Alors, que veut dire tân tiên, dans le vrai sens du concept de féministe ? Ce concept désigne celles qui comprennent et examinent bien la situation et le rôle social des femmes puis s’engagent à défendre leurs droits et leurs intérêts, elles qui depuis toujours ont été opprimées, qui se proposent à les guider, à les encourager et à promouvoir des progrès, de manière à ce que le niveau de vie des femmes, au point de vue matériel et intellectuel soit à l’égalité des hommes dans la société. »
Nguyên Thi Kiêm, 1934
Les femmes ont été présentes dans tous les domaines de la vie sociale, familiale et leur présence a été plutôt bien reconnue, dans l’affectivité du large public comme dans la conscience des intellectuel-les, dans les essais et débats. La politique, du moins sous la forme du militantisme ne leur était pas non plus inaccessible. Seulement, cela n’a pas retenu l’attention des chercheurs, à deux exceptions près, intéressantes chacune pour des raisons différentes. La première est une étude de David G. Marr intitulée Vietnamese Tradition on Trial, 1920-1925 (La tradition vietnamienne au tribunal, 1920-1945) 1166 datant de 1981, où une soixantaine de pages sont consacrées à la « Question des femmes » 1167 . La deuxième est un ouvrage édité à partir d’une thèse de doctorat de Nguyên Van Ky, La société vietnamienne face à la modernité 1168 . Les faits que nous notons dans ce chapitre proviennent en plus de la presse de l’époque et des biographies ou mémoires des femmes concernées.
A partir de cette documentation, nous allons présenter et analyser les nouvelles expérimentations féminines et féministes, d’une part dans les domaines d’activités culturelles et sociopolitiques, d’autre part dans le militantisme révolutionnaire nationaliste et communiste. Nous ferons état des efforts de réflexion et de théorisation, à la fois au niveau conceptuel et au niveau des représentations fictives de féministes et/ou de femmes modernes. Les générations de féministes vietnamiennes seront ensuite passées en revue pour tenter d’identifier les liens d’héritage, les formes de transmission et les rapports entre la jeune relève et leurs aînées. Nous présenterons en dernier lieu des regards croisés et expériences partagées, observant le point de vue des hommes plus ou moins féministes et analysant la circulation des connaissances et pratiques entre les féministes vietnamien-nes et lemouvement féminin et féministe international.
D. G. MARR, Vietnamese Tradition on Trial, 1920-1945, University of California Press, Berkeley, Los Angeles, London, 1981, 468 p. Nous remercions Pr. Tôn Thât Nguyên Thiêm d’avoir généreusement mis cet ouvrage à notre disposition.
Vietnamese Tradition on Trial, 1920-1945, op. cit., p. 190-251.
NGUYÊN VAN KY, La société vietnamienne face à la modernité, Le Tonkin de la fin du XIXè siècle à la seconde guerre mondiale, L’Harmattan, Paris, 1995, 438 p.