2.2. Les fonctions du cadeau

Dans nos sociétés contemporaines occidentales, l'acte d'offrir un cadeau est un acte parmi tant d'autres, qui fait partie des « marqueurs » de la relation interpersonnelle. Offrir un cadeau est un acte significatif qui a différentes fonctions. Le cadeau permet à l’offreur de manifester un sentiment au receveur, ce sentiment pouvant être de l'amour, de l'amitié, de la sympathie, etc, selon la distance qui sépare les acteurs de l'échange. Et, le cadeau a aussi pour rôle de marquer le lien qui unit les personnes entre elles. Le cadeau peut donc apparaître comme « un signe du lien ». Goffman utilise ce terme pour définir

‘toutes ces indications à propos des relations, c'est-à-dire à propos des liens qui unissent les personnes, qu'elles impliquent des objets, des actes ou des expressions. (1973 b : 186)’

Le cadeau a donc un rôle à deux facettes dans la relation interpersonnelle. Il permet à la fois de manifester un sentiment et de marquer un lien social. En offrant un cadeau on signale au receveur qu'on a des sentiments pour lui et que l'on tient à conserver la relation qui nous unit. A ce propos, Picard nous dit que « les fêtes rituelles sont des occasions de raviver les liens sociaux, de manifester son affection à ses proches et à ses amis » (1995 : 67). L'offre d'un cadeau permet ainsi à l’offreur de signaler au receveur que leurs relations sont toujours les mêmes et qu'il souhaite les maintenir. Par conséquent, offrir un cadeau peut être une manière de confirmer des liens. Par exemple, le fait d'offrir des cadeaux de Noël à sa famille est une façon de confirmer les liens familiaux existants. Ici encore, l'absence de cadeaux à l'occasion de cérémonies comme Noël ou un anniversaire pourrait être perçue comme une rupture des liens qui unissaient les personnes.

Dans le même sens, le cadeau peut aussi permettre d'affirmer des liens. Par exemple lorsqu'on offre un cadeau d'anniversaire pour la première fois à une personne, c'est une façon de lui dire : « je considère que désormais on est proches donc je marque mon amitié pour toi en t'offrant un cadeau à des occasions importantes de ta vie ».

Offrir des cadeaux peut donc être assimilé à des « rites positifs qui affirment et confirment la relation sociale qui unit l'offrant au récipiendaire, et manquer à un rite positif est un affront ». (Goffman, 1973 b : 73). Donc pour définir l'acte d'offrir un cadeau, on peut utiliser le terme de Goffman d' « acte rituel positif interpersonnel ». D'ailleurs, il précise que « les rituels interpersonnels sont, par définition, des signes du lien, car, de toute façon, ils attestent une relation » (1973 b : 191)

La différence que l'on peut noter entre les deux types d'occasions que nous avons définis auparavant est que, à l'occasion de cérémonies ou d'offres conventionnelles, le rôle du cadeau semble plutôt être de confirmer des liens que de manifester un sentiment ; alors que le rôle des cadeaux « d'allégresse » ou « affectifs » semble être davantage marqué par le fait de manifester un sentiment spontané. Picard explique cela en disant que :

‘les fêtes sont l'occasion de marquer symboliquement (par un cadeau ou une visite) le lien qui unit des personnes entre elles. A ce titre, on peut les assimiler à des « rites d'entretien », dans le sens où leur fonction est de manifester que la relation qui nous lie à des personnes proches (parents, amis, collègues, ...) n'a pas subi de modifications (...) (1995 : 67)’

Puis elle précise que

‘les rituels d'entretien ont un caractère d'obligation et se pratiquent en des occasions souvent attendues. Certains d'entre eux correspondent à des festivités programmées par la culture (...). (1995 : 67)’

Mais, il est bien évident que l'offre d'un cadeau lors de fêtes rituelles permet aussi de manifester un sentiment et que les cadeaux non prévisibles permettent aussi de maintenir des liens, mais on ressent nettement que pour chacun des deux types d'occasion, une facette du rôle du cadeau est plus forte que l'autre.

Maintenant que nous avons vu quel était le rôle du cadeau dans la relation interpersonnelle, on peut se demander de quelle façon ce rôle varie selon la proximité des personnes. En effet, on peut penser que le degré d'intimité qui unit deux personnes influence la manière qu'elles utiliseront pour garantir et entretenir des bonnes relations. Le rôle du cadeau dépend du degré d'intimité des personnes, il varie et ne s'exprime pas de la même façon selon la distance entre les acteurs de l'échange. Au sujet de la distance qui sépare les personnes, Goffman parle de « relations ancrées » vs « relations anonymes » et il définit ces deux relations en disant :

‘On pourrait envisager la différence entre relations anonymes et ancrées en fonction des dichotomies classiques : distance/intimité et impersonnel/personnel, chaque relation étant définie en termes de degrés. (1973 b : 182)’

Nous avons signalé précédemment qu'un des rôles du cadeau était de manifester un sentiment, or on peut remarquer que ces sentiments diffèrent selon le degré d'intimité. Ils s'échelonnent de la sympathie à l'amour en passant par l'amitié. En revanche, le second rôle du cadeau, qui est de garantir et de confirmer les liens qui unissent les personnes, ne diffère pas selon le degré d'intimité. Que l'on soit proche ou non d'une personne, l'offre d'un cadeau signifiera toujours que l'on souhaite entretenir l'état de nos relations, sauf dans le cas du tout premier cadeau que l'on offre qui, lui, signifiera qu'on souhaite établir et affirmer une relation. Le double rôle du cadeau sera donc d'entretenir les liens et de manifester un sentiment qui, lui, correspondra au degré d'intimité entre les personnes. Par exemple, offrir un cadeau à notre voisin de façon rituelle au début de chaque nouvelle année signifiera : « j'ai de la sympathie pour vous et je souhaite conserver nos bonnes relations ». Et, si par exemple un frère offre un cadeau à sa soeur pour son anniversaire, cet acte signifiera : « j'ai de l'amour pour toi et je souhaite confirmer les liens qui nous unissent ».

Pour résumer la situation, on peut dire que :

‘L'entretien du lien se pratique entre gens de connaissance. Il consiste en des actions ponctuelles qui servent essentiellement à rappeler qu'on ne s'oublie pas et qu'on conserve les uns pour les autres des sentiments d'attachement et d'affection. (Picard, 1995 : 127)’

Nous verrons à travers notre corpus comment le rôle du cadeau s’exprime pendant l’échange. Le corpus fictionnel notamment permet de mettre en valeur le rôle du cadeau dans la relation et dans l’expression des sentiments entre les personnages. Les scènes d’offre sont souvent utilisées pour décrire la relation qui unit les personnages.

Nous allons voir dans le chapitre suivant comment les rituels de politesse en situation d’offre sont abordés dans les guides de savoir-vivre. Il existe une certaine norme édictée par ces traités et nous allons voir comment cette politesse normative se présente.