1.1. Le recueil des données

Notre corpus d’interactions authentiques a été enregistré à l’aide d’un magnétophone et d’un micro-caché lors de situations d’offre dans notre entourage et notre famille.3

Plusieurs problèmes apparaissent dès le début du recueil du corpus.

Le premier problème est d’enregistrer l’interaction et de cacher le micro. Les premiers enregistrements ont connu quelques ratés et par conséquent la perte de certaines données (effacement involontaire, enregistrement inaudible, micro découvert). Cacher le micro et enregistrer l’interaction n’a pas été une chose facile au départ, il faut manier tous ces instruments avec dextérité et discrétion afin que les participants ne se méfient pas. Mais notre méthode de travail a été difficile à cacher longtemps à notre entourage. Il a donc fallu profiter des balbutiements de notre recherche pour effectuer le plus d’enregistrements possible. Ensuite, nous avons laissé passer un certain temps avant que notre entourage relâche sa vigilance et que nous puissions à nouveau faire des enregistrements.

Le choix de faire les enregistrements à micro-caché correspondait à la volonté de garder toute la spontanéité des participants et de préserver, comme on le signalait plus haut, l’authenticité de ces interactions. Ce dessin de Gotlib4 illustre bien le sujet :

L’idéal aurait été de pouvoir effectuer des enregistrements en caméra-cachée mais nous n’avions pas la maîtrise nécessaire de cette technique. Nous avons privilégié l’enregistrement audio car le magnétophone et le micro sont plus faciles à dissimuler et ainsi cela préserve l’authenticité de l’interaction. L’enregistrement audio ne nous permet pas d’accéder aux informations non-verbales des interactions mais notre participation à la majorité des interactions permet de combler un peu ce manque. Nous avons pu noter dans nos transcriptions les actes non-verbaux et para-verbaux importants que nous avons pu observer.

Se pose ici bien sûr le problème de notre présence et de notre participation à ces enregistrements. Pour des raisons pratiques évidentes, la constitution du corpus s’est faite sur la base d’interactions d’offre que nous pouvions prévoir (lorsque nous allions à l’anniversaire d’un ami, lorsque nous fêtions Noël en famille) afin de préparer le magnétophone et le micro. Certaines situations d’offre de cadeaux que nous avons reçus ont aussi pu être enregistrées si les conditions permettaient de le prévoir (notre propre anniversaire, aux fêtes de Noël). Nous faisions alors partie des participants, nous étions offreuse ou receveuse. Nous faisons ce que Lapassade appelle de la « participation complète », c’est-à-dire que « le chercheur met à profit « l’opportunité » qui lui est donné d’enquêter à partir d’un statut déjà acquis dans la situation » (1991 : 37).5. Participer et observer pose le problème de notre propre spontanéité et de l’influence que cela peut avoir sur le déroulement de l’interaction.

Pour essayer d’éviter cette gêne, nous avons fait en sorte de commencer les enregistrements en amont de la situation d’offre afin d’oublier nous-même la présence du magnétophone lors de l’échange de cadeau qui nous intéresse.

Nous pensons aussi que notre spontanéité est maintenue par le fait que ces interactions enregistrées sont des morceaux de notre vie. Nous effectuons un corpus certes, mais nous vivons aussi des échanges et des émotions avec nos parents, nos frères et sœurs, et nos amis. Les situations d’offres sont authentiques, réelles, et s’inscrivent dans notre vie sociale et familiale. Les liens que nous nouons avec eux continuent à être et à évoluer, que l’on enregistre ou non l’interaction. Toutes les émotions, dont nous parlerons dans la quatrième partie, nous les avons vécues pleinement et elles prennent rapidement le dessus sur notre rôle de linguiste.

Il semble que le problème se pose plutôt au moment de l’analyse des données car analyser son propre discours et celui de son entourage reste quelque chose de particulier et de relativement subjectif. Le risque d’interprétation personnelle selon l’histoire conversationnelle des participants est présent mais d’un autre côté, comme le souligne Traverso,

‘analyser des conversations auxquelles on a participé présente le gros avantage de réduire la part de reconstitution des données manquantes. Le fait d'avoir accès à certains éléments de l'histoire des interlocuteurs permet de ne pas recourir à des hypothèses pour reconstituer les implicites. (1996 : 3)’

Pour tenter de pallier un peu aux inconvénients de notre « participation complète » aux interactions, nous avons demandé à trois amis de faire le même type d’enregistrements. Notre corpus est donc composé, pour un tiers, d’autres interactions lors de situation d’offre dans trois familles différentes. Cette méthode permet de diversifier les sources linguistiques et sociales, et d’améliorer la représentativité de notre corpus. En effet, notre corpus effectué exclusivement dans notre entourage peut apparaître comme marqué socialement et culturellement. L’ajout de certaines interactions en dehors de notre entourage ne règle pas complètement le problème de la représentativité mais permet tout de même de l’améliorer.

L’autorisation d’utiliser ses enregistrements pour notre étude a été demandée aux participants ultérieurement et ceux-ci ont tous accepté. Cependant, par respect de leur vie privée, les prénoms et autres indications personnelles seront masqués dans nos transcriptions.

Nous allons voir maintenant comment se composent nos diverses données.

Notes
3.

Notre corpus contient trois interactions qui ont été notées sur le vif (interactions 3, 4 et 5) et non enregistrées car elles n’étaient pas prévisibles. Ceci n’est possible que pour des interactions très courtes comme celles-ci sinon la transcription resterait trop partielle.

4.

« Le magnétophone », in Les dingodossiers, L’intégrale, René Goscinny et Marcel Gotlib, Dargaud, 2005 : 166-167.

5.

A ce sujet voir aussi Traverso, 2003.