2. Les marqueurs d’authenticité

« Les dialogues réels sont, dans la vie, toujours pleins de piétinements, de redondances et de coq-à-l'âne. » (Chion, 1985 : 85). Pour qu'un dialogue de films soit réaliste, il faut que celui-ci comporte des marques d'authenticité. Celles-ci se retrouvent dans le vocabulaire, la syntaxe, la production de parole (répétitions, hésitations, ellipses, chevauchements). Nous allons observer une séquence authentique de notre corpus afin de regarder de plus près quels sont les indices de réalité de ce dialogue.

On peut voir à travers cet exemple que les conversations ordinaires contiennent effectivement beaucoup d’hésitations, de chevauchements, de répétitions, sans que cela gêne le déroulement de l’interaction :

« et en plus ils ont mis plein de: ».

M : [sûr que

T : [ça s’ passe au cours des siècles en fait

Il apparaît deux fois : « vach’ment intéressant » dans l’extrait, il y a aussi une répétition immédiate : « j’ l’avais oublié (.) j’avais oublié ».

Ce court extrait montre que si le cinéaste veut tenter de faire une scène réaliste il doit essayer d’introduire des marques d’authenticité dans le dialogue.

Par rapport à notre corpus authentique, on a pu constater que c’est le chevauchement de parole qui est le moins représenté. On trouve plus facilement des ellipses de sons sachant que les acteurs peuvent naturellement parler de cette façon dans la vie. Quant à la répétition et l’utilisation de formules familières, leur représentation n’est pas aussi importante que dans le corpus authentique.

Nous allons voir l’exemple d’un extrait cinématographique dans lequel les marques d’authenticité sont plutôt présentes.

On peut voir dans cet extrait :

M : enfin vous comprendrez quand vous aurez ouvert les deux

Y : oui oui oui (doucement) (elle est pressée de l'ouvrir)

Cet extrait est un exemple qui nous montre que dans certains dialogues, des marques d’authenticité apparaissent pour rendre vraisemblable le dialogue. Mais il est difficile pour l’auteur de restituer certains traits du dialogue authentique car nous n’avons pas toujours conscience de la présence importante de ces hésitations, chevauchements, etc, dans nos conversations quotidiennes. La transcription paraît d’ailleurs être un excellent moyen pour s’en rendre compte. D’ailleurs la majorité des scènes observées montre une utilisation restreinte de ces marques d’authenticité.

On peut voir dans cet extrait qu’il n’y a ni chevauchement de parole, ni hésitations, ni termes familiers. Seules quelques élisions de sons sont présentes.

A ce propos, mais pour un autre genre fictionnel (le théâtre), Habib évoque Marivaux « et le ton de la conversation qu’il n’a cessé de vouloir capter et restituer dans son théâtre. Il n’a cessé de l’affirmer » :

‘Il est vrai que j’ai tâché de saisir le langage des conversations et la tournure des idées familières et variées qui y viennent, mais je ne me flatte pas d’y être parvenu ; j’ajouterai seulement là-dessus qu’entre gens d’esprit les conversations dans le monde sont plus vives qu’on ne pense, et que tout ce qu’un auteur pourrait faire pour les imiter n’approchera jamais du feu et de la naïveté fine et subite qu’ils y mettent. (1994 : 78)’

L’étude comparative des scènes authentiques et filmiques nous permet donc de voir la différence entre un dialogue spontané et un dialogue imaginé et réfléchi. Les scènes cinématographiques nous montrent, qu’en situation, on actualise un certain nombre de conventions, dont la politesse fait partie. Mais les marques d’authenticité semblent être plus difficiles à restituer et c’est peut-être aussi un souhait de l’auteur car comme le signale Vanoye

‘L’oralité du dialogue cinématographique procède de contraintes et de conventions d’ordre technique, esthétique, idéologique, variables selon les époques, les pays, les auteurs. (1981 : 112)’

La vraisemblance du dialogue de cinéma est contrainte par le travail d’écriture et de création de l’auteur.

‘Comme tout élément artistique, le dialogue n’est pas la reproduction parfaite du réel mais une transposition qui suppose une écriture. (Vassé, 2003 : 23). ’

Nous allons d’ailleurs voir dans le deuxième chapitre que les dialogues de cinéma peuvent aussi être « invraisemblables » et cela pour différentes raisons que nous allons expliquer.