Nguyên Thi Thâp (1908-1996), présidente du comité central de l’Union des Femmes vietnamiennes de 1956 à 1974, membre du Comité central du Parti communiste vietnamien de 1955 à 1980, a publié en 1986 ses mémoires 956 . Sa vie militante – et plus particulièrement la période avant 1954 – a été l’une des premières biographies assez concrètes et détaillées à être publiée, sous réserve qu’il a fallu attendre la victoire totale de la guerre contre les Américains pour que les détails rendus publics sur des révolutionnaires et sympathisants restés dans le Sud après 1954 ne mettent pas leur vie en danger. Il y a en effet des raisons qui ont facilité la rédaction et l’édition de la biographie de cette femme du peuple de la première génération communiste promue aux rangs les plus élevés du système de pouvoir. L’héroïne était encore en vie, alors que beaucoup de militantes de sa génération n’ont pas survécu à l’âge ni surtout aux deux résistances de 1945-1954 et de 1954-1975. Présidente de l’Union des femmes vietnamiennes, elle avait à cœur de consigner pour l’histoire la contribution féminine à l’œuvre révolutionnaire. Personnalité féminine parmi les plus haut placées, elle a une histoire qui suscite de l’intérêt ; d’origine paysanne et ayant toujours été “dans la ligne du Parti”, elle pouvait raconter son histoire sans poser de problème délicat comme d’autres parcours plus mouvementés de révolutionnaires.
De son vrai nom Nguyên Thi Ngoc Tôt, Nguyên Thi Thâp 957 fut originaire d’une famille paysanne au village de Long Hung, province de My Tho. Son père et ses grands frères participaient aux sociétés secrètes anti-françaises 958 , mais elle était laissée de côté, occupée à prendre en charge ses plus jeunes frères et sœurs car sa mère était décédée en 1920 à la suite d’une hémorragie d’origine gynécologique. La jeune paysanne était passionnée de lecture et consacrait ses petites économies à l’achat de livres, d’abord des romans en quôc ngu. A travers les propos échangés entre son père et ses frères, elle comprenait petit à petit les problèmes politiques qui les préoccupaient. En lisant les écrits des lettrés modernistes comme Phan Bôi Châu, Phan Châu Trinh, elle se sentait, se rappelle-t-elle « fortement attirée, par la demande d’égalité des sexes. »
‘’ ‘« Je voulais dépasser les us et coutumes obsolètes de la société féodale et colonisée. J’étais en train de grandir, j’étais comme un oiseau voulant s’échapper d’une cage étroite pour se lancer dans la liberté. Je voulais partir, agir, faire quelque chose pour sauver la patrie, comme le disait souvent mon père. » 959 ’En 1925, à dix-sept ans, elle fut cependant forcée à contracter un mariage arrangé depuis sa petite enfance. Elle pleura et protesta : « Je le déteste jusqu’au bout des ongles. Comment voulez-vous, père, que je reste sa femme à vie ? » Mais son père ne céda point et cita les principes traditionnels préconisant aux enfants de ne pas désobéir à leurs parents, aux filles de se soumettre à leurs pères. Après une tentative échouée de suicide, Ngoc Tôt se maria et eut un fils, que la grande famille nomma Thuân, Accord. Cela ne l’empêcha pas de prendre comme prétexte l’excès à l’alcool dont son mari était coupable – comme la majorité des paysans de l’époque et encore de nos jours – pour retourner chez son père, acceptant de perdre l’enfant gardé par la belle-famille. Après le passage du jeune ouvrier Hai (Deuxième) Tôn, alias Tôn Duc Thang vers fin 1926, début 1927, la première cellule Thanh niên (Jeunesse, organisation communisante préexistante au Parti) 960 du Sud se constitua dans le village Vinh Kim limitrophe, comptant deux jeunes filles parmi ses membres. L’organisation ne tarda pas à se propager dans les villages voisins. Les trois frères de Ngoc Tôt, Septième, Huitième et Neuvième furent parmi les premiers membres du Thanh niên au village, mais opposèrent leur refus à son insistance pour participer à leur activité militante. Elle alla trouver elle-même celui qu’elle devinait être le plus grand responsable, Thai Van Dâu, un cousin éloigné, pour solliciter d’être admise à l’association des paysans. Dâu reconnut que cette association était “rouge” et l’initia au militantisme. La jeune paysanne ne tarda pas à se faire remarquer. Au cours d’une réunion clandestine où Thai Van Dâu parlait aux paysan-nes de la révolution d’octobre en Russie, elle fut tellement enthousiasmée qu’elle demanda la parole et récita ce qu’elle avait appris de cet événement. Dâu lui fit avouer qu’elle avait décacheté un document sous pli parmi ceux qu’elle était chargée, comme agent de liaison, d’acheminer, l’avait lu en cachette et su par cœur. Elle fut réprimandée, mais Dâu fut touché de son ardeur.
Ngoc Tôt, communément appelée Dixième (son rang dans la fratrie) fut admise au Parti le 4 avril 1931, à vingt-trois ans. Les travaux “féminins” où elle excellait, comme beaucoup de jeunes paysannes dam dang de l’époque, lui facilitaient l’entrée dans les familles, car on se faisait aider volontiers par les voisines et parentes à l’occasion des festivités assez fréquentes dans la vie villageoise – noces et enterrements, anniversaires de la mort des ancêtres et autres fêtes rituelles – et y accomplissait ses tâches de propagande et d’organisation des masses. Elle reproduit dans ses mémoires des chants de type ve 961 composés par les communistes et qu’elle contribuait à apprendre aux paysan-nes. On y trouve des appels tels que : « Sœurs, soyez lucides ; Nous parlons peu mais savons beaucoup de choses ; Avancez, sœurs ! Prenez l’étendard ! » 962 Habituée au petit commerce – car c’étaient les femmes qui allaient vendre au marché les produits de leurs vergers et basses-cours – Dixième avait dès ses vingt ans l’expérience de se défendre des exactions des Indiens – péjorativement appelés Cha-va ou Cha – qui percevaient les taxes dans les marchés. Elle se servait de ces expériences pour organiser la lutte passive des petites commerçantes. Elle se familiarisait aussi avec les meetings où elle haranguait les masses, au début avec des discours préparés à l’avance par les camarades hommes, ensuite de son propre chef. Fin 1933, les cellules communistes durent se replier dans la clandestinité face à la répression colonialiste. Assoiffée d’activisme, Dixième prit la décision de quitter famille et village (thoat ly) pour aller à Sai Gon militer auprès des ouvriers. Elle partit à trois heures du matin, sans dire au revoir à son père ni à sa sœur et laissa à un camarade du Parti le soin de laisser croire qu’elle avait fait une fugue pour suivre un amant. Theo trai (suivre un garçon) était considéré à l’époque comme la plus grande ignominie pour une jeune fille de bonne famille. Mais Dixième ne s’en faisait guère, ni d’ailleurs son père qui à son retour, lui raconta d’un ton amusé que l’instituteur du village ayant, par pure coïncidence, quitté les lieux à peu près au même moment, les gens croyaient que c’était avec lui qu’elle était de connivence 963 .
Une nouvelle étape commença pour Dixième quand, sous la couverture d’une vie de couple avec un membre du Parti elle travaillait comme coolie et militait à Texaco, une grande société d’essence qui employait quelques centaines d’ouvriers et jusqu’à cinq mille coolies. Elle continuait ensuite à fréquenter les quartiers les plus misérables de Sai Gon comme Ban Co (actuellement dans le 3ème arrondissement de Hô Chi Minh Ville), à organiser des unités de Secours rouge parmi les matelots, les ouvriers de Cotab, de la savonnerie. Elle devint membre du comité exécutif du Parti à Sai Gon puis membre suppléante du comité cochinchinois (Xu uy). Prise par la police française avec d’autres personnalités du Parti en mai 1935, elle endura sans broncher les tortures, de la même façon que deux autres femmes de sa connaissance. Au tribunal, parmi plus de trente inculpés, il y avait sept femmes. Comme les autorités n’avaient aucune preuve contre elle, Dixième s’en sortit avec un an de prison.
Dixième retourna au village et y mena des activités militantes dans le mouvement général dit du congrès indochinois. Elle était maintenant plus largement connue et comptait parmi ses admirateurs des fonctionnaires des autorités coloniales comme des paysans âgés. L’un d’entre eux l’invita chez lui après un meeting, l’interrogea sur sa vie, croyant elle avait fait ses études en France pour être si éloquente. Il ne tarissait pas d’éloges et, ne sachant comment exprimer son admiration, vida sa poche pour lui offrir 4 piastres (monnaie indochinoise) : « Vous êtes une femme vietnamienne méritante. Je regrette de ne pas avoir plus d’argent, vous mériteriez d’être récompensée plus que des dizaines et des centaines de piastres ! » Il lui demanda de laisser ses deux filles la suivre dans ses activités, quitte à endurer comme elle la prison et les dangers 964 . Dixième réussissait à entraîner dans les activités militantes non seulement des paysannes mais aussi des femmes des couches sociales supérieures. Lê Van Giac, l’un des premiers communistes de Long Hung, déporté à Poulo Condor dès 1930 et relâché dans l’amnistie de 1936, demanda sa main et leurs noces furent organisées “à la nouvelle façon” par les camarades militants. On peut noter qu’après son mariage, les camarades du Parti comme les gens du village continuèrent à s’adresser à Ngoc Tôt par son rang de Dixième et non pas par celui de son mari, Cinquième, comme l’aurait voulu une coutume strictement observée au Nord et au Centre, mais beaucoup moins contraignante dans le Sud. Les militantes communistes des générations suivantes bénéficieront de la même déférence, en partie à cause du besoin de garder secrets les liens d’alliance, de parenté ou tout autre détail sur l’identité des personnes, mais aussi en reconnaissance de la forte personnalité de ces femmes.
La guerre de 1939-1945 qui éclata en Europe mit fin à la confrontation plus ou moins pacifique entre les autorités coloniales et les mouvements d’opposition où, surtout en Cochinchine, le Parti communiste avait eu le temps et l’opportunité d’élargir considérablement ses bases. Profitant de l’impopularité de la mobilisation économique et militaire pour ravitailler la France comme soutenir les efforts de guerre en Thailande, la direction cochinchinoise du Parti communiste lança l’appel à l’insurrection générale. Long Hung, le village natal de Dixième et Vinh Kim, le village limitrophe furent le berceau de ce qui est entré dans l’histoire vietnamienne sous le nom de l’insurrection du Sud (Nam ky khoi nghia) où pour la première fois fut arboré le drapeau qui deviendra par la suite le drapeau national vietnamien. Avec son époux, ses frères et ses camarades, Dixième y joua un rôle des plus actifs, bien qu’elle fût enceinte. Son prestige était tel que, dans la paysannerie encore imprégnée de superstition mythique, on parlait du couple comme du roi et de la reine, c’est-à-dire en quelque sorte des intouchables, protégés du Ciel. Arrêtée en compagnie de deux camarades hommes, Dixième eut juste le temps d’avertir une fillette en train de promener ses canards 965 . Celle-ci appela son père à l’aide et les masses aussitôt accourues réussirent à la libérer contre les soldats commandés en personne par le commissaire provincial nommé Trân Chanh, connu pourtant pour sa cruauté. Cet épisode renforça sa réputation de “dame-roi (Vua Ba)” à qui le peuple devait se dévouer (pho).
La “reine” vivait cependant dans les conditions matérielles les plus dures, car de mai à novembre 1940, Dixième et les quelques camarades hommes qui étaient avec elle, dont son frère Huitième, ne pouvaient plus coucher chez les gens, de peur de les compromettre. Ils changeaient de lieu chaque nuit, entre les buttes, les maquis 966 et les grands tombeaux des riches (qui comportaient un toit pouvant les protéger contre la pluie). Nguyên Thi Thâp a près de quatre-vingts ans quand elle rédige ses mémoires, elle y avoue avec une certaine gêne qu’elle avait durant cette époque difficile composé des poèmes, dont seul un bout est reproduit :
‘’ ‘« … Où pourrais-je me réfugier cette nuit ?’ ‘La butte éloignée est envahie d’herbe, le maquis profond inondé.’ ‘Une étoile perdue s’entrevoit derrière l’étang abandonné’ ‘Jamais encore n’a-t-on connu pareilles difficultés ni pareilles peines !’ ‘La pluie blanchit toute la terre de Long Hung,’ ‘Je languis de mon enfant 967 et les larmes emplissent mon cœur… » 968 ’Comme elle note qu’il s’agissait de ses premiers et derniers vers exprimant ce qu’elle qualifie de faiblesse, on peut craindre que l’auto-censure n’ait supprimé de sa mémoire d’autres témoignages du même genre.
En juillet 1940, l’ordre d’insurrection générale de la part du Xu uy (comité cochinchinois du Parti communiste) fut reçu, discuté par la cellule de Long Hung, qui se mit aussitôt à l’exécution. Dixième se déplaçait “comme un fuseau”, dirait-on en vietnamien pour préparer le grand jour. On était vers la fin de la saison de pluie où c’étaient souvent de très grosses pluies suivies de pluie fine interminable qui rendaient les chemins de terre encore plus embourbés. Les villages du delta étaient – comme encore aujourd’hui – desservis par un réseau serré de ponts dits “ponts de singe”, car il fallait une agilité de singe pour traverser les nombreux cours d’eau à l’aide d’un bambou ou d’un tronc de cocotier jeté d’un bord à l’autre. D’habitude, il fallait accélérer le pas quand le pont mouillé par la pluie présentait plus de danger de glissade. Mais à sept mois de grossesse… « Je savais que je devais faire attention en marchant ; mais à chaque fois, je l’oubliais aussitôt, c’était comme si je n’étais pas enceinte » 969 , se rappelle Dixième.
Dixième enserra un foulard pour soutenir son gros ventre et avança au premier rang des insurgés. Son seul privilège, en raison de sa grossesse, ce fut de se voir assigner l’attaque du poste le plus proche du quartier général de l’insurrection. Les paysans de tous les villages de My Tho se soulevèrent, se débarrassèrent des postes, brûlèrent les papiers de l’administration coloniale, organisèrent le gouvernement et les tribunaux révolutionnaires pour juger les notables collaborateurs des Français. Le tribunal de Long Hung fut convoqué juste après un bombardement par surprise des Français. Trois jours après, quand le marché du village Vinh Kim voisin fut bombardé dans la matinée, à l’heure où il était le plus achalandé, l’état-major de Vinh Kim demanda à celui de Long Hung d’héberger son tribunal, ce qui fut accepté aussitôt. Le bombardement du berceau de l’insurrection du Sud, qui fit 70 morts violentes dans une seule matinée à Vinh Kim, n’eut d’égal dans la cruauté que celui de Cô Am et des autres bases de l’insurrection nationaliste de Yên Bai dix ans plus tôt. Selon le témoignage de Nguyên Thi Thâp, confirmé par d’autres récits historiographiques où les exécutions de collaborateurs dans l’insurrection sudiste de 1940 brillaient par leur absence ou s’avéraient rarissimes, le/la représentant-e du Parti qui assistait aux tribunaux jouait le rôle de modérateur. Etant elle-même représentante du Parti et observatrice au tribunal populaire révolutionnaire de Long Hung, elle se rappelle avoir expliqué la juste cause de l’insurrection et enjoint les notables, maintenant “éduqués”, de ne plus manifester d’attitude contre-révolutionnaire même s’ils devaient, une fois l’insurrection matée, retourner au service des autorités coloniales. C’était aussi par pragmatisme que l’état-major révolutionnaire opta pour l’acquittement, il ne voulait pas susciter la haine des fonctionnaires des autorités coloniales ; la suite des événements confirmerait combien il avait raison. Tous les notables furent acquittés, un seul fut tué par les paysans qui le trouvaient trop dangereux pour être relâché. La présence d’une femme, et surtout à un poste à responsabilité, aurait-il contribué à cette clémence des insurgé-es par laquelle l’insurrection du Sud se différenciait très nettement du mouvement insurrectionnel dénommé des Soviets du Nghê Tinh dans le Nord du Centre en 1930 ? Le particularisme du confucianisme méridional dans le sens du libéralisme et du pragmatisme 970 , l’aisance matérielle relative des paysans du delta du Mekong, leur accès à l’instruction du moins pour une partie des couches moyennes y auraient-ils eu aussi leur effet bénéfique ?
Dans le village Vinh Kim, voisin de Long Hung la mère du grand savant vietnamien en musicologie Trân Van Khê fut également une militante communiste des premières heures ; sa tante paternelle Trân Ngoc Viên une enseignante au collège des Tuniques violettes 971 à Sai Gon qui abandonna sa carrière enseignante pour fonder un groupe théâtral sympathisant communiste. Dans la province de Sa Dec – dont le chef-lieu du même nom a été immortalisé par le roman L’amant de Marguerite Duras – une institutrice fut aussi au niveau le plus élevé du commandement de l’insurrection de 1940, Nguyên Thi Ngai, dite Sau (Sixième) Ngai, mais on sait moins de chose de sa biographie, excepté qu’elle était aussi surnommée la Reine rouge. Les surnoms de roi, reine ou reine rouge exprimaient l’enthousiasme et l’admiration des paysan-nes impressionné-es par les militants et surtout les militantes communistes dont le courage, l’intrépidité leur apparaissaient comme hors du commun, presque surnaturels.
Les mémoires de Nguyên Thi Thâp comportent cependant des détails concrets réalistes sur son accouchement, après l’échec cuisant de l’insurrection à Long Hung, Vinh Kim, victorieuse sur place mais privée du soutien de l’insurrection générale initialement prévue. L’époux de Thâp voulait construire une cabane dans le champ désert, pour ne pas compromettre la famille qui l’aurait hébergée. Mais Tam (Huitième) Thâm, une jeune militante d’une vingtaine d’années, jugeant la solution trop risquée pour la mère et l’enfant, se porta volontaire pour ramener Thâp dans sa province de Bên Tre, voisine de My Tho. Exécutant le scénario imaginé par l’état-major (composé de cinq hommes et de deux femmes), Tam Thâm rentra chez sa tante avec un camarade de la cellule qu’elle présentait comme un amant avec qui elle aurait contracté une alliance sans prévenir ses parents (Thâm était en fait orpheline, il ne lui restait qu’une tante comme seule parente). Elle revenait par conséquent le présenter à la famille et au village et accomplir le rite du thu phat pour racheter son pardon. Le thu phat dans le Sud était beaucoup moins dur et moins humiliant qu’au Nord 972 , il consistait souvent en un repas de fête offert à la grande famille acommpagnée des voisins et des notables du village. Thâp était censée être la sœur du prétendant de Tam Thâm. Elle fut effectivement hébergée par la tante de Thâm, puis par le deuxième mari de celle-ci. Toutes ces personnes âgées n’étaient point dupes, mais sympathisaient avec les révolutionnaires et admiraient cette femme enceinte qu’elles avaient deviné être une insurgée en fuite.
Huit jours après son accouchement, Thâp apprit la mort violente de son époux. Etant quelques insurgés à être encerclés par sept cents soldats ennemis, ils avaient décidé de se donner la mort. L’un d’entre eux, le seul qui fût armé d’une épée, la leva contre ses camarades, couchés par terre qui lui tendaient le cou, puis retourna l’épée pour s’ouvrir le ventre. Il tomba sur place sous les balles ennemies. Les autres furent hospitalisés, mais Nam Giac, l’époux de Thâp fut ensuite guillotiné avec un camarade. Pour sa propre sécurité, le bébé fut tout de suite séparé de sa mère. Après bien des péripéties, il fut acheminé vers le Nord après la signature du Traité de Genève 973 et Thâp ne le revit qu’en 1955, à l’âge de quinze ans. Elle le perdit en 1967 quand, s’étant porté volontaire pour aller combattre dans le Sud, il tomba au front. Les mémoires de Nguyên Thi Thâp se terminent sur ce fait, avec une lettre de condoléances de l’ambassadeur de l’Allemagne (de l’Est) à Ha Nôi, où il espérait que « la fierté d’avoir un fils héroïque aurait amoindri la douleur de la mère courageuse ». Nguyên Thi Thâp n’exprime pas d’autre sentiment que la détermination à remplir sa mission de membre du parti, quelle que soit la situation 974 .
D’autres femmes, originaires de familles de lettrés, de fonctionnaires ou de propriétaires terriens, et ayant elles-mêmes un niveau d’instruction plus élevé, eurent des parcours plus mouvementés, où elles ont manifesté un dévouement non moins exemplaire à la cause du Parti communiste et de la lutte patriotique.
NGUYÊN THI THÂP, Tu dât Tiên Giang (De la terre de Tiên Giang), mémoires notés par Doan Gioi, Van nghê Thanh phô Hô Chi Minh, 1986, 488 p.
Nguyên Thi Thâp est celui des différents surnoms adoptés dans sa vie militante qu’elle a utilisé comme nom officiel une fois sortie de la clandestinité en 1954. Thâp est le terme sino-vietnamien équivalent à Muoi (Dix ou Dixième), la façon dont on l’appelait dans son village natal, selon les coutumes de la campagne du Sud où les gens étaient, et sont toujours interpellés volontiers par leur rang dans la fratrie.
Les sociétés secrètes abondaient dans la campagne du Sud avant les activités de Nguyên An Ninh et des communistes à partir de 1925-1927, la plus importante étant celle à laquelle participaient les hommes dans la famille de Ngoc Tôt, l’Association du Ciel et de la Terre (Thiên dia hôi).
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 28.
Il s’agit de Viêt Nam Thanh niên Cach mênh (mang, dans le Sud) dông chi hôi, organisation de la jeunesse supposée être créée par Hô Chi Minh à Canton en 1925.
Alors que les ca dao servaient de berceuses, le ve était une sorte de comptine qu’on apprenait aux enfants ou récitait pour le plaisir. C’était un canal de transmission des connaissances et aussi des conseils moralisateurs.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 41.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 49, 89.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 93.
Au Sud Viêt Nam, l’élevage de canards se pratique souvent sous forme de troupeau itinérant. Les canards sont promenés de rizières en rizières pour glaner le riz et sont ainsi engraissés jusqu’à ce qu’ils soient prêts pour l’abattoir. L’action de promener les canards à travers les rizières est dite lua vit.
Bung est l’équivalent vietnamien du maquis, lieu de refuge des résistants. Dans le delta du Mékong, il s’agit souvent d’un val plus ou moins large et profond où l’on peut être protégé par la végétation touffue, mais dont le sol est souvent embourbé, marécageux et inondé en saison de pluie, ce qui multiplie l’inconfort et les risques de naufrage, de piqûres de serpents venimeux, etc.
Le couple avait une fille aînée encore en bas âge, qui devait changer de nom et vivre loin de ses parents, cachée chez des amis.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 144.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 147-148.
Voir supra chapitre III.
Voir supra chapitre II.
Nous en avons parlé au chapitre II à propos du roman La voleuse de Nguyên Hông. Phat va est le terme générique pour la punition imposée à l’enfreinte des codes moraux ; et thu phat concerne plus directement l’alliance en l’absence de l’autorisation parentale.
Signé le 20 juillet 1954, ce Traité ramène la paix au Viêt Nam au prix de la coupure du pays au 17ème parallèle. La réunification prévue au moyen d’un plébiscite n’a pas eu lieu et ne s’est accomplie qu’après la victoire totale des communistes vietnamiens le 30 avril 1975.
De la terre de Tiên Giang, op. cit., p. 484-486.