Annexe 3 : Convenance des portes (môn dang hô dôi)

Nous reproduisons dans cette Annexe deux extraits du roman Jeuille de jade, branche d’or de Nguyên Công Hoan pour illustrer les points de vue sur la « convenance des portes »

Un amour contre la convenance des familles

  • A l’origine Nga voulait simplement aider Chi, car elle est bonne de nature. Elle est d’un caractère généreux et est comme chacun sait toujours prête à aider les autres, c’est pour cela qu’au début même si je l’ai compris, je n’ai pas voulu contrecarrer sa bonté. Et d’ailleurs en ce temps-ci, toutes les jeunes filles instruites ont plus ou moins l’esprit d’égalité, de liberté et de fraternité, la génération de leurs pères et de leurs oncles ne peuvent les en empêcher. C’est bien d’avoir cet esprit, ce n’est pas mal. J’ai laissé faire parce que j’avais confiance dans notre éducation familiale. Le problème c’est que Chi est d’une origine trop humble, il n’osait pas bénéficier de la bonté de Nga. La fois où ils s’étaient rencontrés derrière le Théâtre français, c’était Chi qui était froid et refusait de continuer à rencontrer Nga. Mais justement pour cela Nga l’aime encore davantage. Elle s’est renseignée sur lui, a su qu’il était quelqu’un de bien et avait beaucoup de qualités, elle parlait souvent de lui, chantait ses louanges auprès de ses amies. Une fois, Nga est allée jusque là où Chi louait sa chambre de collégien. Mais elle ne l’a pas vu. De ces déceptions, elle est revenue pensive, elle a été perturbée. Plus elle se renseignait sur lui plus elle se rendait compte qu’il était un homme parfait et que seule sa misère l’obligeait à rester réservé face à elle, elle l’en a apprécié d’autant plus. Elle rêvait d’un mari comme lui. Mais elle savait que notre famille est de génération en génération de riches mandarins haut placés et que jamais nous ne trahirions les traditions familiales pour accepter Chi comme gendre. Encore d’autant moins notre grand frère Chef de province et son épouse 1808 , ils ne lui permettraient jamais de la vie d’épouser Chi, elle en fut désespérée. Une fois elle m’a posé certaines questions qui me faisaient déjà soupçonner quelque chose. Si elle s’était confiée à moi, j’aurais pu sans doute lui expliquer et l’éclairer pour qu’elle n’aie pas à souffrir en secret.
  • Il aurait été préférable que ce soit moi, car elle a trop peur de toi, elle n’aurait pas oser t’en parler.
  • Tu as raison.
  • Comment as-tu su tout cela ?
  • Je me suis renseigné auprès des gens puis j’ai rapproché ce que chacun m’en a raconté, j’ai pu ainsi reconstituer les faits. Donc Nga au début avait seulement de la sympathie pour Chi. Ensuite elle s’est mise à l’aimer. Puis plus elle était déçue, plus elle pensait à l’amour. Or elle nourrissait dans son esprit un amour trop rêveur ; c’est pour cela que depuis qu’elle est devenue folle, elle n’arrête pas de prononcer le nom de Chi.
  • Tu as raconté tout cela au docteur ?
  • Oui.
  • C’est pour cela qu’il a parlé comme il l’a fait à grand frère et à grande sœur ?
  • Il leur en a parlé discrètement. A moi il a dit plus explicitement qu’il faudrait inviter Chi à venir voir Nga. Nga souffre d’un mal d’amour, il faut se servir de l’amour pour la guérir.
  • Il faudra donc leur permettre de se marier ?
  • Et alors ? Chi n’est-il pas un homme ?
  • Mais…
  • Qu’est-ce que les femmes s’accrochent scrupuleusement aux traditions d’une façon bornée ( châp) et sont ridicules !
  • Ce n’est pas cela. Cela ne fait rien s’ils se marient. Comme il est instruit, il pourra devenir un monsieur une fois diplômé. Mais il serait quand même préférable d’attendre qu’il ait fait carrière 1809 pour célébrer le mariage, si on le fait maintenant, cela me semble plutôt bizarrre.
  • Monsieur Tham se mit à rire et hocha la tête :
  • Nous autres Vietnamiens quand nous nous marions, ce n’est pas une question de l’esprit. La plupart des jeunes gens et des jeunes filles ne regardent que les ancêtres ou la fortune quand ils se marient. En fait ce ne sont pas les jeunes qui se marient. Ce sont les fortunes et les positions sociales qui se marient !

Notes
1808.

En vietnamien anh chi Phu (grand frère et grande sœur Chef de province) ; car quand la personne occupait une certaine position sociale, tout le monde la désignait par son titre, et son épouse était élevée au rang équivalent. Cela était et est toujours respecté plus scrupuleusement au Nord et au Centre qu’il ne l’était et ne l’est au Sud.

1809.

Textuellement : qu’il soit parvenu à la réussite.