1.2.2. Les stratégies de politesse facultatives du receveur

Nous allons nous intéresser ici à la position du receveur. Nous avions pu trouver trois stratégies de politesse facultatives le concernant : montrer son excitation et son impatience au moment de l’offre, montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix et exprimer sa gêne et son embarras.

Fréquence des stratégies de politesse facultatives du receveur
Stratégies Corpus authentique Corpus Fictionnel
Montrer son excitation et son impatience 40 % 31 %
Montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix 56 % 13 %
Exprimer son embarras 23 % 36 %

Si on compare les pourcentages de fréquence entre le corpus authentique et fictionnel, on peut remarquer que les chiffres sont assez différents. Dans le corpus authentique c’est la stratégie de montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix qui est la plus présente (56 %) et cela paraissait logique car cela répond à l’importance de la stratégie de l’offreur d’expliquer son choix. Cette stratégie en est la réponse de la part du receveur. L’offreur demande s’il a fait le bon choix et le receveur répond « oui ». Dans les scènes de cinéma, cette stratégie n’a qu’une toute petite place (13 %).

(Scène 1) :

On peut peut-être expliquer cette faible représentation par le fait que les receveurs dans les scènes de fiction peuvent se permettre de dire à l’offreur qu’il a fait le mauvais choix.

Nous y reviendrons par la suite.

Nous pouvons noter ensuite que dans environ un tiers des scènes, le receveur utilise la stratégie de montrer son impatience ou de exprimer son embarras. Dans notre corpus authentique c’est la stratégie montrer son impatience qui était plus présente que la stratégie exprimer son embarras.

Il semble que la stratégie exprimer son embarras ait une représentation un peu éloignée de la réalité. Nous avons par exemple plusieurs routines comme « il fallait pas » dans les scènes de films alors que nous n’en avons aucun dans notre corpus (même s’il nous est arrivé d’en entendre dans des situations non-enregistrées).

(Scène 8) P : il fallait pas vraiment c’est c’est

(Scène 10) A : oh il fallait pas je suis gênée

(Scène 19) L : il fallait pas

Nous pouvons remarquer que le terme « gêne » est assez utilisé.

L’embarras dans notre corpus fictionnel s’exprime aussi par rapport au tabou du prix comme nous l’avions vu pour le corpus authentique. Le receveur se montre gêné par rapport au prix supposé du cadeau.

Dans l’extrait de Harry, un ami qui vous veut du bien, il y a un exemple extrême où la gêne frôle le refus:

(Scène 22) C : on n’offre pas une voiture comme ça (.) personne peut accepter un cadeau pareil c’est pas la peine d’en discuter (elle lui jette un regard énervé et commence à partir)

Montrer sa gêne est une stratégie présente qui ressemble un peu à celle observée dans le corpus authentique mais avec en plus la présence de la routine « il fallait pas », qui est une routine représentative de l’imaginaire collectif à propos d’une réaction possible à une offre.

Pour montrer son excitation et son impatience, c’est le rapport à la règle du cadeau-surprise qui est en jeu, c’est le plaisir de garder encore un peu caché le contenu du paquet. Cela permet au receveur de montrer à l’offreur qu’il est content de recevoir ce cadeau et qu’il est impatient de l’ouvrir, cela flatte la face de l’offreur. On peut constater que, comme pour le corpus authentique, pour les scènes de films c’est la formule « qu’est-ce que c’est  » qui apparaît le plus.

Cette question purement rhétorique permet de rentrer dans le jeu du travail de figuration.

Dans la scène du Père Noël est une ordure (scène 8) nous pouvons aussi observer un échange avant l’offre où le futur receveur montre beaucoup d’excitation en découvrant le cadeau caché sur une chaise.

La stratégie du receveur prend ici beaucoup d’ampleur puisqu’elle précède l’offre du cadeau. Le receveur commence le travail de figuration avant l’offre, ce qui ne peut être que « flatteur » pour l’offreur. Dans des situations authentiques, nous avons pu observer certaines interventions à l’occasion de Noël lorsque les cadeaux sont exposés sous les sapins et que chacun peut essayer de trouver un paquet avec son nom et tenter de deviner le contenu en fonction de la taille, de la forme ou de l’emballage. Cette stratégie est finalement une sorte de « retour à l’enfance » avec ce plaisir et cette excitation avant l’ouverture des paquets52.

A travers l’étude des stratégies de politesse, nous pouvons déjà constater que les scènes de films restituent leur utilisation. Bien évidemment, il y a des variantes car notre corpus de scènes filmiques présente aussi des exemples de dialogues dissonants avec la réalité. Mais, dans l’ensemble, on retrouve les mêmes stratégies de politesse que dans notre corpus authentique. On peut donc faire la supposition que les auteurs qui souhaitent rendre « vraisemblable » leurs dialogues et leur scène tentent de représenter la réalité à travers des marqueurs conversationnels. Comme nous le signale Vanoye :

‘Les dialoguistes soucieux de capter les habitus langagiers propres à une catégorie sociale et à une époque données travaillent souvent par imprégnation, voire par enquêtes et relevés systématiques (prises de notes et/ou enregistrement sur le terrain). (...) Les pratiques renvoient évidemment à une conception réaliste du dialogue, et entrent en cohérence avec la référence du modèle réaliste. (1991 : 169)’

Les cinéastes, par leur travail d’écriture et de création, créent des scènes dans lesquelles le spectateur peut s’identifier. En essayant de représenter la réalité, ils expriment tous les paramètres et signaux qui composent leur vie ordinaire ou celles de ceux qu’ils peuvent observer. C’est ce que nous rappelle Vanoye :

‘Les scénarios étant élaborés par des individus, on peut supposer que par certains aspects, leurs modèles de référence s’inscrivent dans la vie psychique, dans l‘histoire personnelle, dans l'imaginaire de ces personnes humaines. (1991 : 206)’
Notes
52.

A ce sujet, il existe en Suède un rituel qui consiste pour l’offreur à écrire un petit poème pour faire deviner au receveur le contenu du paquet à Noël.