2.1.1. Plaisir d’offrir

Selon les guides de savoir-vivre, la personne qui offre un cadeau doit tenir deux attitudes principales. Son rôle dans l'échange est de : donner le cadeau en montrant sa joie de l'offrir et de rester modeste en minimisant la valeur du cadeau et de son geste.

En effet, la première attitude conseillée par ces guides est de donner le cadeau au receveur en lui montrant de la joie et du plaisir. Gandouin nous signale à cet égard que

‘La façon de donner vaut mieux que ce que l'on donne (...). Il faut que la joie d'offrir soit aussi grande que celle de recevoir. (1984 : 53)’

Le premier rôle de l’offreur serait donc de faire apparaître son plaisir par une expression de réjouissance pour que le receveur puisse le déceler sur son visage et dans son comportement. Même si l’offreur offre un cadeau par obligation alors il lui est conseillé de ne pas faire transparaître ce non-désir d'offrir. Lacroix nous explique qu’il est souhaitable de

‘ne pas donner par obligation ou à regret, mais paraître content de donner (...). La joie du donateur est rassurante pour celui qui reçoit. Elle signifie que le transfert unilatéral de l'objet, qui ne bénéficie qu'à un seul, s'accompagne d'un plaisir qui, lui est éprouvé par les deux parties. (1990 : 341-2)’

Il est demandé à l’offreur de montrer qu'il offre le cadeau « de bon cœur » et que son but est de faire plaisir à l'autre. Le savoir-vivre incite l'offreur à présenter une mine réjouie et un comportement adapté à une situation de « rite positif interpersonnel », selon la terminologie de Goffman. Desmarais rappelle que « l’important n’est pas uniquement de donner mais de donner bien, avec gentillesse et chaleur. » (1995 : 42)

La seconde attitude que l’offreur doit tenir selon la bienséance est celle de rester modeste vis-à-vis de son geste et de minimiser la valeur du cadeau qu'il offre. Les guides déconseillent à l’offreur de se vanter de la valeur du cadeau ou de la générosité de leur geste. La modestie est donc une position importante que l'offreur est censé adopter. Picard la définit en disant qu’elle « est une forme de simplicité et de retenue dans l'appréciation de soi-même face à autrui, elle est faite d'une certaine humilité, de réserve et de simplicité » (1995 : 169).

La norme veut que le geste de l’offreur apparaisse comme un acte de pure gentillesse afin que le receveur ne soit pas gêné ou embarrassé. La modestie est donc présentée comme une attitude importante pour l’offreur pour le bon déroulement de l'échange. Les guides conseillent à l’offreur de ne pas présenter son cadeau comme un acte qui lui a demandé beaucoup d'efforts et qui lui a « coûté », sinon le receveur se sentira en position d'infériorité et d'embarras, même si cela peut aussi être valorisant pour le receveur.

Lacroix rappelle que « l'art de donner consiste à mettre autrui à l'aise en minimisant l'objet qu'on offre. » (1990 : 375) Les guides incitent l’offreur à ne pas se placer en position haute par rapport au receveur, pour que l'échange s'effectue sur un pied d'égalité. Pour cela les guides poussent l'offreur à la fois à rester modeste et à minimiser la valeur du cadeau. Selon les usages français, il doit atténuer la valeur du cadeau en faisant comprendre à l'autre que « ce n'est pas grand chose », que « ce n'est qu'un petit cadeau ». Nous y reviendrons plus tard en évoquant aussi spécifiquement le « tabou du prix ».

Pour le savoir-vivre, le receveur risquerait d'être mal à l'aise si l'offreur vantait sa grande générosité en prétendant lui faire un « gros cadeau ». Cependant, les guides conseillent aussi à l’offreur de ne pas non plus trop minimiser son cadeau pour ne pas que le receveur pense qu'il lui offre un objet « bon marché » de peu de valeur. C’est cette nuance que l’on retrouve exprimée dans l’extrait suivant :

‘Quant à Mariquita, elle offrit à Nadia un bracelet en or acheté chez un antiquaire de la rue Auguste Comte et qui avait dû coûter une fortune. Nadia en fût presque gênée. Mariquita protesta : « Mais non, ce n’est rien du tout, rien du tout ! » Elle répétait « rien du tout » chaque fois qu’il était question de son cadeau, si bien qu’ensuite on ne parla plus du royal bracelet que comme du « rien du tout », ce fut son nom. (Belletto, Ville de la peur, P.o.l., 1997 : 206)’

Joie et modestie sont donc les deux attitudes principales prônées par le savoir-vivre comme rôles pour l’offreur. L'échange débuterait ainsi dans des conditions agréables, et l'acceptation du cadeau serait plus facile pour le receveur dont la gêne serait atténuée.