1. Le grand bleu (Luc Besson, 1988)

Le premier extrait de film que nous souhaitons analyser en détail est celui du Grand bleu de Luc Besson. Nous choisissons de présenter cette scène car elle nous paraît être une scène assez classique et proche des séquences observées dans notre corpus authentique pour ce qui est de l’utilisation du travail de figuration. Nous allons procéder à une analyse détaillée de cette scène afin de faire ressortir les différentes stratégies de politesse qui sont employées.

Voici pour rappel l’extrait dans son entier :

Cette scène est assez courte mais elle présente une grande partie des stratégies de politesse utilisables en situation d’offre. Pour commencer on peut déjà constater qu’il y a deux offres de cadeaux en parallèle. Enzo offre un cadeau à Jacques et un cadeau à Johanna. On peut voir que l’échange avec Johanna est plus court et il semble que cette différence s’explique simplement parce que les héros du film sont Enzo et Jacques, Johanna est un personnage secondaire donc il est logique que sa participation à cette scène soit secondaire aussi. Leur échange se concentre somme suit :

On peut tout de suite remarquer la présence de l’échange confirmatif parole d’accompagnement du don - remerciement :

E : (…) voilà (il tend un paquet vers Jo) (…)

→ parole d’accompagnement du don

Jo : (rires) thank you

→ remerciement direct

On peut noter que ce remerciement a la particularité d’être en anglais, Johanna étant un personnage d’origine américaine mais cela ne semble pas connoter une grande différence culturelle dans ce cas précis.

Avec ce simple échange, la situation d’offre se déroule de façon satisfaisante. Mais on peut tout de même constater que leur échange ne se réduit pas à ces interventions puisque Johanna pose une question à l’offreur, ce qui est une façon de montrer qu’on a de l’intérêt pour l’objet offert.

Cet échange est là pour présenter une certaine complicité entre Enzo et Johanna car la recette n’a pas été choisie au hasard. Dans une scène précédente Johanna avait mangé un énorme plat de spaghettis frutti el mar préparé par la mère d’Enzo. Ce cadeau est donc un « cadeau clin d’œil » qui permet au cinéaste de marquer un lien entre ces deux personnages.

En ce qui concerne l’échange entre Enzo et Jacques, nous allons voir que celui-ci fait appel a plus de stratégies de politesse du type de celles que nous avons évoquées auparavant.

Enzo entame la scène avec une parole d’accompagnement du don :

Nous avons ici la parole d’accompagnement du don toute simple « voilà » et aussi une parole d’accompagnement du don explicative à travers des félicitations, on comprend ici qu’Enzo offre un cadeau à Jacques pour le féliciter d’avoir gagné le concours.

Ensuite, Jacques pose une question à Enzo :

A travers cette question, on peut penser que Jacques utilise la stratégie de l’offreur qui consiste à montrer de l’excitation et de l’impatience. Mais l’attitude de Jacques est assez calme et cette question semble être l’expression de la surprise de recevoir ce cadeau et aussi la curiosité que cela suscite en lui. En tous cas, cette intervention apparaît comme un FFA pour la face de l’offreur car le receveur montre de l’intérêt pour le cadeau.

Enzo répond à cette question, non pas par une explication du cadeau ou un maintien du suspense mais par une minimisation de son offre. Le fait qu’il utilise cette stratégie en réponse à la question de Jacques nous incite alors à penser qu’il prend la question de Jacques comme l’expression d’une gêne. Enzo interprète la surprise de Jacques comme l’expression d’un embarras. C’est pour cela qu’il répond :

Enzo utilise donc ici la stratégie de minimisation qui consiste à relativiser la valeur de son offre afin de respecter la loi de modestie et de rétablir l’équilibre avec le receveur qui présentait un état de dette. Cette minimisation de son geste est ici exprimée deux fois : « p’tits cadeaux » et « presque rien ». Cette insistance permet à Enzo de sauver la face du receveur mais aussi de mettre la sienne en valeur, ce qui correspond assez aux caractéristiques de son personnage qui est plutôt présenté comme quelqu’un de fier.

L’échange continue avec une demande de confirmation de la part de l’offreur. Cette demande se passe en deux temps. Enzo lui pose deux questions :

On peut voir ici qu’Enzo commence par poser une première question « tu fais toujours collection ? », il ne demande pas directement si le cadeau lui plaît mais il demande « est-ce que j’ai bien choisi ? » « est-ce que c’est bien encore un de tes centres d’intérêt ? ». Jacques répond par l’affirmative à cette question même si le « hinhin » est une réponse timide. Il aurait pu à son tour développer la stratégie de politesse qui consiste à montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix. Face à ce timide « hinhin », Enzo réitère sa question en spécifiant « tu l’avais pas c’’ui-là ? ». Cette deuxième demande de confirmation indirecte apparaît semble-t-il en réaction à la réponse de Jacques qui ne l’a peut-être pas assez rassuré sur son choix de cadeau. Mais sa persévérance va payer puisque Jacques confirme qu’il n’avait pas ce dauphin mais surtout il lui dit que celui-ci est « superbe ». C’est ce compliment qui réalise ici la stratégie montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix et cette stratégie de politesse sera renforcée ensuite par un remerciement direct qui vient clore sa réponse de manière explicite.

Satisfait de la réponse, Enzo peut de nouveau utiliser la stratégie de minimisation en répondant :

Cette nouvelle minimisation apparaît ici comme un « accusé de réception » du remerciement direct et indirect de Jacques. Il sauve la face du receveur et se présente à nouveau comme un personnage modeste, très « grand prince ». Les félicitations indirectes qu’il réitère par la suite servent ici à montrer que le personnage est « beau joueur » et qu’il accepte la défaite, à travers ce cadeau il tente de sauver sa face par rapport à la perte du concours

Cet exemple d’offre au cinéma se présente comme un dialogue plutôt vraisemblable dans le sens où on retrouve un certain nombre de stratégies de politesse et que le déroulement de l’interaction est proche de celui d’une interaction authentique. Bien sûr les personnages ont des caractéristiques qui ressortent à travers le dialogue : la timidité de Jacques, la fierté d’Enzo. On peut remarquer que l’offre d’un cadeau peut être un bon moyen pour le cinéaste de mettre en avant les caractéristiques d’un personnage car une situation d’offre est un moment chargé en émotions donc les personnages peuvent un peu se dévoiler. Nous développerons d’ailleurs cette idée plus précisément dans la quatrième partie en approfondissant l’étude sur l’expression des émotions.