1.1. La politesse

Je ne voudrais point qu’on me crût assez fou pour prétendre ressusciter cette morte : la Politesse. Les miracles ne sont plus de notre temps et, pour toujours, je le crains bien, la politesse est enterrée côte à côte avec notre esprit légendaire. Mais je désire au moins faire l’autopsie de cette vieille urbanité française, si charmante, hélas ! et si oubliée déjà ; et pénétrer les causes secrètes, les influences mystérieuses qui ont pu faire du peuple le plus courtois du monde un des plus grossiers qui soient aujourd’hui.
(Guy de Maupassant, 1881)

Est-ce que la politesse est « morte » comme le dit Maupassant ? C’est ce que nous allons essayer de voir dans ce chapitre, en se demandant aussi comment la politesse trouve sa place dans nos interactions aujourd’hui. Mais la question que nous nous poserons aussi dans cette étude c’est « Pourquoi la politesse ? » selon l’interrogation de Picard dans le titre de son dernier ouvrage (2007).

Savoir-vivre, politesse, civilités, respect, autant de termes qui désignent le même ensemble : l’ensemble des règles qui permettent de vivre en relative harmonie les uns avec les autres. Respecter les autres et les règles, avoir l’esprit civique et citoyen, être poli, avoir du savoir-vivre, autant de notions qui sont évoquées quotidiennement⁹. Toutes ces notions sont bien présentes dans la société, comme le signale Rouvillois : « la politesse vient de loin mais elle revient en force » (2006 : 7). Ces notions éclairent certaines situations sociales, certains rapports sociaux mais se retrouvent autour de la même idée de fond : harmoniser la vie sociale.

Nous allons tenter de distinguer ces notions selon l’usage qu’en fait le grand public : le « respect » est le terme qui nous semble le plus restreint, et pourtant c’est le terme qui semble le plus employé par « monsieur tout le monde », voire le plus utilisé par les jeunes actuellement. Les civilités sont souvent apparentées à tout ce qui relève de la vie extérieure au foyer, par exemple la conduite en voiture, fumer ou non dans un lieu public, ne pas jeter de papiers dans la rue, etc.

Le savoir-vivre est souvent associé à un ensemble d’usages, parfois perçu comme obsolète, qui serait réservé à une certaine catégorie bourgeoise ou aristocrate de la société. Le savoir-vivre correspondrait aux règles qui permettent de savoir comment se tenir à table, comment faire des présentations, ou comment faire le baise-main à une femme. Le terme de « bienséance » semble être perçu comme un terme proche du savoir-vivre. La politesse, quant à elle, apparaît souvent restreinte à des expressions comme : « bonjour », « merci », « s'il vous plait », « au revoir madame ». Autant de termes qui rejoignent un seul et même domaine. Mais, dans cette étude c’est le terme de « politesse » qui nous semble le plus approprié.

Le dictionnaire Le Petit Robert (2002) définit la politesse comme « l’ensemble des usages, des règles qui régissent le comportement, le langage, considérés comme les meilleurs dans une société ».

Quant à Picard, elle définit la politesse comme « un ensemble de règles proposant des modèles de conduite adaptés aux différentes situations sociales » (1998 : 3). C'est en ces termes que la pragmatique analyse la politesse dans les conversations mais le terme « politesse » sera aussi utilisé dans un sens plus large. La politesse dans les interactions sera définie non seulement comme un ensemble de règles mais aussi comme tout ce qui permet de garder un équilibre et une harmonie dans une relation.

‘La politesse consiste en un ensemble de modèles comportementaux et de descriptions régissant les interactions sociales. Elle constitue la norme la plus quotidienne, et sans doute la plus pratiquée des rituels sociaux. (Picard, 1996 a : 28)’

Nous allons voir maintenant pourquoi on parle de « rituels » de la politesse.