Pourquoi la fadeur ou la frivolité ?

On se rappelle celui de la poétesse Anh Tho dont le père lettré ne voulait pas qu’elle écrivît des poèmes de peur « qu’elle n’eût un destin infortuné semblable à celui de Thuy Kiêu ». 875 Il ne cessait de lui répéter : « Ecrire des poèmes te rendra romantique (lang man, dont le sens étymologique est déborder). Et le romantisme t’incitera à déshonorer la famille. » La rigueur de l’éducation familiale aussi bien que la vie à moitié cloîtrée d’une jeune fille rangée – même si elle n’ignorait point le dur labeur pour aider sa mère puis pour prendre en charge la nombreuse fratrie – ne lui permettaient pas d’aventure sentimentale individuelle. Quand elle entreprit de faire des poèmes pour participer à un concours littéraire organisé par le groupe Tu luc, Anh Tho déjà conquise par la poésie nouvelle et qui savait par cœur les poèmes des auteurs de renom de l’époque se demandait : « De quoi parlerai-je dans mes poèmes ? D’amour passionné comme Xuân Diêu ? Mais je n’ai jamais été aimée ni n’ai aimé. Ou imiter Chê Lan Viên dans sa nostalgie du Champa, mais je ne sais même pas où se trouve le Champa. (…) Alors quoi écrire ? Je fais de nouveau des poèmes sur les paysages de mon village. Depuis toujours je ne connais que mon village. » 876 Cette année 1939 Anh Tho gagna l’unique accessit de poésie, fut invitée à Ha Nôi pour recevoir son prix et toute sa famille partagea sa fierté, à la grande confusion de son père. Mais la critique lui reprochait de trop bien peindre les paysages « d’un point de vue objectif, dans tout son recueil jamais elle n’a parlé d’elle-même, pas une seule fois elle n’a dit je. (…) Elle s’est contentée d’observer du dehors, puis couche sur le papier au fur et à mesure, semble-t-il  sans aucune émotion ». 877 La poétesse protesta cependant contre l’interprétation selon laquelle elle était d’une telle sécheresse sentimentale vis-à-vis du paysage décrit. Elle l’expliqua par sa sensibilité qui ne faisait qu’une avec le paysage environnant – ce qui était tout à fait dans les traditions de la poésie classique. Et elle cita des vers qui selon elle exprimaient son état d’âme :

‘’ ‘« Les nuages absents, le ciel bleu est immensément triste’ ‘Le fleuve est d’un cours silencieux, le soleil qui s’y reflète reste stagnant dans une eau qui ne coule guère. »’ ‘« J’y ai reflété, dit-elle, toute mon existence avec une immense tristesse et un grand vide comme un ciel sans nuage et qui de ce fait semble aggrandi. Ma vie est comme un fleuve où le soleil reste stagnant, un fleuve qui ne coule pas vers des rives lointaines. Mais il est vrai que la subjectivité est trop implicite dans ces vers objectifs, mon talent est aussi encore limité. D’un autre côté, les lecteurs ne connaissent guère d’existence « stagnante » comme la mienne, c’est pour cela qu’ils ne voient pas, ni ne comprennent. » 878

La poétesse mit certes le doigt sur le point sensible, car les lecteurs hommes n’étaient pas tout à fait bien placés pour pénétrer la sensibilité féminine encore trop enfermée ou trop bien protégée contre l’intrusion masculine ou l’exposition au public.

Dans une conversation 879 avec le directeur de la maison d’édition Nguyên Du, Anh Tho commenta les poétesses contemporaines avec une finesse d’analyse particulière et montra la nouveauté dans leurs états d’âme comme dans l’expression, en comparaison avec les générations précédentes :

‘’ ‘« Exceptée Hô Xuân Huong, les écrivaines et poétesses d’autrefois avaient des pensées et des sentiments confinés dans des formules toutes faites, des thèmes convenus. Les poétesses d’aujourd’hui osent parler d’amour, exprimer leurs propres sentiments et dévoiler leurs états d’âme. Chacune a sa particularité propre. »’

Les vers de Vân Dai : « Maintenant que mon époux est au loin, A quoi bon venir jusqu’à ma chambre, ô printemps ? » apparaissaient aux yeux d’un critique-homme comme trop familiers de la part d’une « épouse modèle qui aimait beaucoup son mari » 880 . Anh Tho y perçut une réalité toute neuve de l’harmonie conjugale à l’opposé des souffrances dues aux relations de couples mal assortis « en grand nombre dans les ca dao ». Les auteurs des Poètes vietnamiens… trouvaient que « la poésie de Hang Phuong était d’un même ton doux et mielleux que celle de Vân Dai » et qu’elle peignait des paysages « petits, simples et jolis, comme devait l’être aussi l’âme de la poétesse » 881 . Dans ces vers de Hang Phuong – cités également par Hoai Thanh et Hoai Chân à l’appui des commentaires que nous venons de rappeler :

‘’ ‘« Dans un coin de muret un couple d’oiseaux’ ‘Bien au chaud dans son nid, sort ingénument la tête »,’

Anh Tho sut voir la modernité de la femme qui « dignement, effrontément et aussi spontanément, chantait son bonheur de couple. » La critique masculine reconnaissait chez Mông Tuyêt « la spontanéité saisissante et surprenante d’une jeune fille du Sud » 882 dans ses gestes amoureux : « Si dans ton ivresse tu recommences à m’aimer, je te repousserai 883 loin de moi ». Anh Tho repéra « la témérité et l’espièglerie des vers amoureux » mais fut encore davantage sensible aux grandes ambitions inassouvies et bien partagées entre les poétesses de l’époque. Dans un poème dédié à Anh Tho intitulée En attente du vent (Doi gio), Mông Tuyêt utilisait des métaphores dont la destinataire seule mesurait l’intensité et le réalisme : « la surface lisse et immobile du lac » qui évoquait la vie de la jeune fille rangée, « la fumée du crépuscule qui montait à la verticale sur les frontières lointaines » qui « suggérait une ambition élevée », « le parfum qui emportait l’âme de la fleur », « au lieu de monter très haut et de se propager très large ne servait qu’à imprégner l’herbe des rives » du lac, et notamment la voile d’une pure blancheur qui, « au lieu de se démarquer sur un ciel bleu, de s’envoler entre les monts et les eaux, restait ancrée au vieux quai avec une tristesse ballottante » et « ne pouvait que rêver de voyages lointains ». Les femmes – du moins Anh Tho et Mông Tuyêt, celle à qui était destiné le poème et celle qui l’avait écrit – se demandaient jusqu’à quand elles devaient encore attendre ce vent qui emporterait « plus haut, plus loin » « la vie des jeunes filles de bonne famille comme nous ». Le directeur des éditions Nguyên Du reconnut que sans « cette lecture de la part d’un cœur d’amie du même sexe », il se serait contenté d’une « lecture superficielle, générale » qui aurait laissé inaperçues ces caractéristiques de la poésie féminine.

La lecture masculine, ainsi victimes des préjugés et pour qui les confidences féminines trop voilées restaient inaudibles, était d’autre part limitée par l’accès aux œuvres des poétesses, qui n’étaient pas tous publiés ; et ce pour deux raisons essentielles. La première, les poétesses étaient issues dans la plupart des cas des familles de lettrés qui, même déchues matériellement, préservaient une éducation morale très stricte qui ne permettait pas aux filles d’écrire des poèmes, comme chez Anh Tho, pourtant petite-fille d’un poète classique connu ; celles-ci devaient par conséquent le faire en cachette et garder secrets leurs écrits. Dans le cadre plus libéral du Sud, Mông Tuyêt avait composé un recueil intitulé Phân huong rung (Pollen et parfum de bois) qu’elle avait écrit en quôc ngu émaillé de vers en caractères chinois et illustré de ses propres peintures. Mais c’était juste un plaisir personnel de femme de lettres. Les auteurs des Poètes vietnamiens… durent insister auprès de Dông Hô, son maître d’école 884 (et plus tard son époux) pour pouvoir prendre connaissance de son recueil. Un grand nombre étaient des poèmes échangés avec des ami-es et non destinés à la publication. Une deuxième raison se trouvait dans l’existence dans les années 1936-1945 de salons littéraires sur le modèle des salons français des 17ème et 18ème siècles. Une variante qui émanait souvent de ces salons – dont la création et l’activité nécessitaient le patronage difficilement trouvable d’une femme à la fois intellectuelle, un tant soit peu moderne et de famille nantie – était des groupes d’écrivain-es et plus particulièrement de poètes et de poétesses qui s’appelaient en vietnamien tao dan 885 , du nom d’une association créée au 15ème siècle par l’empereur Lê Thanh Tông et que nous traduirons désormais par « cercle poétique ». Les poétesses, dont l’œuvre pouvait avoir de la valeur, se contentaient souvent d’échangers leurs poèmes dans ces cercles, sans accéder à une plus grande notoriété. Leur condition de femmes leur interdisait ou du moins restreignait de beaucoup leur liberté – sauf dans des cas exceptionnels comme Anh Tho depuis sa consécration par le prix de Tu luc – à imiter leurs « collègues » masculins qui envoyaient régulièrement leurs poèmes aux périodiques, pour le plaisir littéraire mais aussi pour de triviales raisons financières.

Voici l’impression des auteurs des Poètes vietnamiens… après la lecture de Pollen et parfum de bois :

‘’ ‘« La poésie, tantôt légère et gaie, tantôt riche en idée et lyrique dans la formulation, exprimant tantôt la nostalgie tantôt l’exaltation est en somme la parole d’une jeune fille qui se confie, qui s’amuse ou qui répond à l’amour de son amant. Le lecteur se met soudain à trembler comme s’il lisait une lettre d’amour destinée à un autre, tellement il a l’impression d’avoir pénétré le lieu privé d’une âme, comme s’il tenait dans la main toute une histoire d’amour. » 886

La question qu’ils se posèrent mérite réflexion : « La jeune fille de ce recueil parvient-elle à nous faire oublier les jeunes filles imaginées par les poètes-hommes ? Elle, une vraie femme, est-elle plus femme que les femmes dans l’imagination masculine ? » 887 Et les fins critiques qu’ils étaient semblaient perplexes.

Anh Tho et ses amies poétesses du cercle poétique du fleuve Thuong (tao dan sông Thuong) discutèrent un jour de la valeur littéraire de la poésie féminine dans un débat qui nous est relaté dans ses mémoires 888 .

Elles étaient quatre jeunes filles dont une seule, Thanh Nga, de famille aisée et libérale, n’avait pas à se soucier de la vie matérielle. Lê Hoa tenait une boutique familiale où elle achetait du riz apporté des campagnes environnantes pour revendre en ville. Dès quatre heures du matin, elle s’affairait entre les paniers et les sacs de jute, ses cheveux étaient encore couverts de poussière de riz quand elle arrivait à la réunion du cercle. Mông Lan avait encore les dés aux doigts car elle cousait à la main douze heures par jour. Anh Tho portait d’élégantes babouches mais était éreintée d’avoir pilonné le riz toute la journée. Les noms de plume des poétesses exprimaient en partie leurs rêves ambitieux : Anh Tho signfie héroïne 889 , Lê Hoa, belle fleur, Thanh Nga, pur ivoire et Mông Lan, orchidée de rêve. Elles mettaient leurs plus belles toilettes pour se rendre au bord du fleuve Thuong à leur rendez-vous littéraire du samedi après-midi vers quatre heures. Durant ce bref répit hebdomadaire d’environ deux heures toléré par la famille, elles se chantaient les louanges de l’une et de l’autre par des poèmes d’un humour délicat ou d’une mélancolie romantique ; c’était leur façon de s’émanciper du train-train quotidien. Elles s’acharnaient aussi à discuter, à apprendre en autodidactes pour améliorer la qualité de leurs travaux d’écriture. Elles lisaient et commentaient les pages poétiques des périodiques dont, une fois, l’article de Thê Lu en réponse aux manuscrits envoyés à Ngay nay (Notre temps) par les poétesses, dont la plupart était des apprenties. Nous ne connaissons pas la date de la réunion, mais Thanh Nga, “chef ” du groupe, mentionna la date de la revue et s’excusant d’avoir mis longtemps à étudier l’article avant d’en faire le compte-rendu. Il s’agit du numéro 115 de Ngay nay, datant du 19 juin 1938.

Thanh Nga résuma l’article de Thê Lu qui avec humour et courtoisie avait pointé trois faiblesses de la poésie féminine : de graves maladresses, voire des fautes stylistiques ; une douceur rêveuse, mièvre mais superficielle, sans rien qui puisse accrocher le lecteur et lui inspirer de l’admiration ; une tentative d’émergence mais une expression verbale trop banale, pas à la hauteur. Thê Lu se montrait exigeant mais plein de sollicitude :

‘’ ‘« Dans les manuscrits qu’on m’envoie, chaque fois que je vois une signature féminine, je sais par avance que je lirai des vers d’une jolie platitude, si ce n’est d’une faiblesse ou d’une imprécision jusqu’à la confusion. Je sens combien il est indispensable de presser nos amies poétesses à élever laborieusement et avec exaltation leur inspiration et leur sensibilité poétiques jusqu’au niveau d’une passion ; et quand vous vous lamentez, je voudrais éprouver de la douleur sincère. » 890

Tout en reconnaissant la pertinence des critiques concernant les poèmes cités dans l’article, nos poétesses du cercle du fleuve Thuong furent assez confiantes en elles-mêmes pour réfuter la généralisation abusive. La poésie provenant des apprentis-poètes n’était pas de meilleure qualité, affirma Thanh Nga, sauf quand il s’agit de talents confirmés. A l’appui de leur argumentation en faveur de la poésie féminine, chacune lit ses créations les plus récentes.

Thanh Nga découvrit à ses amies un poème qu’elle n’aurait pas voulu faire lire « non seulement aux hommes mais aussi aux femmes encore entichées d’esprit féodal car ils ne comprendraient pas notre sincérité et émettraient des commentaires mal intentionnés nuisible à la réputation des poétesses » ; l’esprit féodal étant la paraphrase pour un traditionalisme jugé obsolète. Le poème s’intitule « Nhung dêm không ngu (Les nuits blanches) » (voir encadré, page suivante). Anh Tho se confia : « J’admire ses idées téméraires. Je me rappelle avoir connu de ces nuits blanches, mais je n’oserais jamais écrire comme elle. » Quand elle fit part à l’auteure de son admiration, Thanh Nga répliqua aussitôt : « Tu admires, mais est-ce que tu en feras autant ? »

‘Les nuits blanches où je ne dors pas mais n’en rêve pas moins…’ ‘Tard dans la soirée, la fenêtre étourdiment mi-close’ ‘Une lune juvénile s’amuse dans mes cheveux’ ‘Un vent léger me caresse… libertine berceuse.’ ‘Mon corps d’ivoire se met à chanceler’ ‘Toute mon âme dans sa pureté soudain devient chavirante’ ‘Une silhouette qui traversa rapidement l’étage en-dessous’ ‘Un certain après-midi, tout d’un coup réapparaît…’ ‘Les nuits blanches, nuits futiles…’ ‘Des rêveries vaguement mélancoliques… des rêves équivoques’ ‘Qui m’enlèvent ma pure fierté, semblable’ ‘A la limpide aurore de mon inspiration poétique (habituelle). 891

Lê Hoa savait que sa poésie était douce, sinon doucereuse comme aurait dit Thê Lu. Mais quelle douceur ? Son poème intitulé Mo mông (Rêveries) était composé de couples six-huit, comme les ca dao. Le gui (en fait, tâm gui, une autre sorte de plante parasite familière à la campagne vietnamienne) y rêvait de se tenir seul ; l’humble herbe de devenir arbre de la jungle ; la mare stagnante rêvait des vagues de l’océan ; la petite colline de devenir des chaînes de montagnes qui se succéderaient sans fin ; le bambou des villages rêvait de grands arbres des futaies ; la modeste fleur trang rêvait de l’éclosion expansive du lotus, le ver à soie rêvait de se transformer en papillon à l’envol et l’œuf rêvait de s’ouvrir et de libérer des ailes d’aigle !

Anh Tho présenta un long poème encore émaillé de clichés mais où la figure connue de la fée s’était transformée radicalement. La belle fée, musicienne, amoureuse idéale dans les rêves humains, n’apparaîtrait qu’à la tombée de la nuit, dans la solitude des forêts et des montagnes, aux bûcherons et aux gardiens de buffles épuisés, abandonnés, misérables. Au lieu d’être l’actrice magnifiée des histoires d’amour comme on l’imaginait souvent – souvenons-nous de l’Association des fées de Han Mac Tu ! – elle n’aurait été, dans la sensibilité poétique d’Anh Tho, qu’une bienfaitrice ouvrant largement son cœur à tous les infortunés du monde. Après 1945, quand elle participa à la résistance contre les Français et rejoignit le maquis, Anh Tho fut fière d’être plutôt « une fille du Parti pour apporter au peuple l’immense sollicitude du Parti » qu’une fée rêveuse et condescendante. Elle resta cependant nostalgique du passé et se souvint avec une tendre indulgence de ce rêve d’être utile auprès du petit peuple. A l’écoute de son poème intitulé Nang tiên (La fée), la présidente du cercle lui rappela néanmoins que le cœur du poète – thi si en vietnamien n’est pas sexué – devait garder l’équilibre entre l’amour pour un individu et l’affection, la sollicitude à l’égard de l’humanité entière.

Thanh Nga défia enfin toute la rédaction de la revue Ngay nay de deviner le sexe de l’auteur d’un poème « politique », intitulé Vua linh luong (L’empereur qui touche sa solde) où elle se moquait de l’empereur Khai Dinh. Elle y usa habilement du terme tung hê (jeter en l’air) très voisin de tung hô (acclamer) contre un empereur dépourvu de pouvoir véritable et juxtaposé « serpent » à « dragon » pour désacraliser le trône impérial. Anh Tho admira la pertinence des mots choisis, la force de caractère comme les connaissances de son amie sur les actualités politiques, souvent étrangères aux femmes comme elles éloignées des métropoles.

L’exemple unique dont nous disposons de cette réunion du groupe de poétesses du fleuve Thuong laisse supposer l’existence d’autres poèmes de femmes non portés à la connaissance du public. Il contribue aussi à dévoiler les raisons qu’on est en droit de supposer à la fadeur et à la frivolité apparentes de la poésie féminine : le niveau d’instruction peu élevé qui fragilisait les écrits, la maîtrise insuffisante des règles de l’art, le manque d’une richesse linguistique et d’un large savoir qui n’étaient pas à la portée de la majorité des femmes, sans compter le temps de loisir nécessaire à la création littéraire. Il restait remarquable que des jeunes filles d’une petite ville provinciale, dont la situation familiale ne favorisait guère la vocation poétique, aient pu, à travers la poésie, déployer ainsi leurs talents et s’affirmer le droit de rêver d’un ailleurs plus ambitieux.

Anh Tho, pourtant avant 1945 la seule poétesse ayant son recueil Buc tranh quê (Tableaux rustiques) édité par la pretigieuse maison Doi nay (Epoque contemporaine) du groupe Tu luc, se désespérait de ne pouvoir se dépasser dans des écrits ultérieurs auxquels elle s’essayait. Elle entrevoyait vaguement les raisons de cette impuissance : un bagage linguistique déficient et un manque encore plus cruel d’expériences des réalités de la vie 892 . Ajoutons à cela des contraintes familiales et sociales qui empêchaient les femmes de poursuivre une carrière dans le monde des lettres ; et surtout une puissante auto-censure qui leur interdisait les domaines tabous et qui les incitait à limiter l’accès à leurs œuvres aux ami-es appartenant à des cercles étroits. Une auto-censure qui ne parvenait pourtant pas à étouffer des « rêveries » romantiques ou ambitieuses, des pensées réfléchies, responsables et cette lancinante aspiration à un vent libérateur, l’opportunité que les poétesses appelaient de tous leurs vœux d’accéder à une existence moins contraignante et plus riche en expérimentations exaltantes. Car, comment exprimer autre chose quand on vivait soi-même dans la médiocrité, la fadeur et la platitude ? Ce vent du large, comme leurs homologues masculins, les femmes de lettres le trouvèrent dans l’action militante, dans la révolution d’août 1945.

Notes
875.

Voir supra, chapitre II.

876.

ANH THO, D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 45.

877.

Commentaires de Nhât Linh, représentant le jury, dans Ngay nay, n° 200, 25/5/1941, cité par Anh Tho, D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 52.

878.

D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 52.

879.

D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 238-241.

880.

LÊ HUY CÂN, « Critique du recueil Huong xuân (Parfum de printemps) », dans Thanh nghi (Dissertation d’intellectuels), n° 37, octobre 1942.

881.

Les poètes vietnamiens…, op. cit., p. 333-334.

882.

Lê Huy Cân, article précité.

883.

Le terme utilisé dans « em se ây  anh ra » est du langage parlé sudiste et indique le geste de repousser l’autre loin de soi, doucement mais fermement.

884.

Par amour du quôc ngu, Dông Hô créa de sa propre initiative une école privée nommée Tri Duc hoc xa (Ecole pour l’intellect et la vertu) qui accueillait les élèves ayant acquis les notions scolaires de base (le plus souvent les trois premières années de l’école primaire, comme ce fut le cas de Lâm Thai Uc, devenue plus tard la poétesse Mông Tuyêt) et les exerçait à la création littéraire en quôc ngu.

885.

Le nom complet de l’association était Tao dan nhi thâp bat tu (Les vingt-huit étoiles regroupées sur l’arène littéraire), car elle se composait de vingt-huit membres. En vietnamien, il est devenu le nom commun tao dan pour « cercle poétique ».

886.

Les poètes vietnamiens…, op. cit., p. 327.

887.

Les poètes vietnamiens…, op. cit., p. 327-328.

888.

Voir D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 56-69. Tous les poèmes et commentaires cités dans les paragraphes suivants sont extraits de ces pages de D’un quai du fleuve Thuong.

889.

C’est le sens commun de anh tho, qui signifie étymologiquement reine des fleurs (anh) et reine des animaux (thu/tho). La poétesse semble jouer sur le terme tho, dont l’homonyme veut dire poésie. Dans un autre passage de ses mémoires, elle explique qu’en choisissant ce nom de plume, elle souhaite que sa poésie soit toujours belle, de la plus belle essence des fleurs. Voir D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 112.

890.

Cité par Anh Tho, D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 61.

891.

« Nhung dêm không ngu (Les nuits blanches) », poème inédit de Thanh Nga.

892.

Voir D’un quai du fleuve Thuong, op. cit., p. 86-87.