2. Transgresser les stratégies de politesse

Nous avions pu voir dans la première partie qu’un des rôles du receveur était de montrer sa joie de recevoir et qu’il pouvait l’exprimer à l’aide de remerciements, de mimiques ou d’expressions diverses. Nous avons également décrit le fait que le receveur disposait de différentes stratégies de politesse pour flatter la face de l’offreur comme « montrer qu’il a fait le bon choix ». Or nous allons montrer que le cinéma permet au receveur de transgresser ces règles de politesse et de dire de manière plus ou moins directe que le cadeau n’est pas à son goût.

L’extrait de film le plus marquant au niveau de cette transgression est celui de Fanfan dans lequel le receveur dit ouvertement à l’offreur que le cadeau ne lui plait pas.

Dans cet extrait, le receveur ne fait aucun effort pour respecter les règles de politesse. Il commence par regarder l’offreur d’un air dubitatif, il ne remercie pas et lui demande si c’est une blague. Ce n’est pas un enchaînement préféré dans ce genre de situation. Ceci est un gros FTA pour l’offreur. Puis le receveur insiste en précisant que les pantoufles sont pour lui le symbole d’une relation qu’il refuse. Mais suite à cette agression, l’offreur essaye toujours de sauver la face en lui disant qu’il a fait ça pour lui faire plaisir. C’est une manière de signaler au receveur qu’il ne tient pas son rôle et qu’il devrait montrer du plaisir et non du mécontentement. L’offreur tente même un dérivatif pour apaiser la situation en plaçant le problème au niveau sémantique « tu peux dire chaussons si ça t’ rassure ». L’offreur essaye de sauver la face comme il peut malgré le FTA très important qu’il vient de subir.

En tant que spectateur, on peut tout à la fois compatir avec l’offreur malmené et en même temps s’imaginer à la place du receveur qui dit tout haut ce que l’on pense des fois tout bas. Le cinéma permet de nous représenter ce que nous n’osons parfois pas dire.

Cette scène est la première du film, elle permet donc de montrer de façon claire l’état de la relation de ce couple, tout en plaçant le receveur comme un « goujat ».

Le cinéaste met ici le doigt sur le problème de la sincérité dans les scènes d’offre. Nous allons voir que ceci revient dans d’autres scènes. Nous approfondirons ce sujet crucial en situation d’offre dans la quatrième partie.

Dans Une chance sur deux, la transgression des règles de politesse est moins franche mais les deux receveurs signalent pourtant bien que le cadeau les surprend et qu’il ne correspond pas à leurs goûts.

On peut voir dans cet extrait que sous le ton de l’humour les deux receveurs signalent qu’ils n’aiment pas vraiment leur cadeau. La remarque est indirecte : « tu crois pas qu' ça nous fout un coup d' vieux  » mais elle insinue tout de même que le cadeau ne correspond pas au statut du receveur qui considère ce cadeau comme un cadeau « de vieux ». Le deuxième receveur confirme la réflexion de son ami. Il parle de chaussons pour insister sur le problème des statuts des receveurs, les chaussons étant, on le suppose ici, considérés comme un attribut de personne plus âgée. Le FTA n’est donc pas direct mais pour le spectateur c’est très clair.

Dans Les bronzés font du ski (1) la scène d’offre est très particulière au niveau de la transgression des principes de politesse car finalement l’offreur se fait un cadeau à lui-même.

M : je viens pas les mains vides (il sort une bouteille de vin de la poche de son manteau)

(Gigi lui prend la bouteille des mains)

G : c’est gentil ça du Bordeaux

(Marius retient la bouteille)

M : non non excusez moi c’est pour moi

C : oui parce que Marius ne digère pas le vin blanc (.) c’est dingue hein (rires) oui

G, P : (rires nerveux)

On peut voir dans cet extrait que la scène d’offre commence tout à fait normalement avec une parole d’accompagnement du don « je ne viens pas les mains vides » qui permet de supposer qu’il vient avec un cadeau. Mais au moment où le receveur prend ce qu’il pense, à juste titre, être un cadeau, là le « faux-offreur » rétablit la vérité et signale que cette bouteille est pour lui. Cet extrait qui transgresse le principe même de l’offre permet de donner un exemple d’un comportement atypique qu’on imagine très mal dans une situation authentique.

Le cinéma permet aux auteurs d’évoquer la face cachée de certaines situations. En ce qui concerne la situation d’offre, c’est essentiellement « dire que le cadeau ne plaît pas » qui est évoqué. Nous avons montré deux exemples, l’un direct, l’autre plus implicite mais nous allons voir plus loin que l’auteur peut avoir recours à des procédés plus subtils en donnant une place particulière au spectateur. A travers la notion d’émotion, nous aborderons dans la quatrième partie les enjeux de la transgression ou non des règles de politesse.