époque répondu plus explicitement et plus directement aux besoins du public contemporain. Pour ce public, il était évident que c’était sur de nouvelles forces puisées dans la pensée moderniste ou dans un environnement plus évolué que les femmes s’appuyaient pour s’affirmer.
Une femme disait traditionnellement à celui qu’elle aimait qu’elle lui remettait son corps et lui confiait sa destinée (trao thân goi phân).
BUU DINH, Manh trang thu (Lune d’automne), paru en feuilleton in Phu nu tân van à partir du n° 40, 20/2/1930, 1ère éd. Xua Nay, Sai Gon, 1931, reproduit in Prose du Nam bô …, op. cit., p. 356-615.
HÔ BIÊU CHANH, Nhân tinh âm lanh (Les mouvances du cœur humain), 1ère éd. ?, rééd. Tiên Giang, 1988, 288 p.
HÔ BIÊU CHANH, Hai khôi tinh (Deux amours), 1ère éd. ?, rééd. Tông hop Tiên Giang, 1988, 156 p.
NGUYÊN CÔNG HOAN, Cô giao Minh (Minh, l’institutrice), 1ère éd. 1935, reproduit in Romans de Nguyên Công Hoan, op. cit., p. 239-486.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 388-389.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 375-376.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 392.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 394.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 474.
PHAN CU DÊ et alii, Van hoc Viêt Nam 1900-1945 (Littérature vietnamienne 1900-1945), Giao duc, Hô Chi Minh Ville, 668 p., p. 377-378.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 376, 396.
Feuille de jade…, op. cit., p. 630-648.
Minh, l’institutrice, op. cit., p. 398.
NGUYÊN HÔNG, Linh hôn (L’âme), parue pour la 1ère fois in Roman du samedi, n° 125, 17/10/1936, reproduit in Recueil complet…, op. cit., T. 30B, p. 12-17.
Voir ces nouvelles reproduites in NGUYÊN THANH THI, Thach Lam nhung tac pham tiêu biêu (Thach Lam et ses oeuvres les plus caractéristiques), Giao duc, Ha Nôi, 2003, 236 p.
Con gai signifie fille. Dans les archives que nous avons consultées, les sociétés françaises et vietnamiennes répertoriaient leur personnel en plusieurs catégories, dont la toute dernière ou l’avant-dernière (avant les enfants), la moins bien payée était toujours con gai, avec l’orthographe francisée congaï.
Thach Lam et ses œuvres…, op. cit., p. 30, 42, 75-81, 195-198.
Thach Lam et ses œuvres…, op. cit., p. 17-18.