2.2.La place du receveur

Pour celui qui reçoit, les enjeux du cadeau par rapport aux faces sont plus complexes car la face et le territoire sont chacun touchés à la fois par un FTA et un FFA.

Tout d’abord, le fait de recevoir un cadeau est à la fois une menace et un acte positif pour le territoire du receveur. C’est un FFA pour son territoire car celui-ci est augmenté par un bien évalué positivement. Comme le souligne Kerbrat-Orecchioni, le cadeau « constitue en ce qui concerne sa face négative un anti-FTA (tout cadeau est un transfert de bien, donc une lésion pour l’un, mais pour l’autre, une extension territoriale). » (1992 : 171-72). Mais si on prend le cas d’un cadeau qui ne plaît pas au receveur, alors le bien est évalué négativement et on peut imaginer que l’extension territoriale soit subie de façon négative. Le receveur peut donc voir son territoire augmenté par un cadeau « empoisonné », et l’offre de ce cadeau peut apparaître ainsi comme un FTA pour son territoire.

Le cadeau peut aussi être un FTA pour le territoire du receveur car celui-ci se retrouve en position de dette, il « risque de perdre la face s’il se montre plus tard incapable d’acquitter sa dette » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 172). En effet, le receveur devra à son tour fournir un cadeau en retour, ce qui lésera son territoire.27

Le cadeau est aussi à la fois un FFA et un FTA pour la face du receveur. Le cadeau apparaît tout d’abord comme un FFA pour la face du receveur car celui-ci est touché par « cette marque d’attention ». Le côté narcissique du receveur est flatté, il est agréable de recevoir un cadeau et de constater que l’offreur a eu une attention positive et généreuse à notre égard. Cependant le cadeau est aussi un FTA pour la face du receveur. C’est sa position de débiteur vis-à-vis de l’offreur qui le place en position basse. Le receveur sait au moment où il reçoit le cadeau qu’il devra montrer plus tard qu’il est capable de la même générosité.

On peut considérer que dans l'ensemble, offrir un cadeau est un acte évalué positivement, qui apparaît donc comme un FFA pour chacun des acteurs. Il en est de même pour le receveur car au premier abord, le FFA pour son territoire et le FFA pour sa face semblent plus importants que le FTA pour son territoire et le FTA pour sa face.

Ainsi, de manière générale, l’offre d’un cadeau apparaît comme un FFA pour la face de l’offreur et un FFA à la fois pour le territoire et la face du receveur. Le « coût » disparaît derrière le « bénéfice » reçu par les participants. La situation d’offre relève principalement de deux maximes de politesse28 évoquées par Leech :

‘Tact maxim : (a) Minimize cost to other (b) Maximize benefit to other
Generosity maxim : (a) Minimize benefit to self (b) Maximize cost to self
(1983 : 132)’

Les participants à l’offre d’un cadeau tentent d’appliquer au mieux ces maximes afin que la situation reste polie.

Ainsi, en apparence, le caractère positif du cadeau est bien plus important et marquant pour les participants que les enjeux menaçants que peut entraîner l'acte d'offrir un cadeau. Mais nous verrons par la suite que cette situation apparemment positive en surface révèle un certain nombre de tensions en profondeur.

Notes
27.

Nous reparlerons de la notion de dette dans la deuxième partie Chapitre 2, 1.2. « Dette et réciprocité ».

28.

Ces maximes sont à rapprocher des maximes conversationnelles de Grice (1979) qui sont : (1) Maxime de quantité : Que votre contribution contienne autant d’information qu’il est requis. Que votre contribution ne contienne pas plus d’information qu’il n’est requis. (2) Maxime de qualité : Que votre contribution soit véridique. (3) Maxime de relation : Parlez à propos. (4) Maxime de modalité : Soyez clair.