1.2. Choisir son cadeau

Elle veut une petite liste pour lui faire un cadeau d’anniversaire. Lui il veut une surprise. On frise la crise.
(Gaudens, Bruxelles, Bruno et les cadeaux, Nicolas Philippe, 2002 :87)

Prévoir l'offre d'un cadeau peut aussi donner lieu à des échanges sur le choix du cadeau. Différentes interactions peuvent avoir lieu avant l'offre. En effet, il n'est pas rare d'observer des situations où, pour un événement rituel comme Noël ou un anniversaire, le choix d'un cadeau est discuté avant l'offre. Il y a deux possibilités : soit le futur offreur demande au receveur ce qu'il souhaiterait avoir, soit le receveur exprime de lui-même un désir et soumet des propositions au futur offreur.

Dans le premier cas où l'offreur sollicite le receveur, on a pu relever des échanges tels que :

A : bon, qu'est ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ?

B : ben je sais pas, un livre par exemple

Mais la situation n'est pas toujours aussi simple. En effet, lorsque l'offreur demande au receveur ce qu'il souhaite recevoir, le receveur peut se sentir embarrassé et répondre de façon évasive (« Ben je sais pas trop ») ou encore nier le caractère obligatoire de l'offre d'un cadeau lors d'un événement rituel. Il pourra alors répondre par des énoncés comme :

« oh mais t'es pas obligé de me faire un cadeau »

Ou bien :

« non mais j'ai besoin de rien, je ne veux pas que tu m'offres quelque chose »

Ici encore, le face work influence les échanges qui peuvent avoir lieu, car il semble difficile pour le receveur de citer un objet précis, à moins que celui-ci soit de faible valeur. Là encore, la tabou du prix empêche le receveur de répondre sincèrement à la personne qui le sollicite. Il éprouve une certaine gêne parce qu'en exprimant un souhait précis, le receveur peut avoir l'impression de donner un ordre implicite à l’offreur. Un échange observé entre deux étudiants illustre la gêne qu'occasionne cette sollicitation :

A : bon t'as pas une idée pour ton anniversaire ? Qu'est ce qui te ferait plaisir ?

B : oh ben t'as qu'à m'offrir une voiture !

A : pff (haussement d'épaules)

Ici le receveur utilise l'humour pour éviter d'avoir à imposer un cadeau à l’offreur. Il cite délibérément un objet largement au-dessus des moyens financiers de l'offreur pour ne pas répondre sincèrement. Il est difficile de dire : « Je voudrais bien que tu m'offres un sac » par exemple, sans avoir le sentiment de paraître « culotté » et « sans gêne ».

Le receveur aura donc tendance à éviter de donner une réponse ou alors en citant des objets considérés comme de « petits » cadeaux pour les deux participants.

Autre exemple, nous avons pu noter une conversation entre deux amis qui illustre ce point :

A : Bon qu'est ce que tu veux pour ton anniversaire ?

B : Moi, rien. T'as pas besoin de m'offrir quelque chose.

A : Mais si, j'ai envie de te faire un cadeau. Allez dis-moi, de quoi t'as envie ?

B : Mais je sais pas moi.

A : Mais je sais pas, un livre, un CD ?

B : Oui si tu veux.

A : Bon un CD alors, de qui ?

B : Non mais non c'est bon, t'as pas de sous, tu vas pas m'offrir un CD.

A : Mais si, allez dis moi c' que t'as envie.

B : Bon ben Rachid Taha alors j'aime bien, mais en CD deux titres ça suffit largement.

A : Bon Rachid Taha, d'accord.

B : Mais en CD deux titres c'est tout hein ça sera très bien.

A : Ouais c'est ça on verra.

On voit ici que le receveur éventuel minimise le choix du cadeau pour montrer sa gêne vis-à-vis de l’offreur. Devant l’insistance de l’offreur, le receveur fait un choix mais d’une valeur qu’il considère comme modeste par rapport aux moyens de l’offreur. Le futur receveur fait appel aux deux maximes « tact maxim » et « generosity maxim » qui consistent à minimiser le « coût » pour l’offreur et à favoriser ses « bénéfices » lors de l’interaction.

Leech présente cette situation sous la forme d’une « cost-benefit scale » :

(Leech, 1983 :107)

Lors d'événements plus familiaux comme Noël, le receveur peut se permettre de faire des propositions de lui-même au futur offreur. Par exemple, les enfants peuvent facilement exprimer leurs souhaits à leurs parents sans que cela apparaisse comme un acte menaçant. Entre membre d'une même famille, chacun offre un cadeau à l'autre, et le receveur peut très bien dire des choses comme :

« tiens si vous voulez me faire un cadeau à Noël, j'aimerais bien avoir le dernier livre de Pennac »

Ou :

« pour Noël, je voudrais bien avoir du parfum »

Dans ces occasions précises, le souhait du receveur n'apparaît pas comme un FTA pour le futur offreur. Entre personnes très proches, la gêne du receveur s'efface. Il hésite moins à dire ce qu'il désire réellement, dans la mesure des possibilités de l'offreur bien évidemment.

En conséquence, déjà avant l'offre du cadeau, le travail de figuration peut commencer. Personne ne veut « perdre la face ». Or ces échanges permettent d'amorcer le face work. En effet, en négociant le fait de s'offrir un cadeau ou pas, on évite de se sentir offensé au moment de l'offre si l'on est le seul à offrir quelque chose à l'autre. Car s'il n'y avait pas réciprocité, cela signifierait que les deux participants n'ont pas la même conception du lien qui les unit. Il en est de même pour la négociation sur le choix du cadeau. L'offreur a souvent peur que le cadeau ne plaise pas. Ainsi, en demandant au receveur ce qu'il souhaite, il s'assure de ne pas perdre la face au moment de l'échange.