1. Les guides de savoir-vivre

Lorsque l’on s’intéresse à la politesse, on ne peut éviter de se confronter aux guides de savoir-vivre. Ces traités présentent un point de vue, une norme des usages de la politesse. On parle souvent des guides de savoir-vivre comme de la grammaire de la politesse. Pour étudier les rituels de la politesse il est intéressant de se tourner vers ces guides car ils permettent de se rendre compte des points importants et des usages de la politesse à un moment donné.

Nous avons observé différents guides de savoir-vivre récents¹⁸ afin de voir quel en était le contenu. Il en existe de toutes sortes et de tous les styles. Certains apparaissent comme des guides très conventionnels mais depuis peu on voit naître des guides de savoir-vivre modernisés destinés à toucher un plus large public. Bien souvent, le savoir-vivre a la réputation de ne concerner qu’une certaine élite de la population. Or, il semble que ces guides se défendent de cette image et tentent de présenter le savoir-vivre comme quelque chose de plus attrayant, de plus souple et surtout d’indispensable pour vivre ensemble. A travers ces ouvrages, c’est un sentiment d’ouverture vers le grand public qui ressort. On peut lire en quatrième de couverture de l’un d’eux :

‘Avant de commencer la lecture de cet ouvrage, le béotien doit savoir que nous, les auteurs, avons écrit ici un livre gai, révolutionnaire, sur un sujet sérieux et roboratif : la bonne éducation. (Fontanel et Perron, 2003)’

Denuelle, quant à elle, explique que :

‘Le savoir-vivre d’aujourd’hui même s’il édicte encore quelques règles dans des occasions précises, n’enferme plus l’individu comme autrefois dans un carcan de prescriptions et de conventions. Il veut surtout aider à trouver le ton juste dans les circonstances imprévues et « huiler » les relations quotidiennes. (2002 : 9).’

Et Petrovic signale aussi dans sa quatrième de couverture que son manuel de savoir-vivre

‘ne se limite pas à l’art de recevoir et n’est pas réservé aux femmes se réunissant l’après-midi pour une partie de bridge autour d’un thé ! (2000)’

Ces exemples montrent bien que le savoir-vivre garde une image traditionnelle, sectaire et peut-être ennuyeuse. Pour autant les valeurs de ce savoir-vivre ne sont pas rejetées mais tendent à être appréhendées de manière plus ouverte et moderne, elles évoluent avec l’histoire de la société.

Que trouve-t-on dans ces guides de savoir-vivre ? En fonction de l’époque, les traités de savoir-vivre présentent et proposent une façon normée de se comporter dans des situations données. Pour chaque situation, les guides expliquent le comportement le plus adapté selon les modes et usages en vigueur. Des auteurs comme Picard, Rouvillois, Montandon ou Lacroix ont étudié la politesse et son histoire en s’appuyant sur ces traités de savoir-vivre. Ces guides sont l’image des relations sociales à une période donnée et sont une mine d’informations sociologiques et linguistiques.

Nous avons observé différents traités contemporains et ces ouvrages font ressortir deux propositions paradoxales mais complémentaires. Ces guides sont à la fois traditionnels et modernes. On sent la présence et le poids de toute l’histoire de la politesse et de ses traditions aristocratiques et on ressent un désir d’ouvrir ces guides de savoir-vivre au monde d’aujourd’hui et à l’ensemble de la population. Entre savoir faire des présentations, se tenir à table et se moucher, on voit apparaître des chapitres sur le divorce, l’homosexualité et les nouvelles technologies comme internet ou encore l’utilisation des téléphones portables. Nous allons voir plus précisément comment se présentent les guides d’aujourd’hui.

La majorité des guides classent leurs directives par thèmes (certains présentent leur guide comme un dictionnaire avec des entrées par ordre alphabétique). Les thèmes principaux sont :

• Les événements : les fiançailles, le mariage, la naissance, le deuil, et pour certains, le divorce et le PACS.
• La communication : savoir se présenter, savoir écrire, savoir parler, l’utilisation du téléphone portable ou des e-mails.
• Le quotidien : l’hygiène, les vêtements, se tenir à table, tenir sa maison, comment se comporter à l’école, au travail, au restaurant, à l’hôtel.
• Recevoir et être reçu : les fleurs, les présentations, le placement à table.
• Relation avec « le monde » : protocole, s’adresser à des personnalités, recevoir des décorations et distinctions.

Ces sujets sont à peu près tous abordés dans les guides que nous avons observés. Les présentations sont plus ou moins les mêmes, certains agrémentant leurs guides d’illustrations. Certains guides sont plus légers comme celui de Gasse qui survole rapidement les thèmes en quelques phrases et ne souhaite aborder que le savoir-vivre au quotidien, expliquant que :

‘être reçu, chez un duc, un ministre, un dignitaire religieux, le président de la République, le protocole est régi par des règles trop nombreuses à citer dans ce seul ouvrage. (2001 : 3). ’

Cet ouvrage est un autre exemple qui tend à montrer que certains auteurs souhaitent sortir le savoir-vivre du seul côté protocolaire, il essaye de dire ici que le savoir-vivre intéresse tout le monde car il se pratique au quotidien.

Le guide le plus osé et le plus « détonnant » dans ces ouvrages est celui de Fontanel et Perron qui comme on l’a dit précédemment souhaite aborder le savoir-vivre de manière moderne. Elles évoquent d’ailleurs sans détour et avec de l’humour des sujets comme la sexualité, la drogue et l’alcool. Cet ouvrage est un mélange de provocation, d’ironie et de conseils réels. Les auteurs annoncent sur la quatrième de couverture : « Attention, ce livre a beau être hilarant, il est très strict sur certains points » (2003).

De Fontanel et Perron à Clermont Tonnerre, l’écart est grand et pourtant le sujet est le même. Cette dernière présente un ouvrage plus classique et très détaillé avec comme appui sa propre expérience familiale aristocratique. Mais ces ouvrages se retrouvent dans le désir commun de faire partager des conseils pour « bien vivre ensemble ».