2. Le père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982)

Nous avons choisi d’analyser cet extrait du Père Noël est une ordure car cette scène est extrêmement complète au niveau de l’utilisation du travail de figuration et de l’exagération. Cette comédie caricature de manière très pointue la situation d’offre.

Nous allons voir que l’ensemble des stratégies de politesse est utilisé par les personnages.

Dans cette scène, deux cadeaux sont offerts mais nous nous intéresserons ici seulement au premier, lorsque Thérèse offre un gilet à Pierre. Voici tout d’abord l’extrait dans son intégralité.

Nous pouvons tout d’abord constater que la scène d’offre ne débute pas tout à fait de manière classique puisque le receveur découvre le cadeau et se montre pressant et impatient auprès de l’offreuse. Nous n’avons pas eu cette situation pour notre corpus authentique mais nous pouvons très bien imaginer que cela soit possible dans la réalité. Le receveur en découvrant le cadeau avant l’offre, tient un moyen évident d’appliquer la stratégie de politesse qui consiste à montrer son excitation et son impatience.

Pierre commence donc par aller voir Thérèse pour lui faire part de sa découverte.

Nous retrouvons ici la formule principale de cette stratégie qui est le fameux « qu’est-ce que c’est ? ». La particularité ici c’est que Pierre utilise cette stratégie avant que Thérèse ne lui ait offert le paquet. Thérèse qui a été surprise répond par un évitement.

Nous pouvons constater que c’est le principe du cadeau-surprise qui est évoqué à ce moment. Thérèse essaye de maintenir le suspense de l’objet-surprise et même la surprise de faire un cadeau alors qu’à Noël le cadeau est prévisible. En répondant à Pierre « c’est rien du tout ça » elle souhaite préserver le moment de l’offre même. Elle nie l’existence d’un cadeau pour maintenir la surprise. On peut même penser que cette remarque va aiguiser la curiosité de Pierre qui sera encore plus pressant. C’est une remarque que nous avons pu entendre de la part d’une mère avec son enfant : l’enfant demande à sa mère ce qu’elle va lui offrir pour son anniversaire et elle répond « mais rien j’ai pas de cadeau ». S’installe alors un jeu où l’enfant insiste pour connaître son cadeau et la mère persiste dans son mensonge sachant pertinemment que l’enfant sait que ce n’est pas vrai.

D’ailleurs l’intervention « qu’est-ce que vous avez fouiné ? » vient appuyer cette théorie car, par cette remarque, elle signale que c’est bien un cadeau qu’il n’aurait pas dû voir.

Pour ne pas se retrouver trop en demande et perdre la face, Pierre choisit alors d’aiguiser la curiosité de Thérèse à son tour.

Le mot est lâché : « surprise ». Pierre ne dit pas qu’il a un cadeau pour elle mais une surprise. C’est bien cette notion qui s’applique ici. Faire une surprise peut être une chose importante dans le cadeau car elle est plus risquée pour les faces des participants. Pierre rétablit l’équilibre en essayant de créer de l’impatience et de l’excitation chez elle.

Un peu plus tard, Pierre revient à la charge en montrant toujours son impatience et son excitation vis-à-vis du cadeau qu’il a trouvé.

(Pierre est dans la cuisine et parle à Thérèse qui est au téléphone dans le salon)

Il emploie ici toujours la stratégie qui consiste à montrer sa curiosité pour le cadeau, mais il utilise une méthode qui consiste à essayer de deviner le contenu du paquet. Dans ce cas, le receveur ne doit bien sûr pas répondre ou alors de façon mensongère. C’est ce que fait Thérèse car elle ne répond pas à Pierre et continue sa conversation téléphonique. Puisque Pierre n’obtient pas de réponse, il essaye une autre méthode. Il prend le paquet et se dirige vers Thérèse.

L’impatience de Pierre est ici à son comble, ce que Thérèse assimile à une impatience d’enfant. Il suffit d’observer des enfants le soir de Noël pour voir leur excitation et leur impatience. La stratégie de l’impatience étant arrivée à son terme, Thérèse décide de passer au moment de l’offre proprement dite.

L’impatience de Pierre permet à Thérèse de lui donner son cadeau avec une certaine fierté car il a déjà été l’objet de nombreuses curiosités et intérêts. Mais elle atténue tout de suite ce mouvement de fierté par une attitude gênée qui minimise son offre. Le fait que Pierre lui porte tend d’intérêt la pousse à minimiser le cadeau.

Thérèse souligne l’impatience de Pierre par l’intervention « bon puisque vous ne pouvez pas attendre trois secondes ».

Nous avons aussi ici la parole d’accompagnement du don « joyeux noël Pierre », elle utilise une formule votive qui précise l’événement pour lequel ce cadeau est offert. Nous avions pu voir dans notre corpus authentique que 43 % des paroles d’accompagnement du don se présentaient sous la forme « joyeux + événement ».

Pierre commence par exprimer sa surprise. Ce décalage entre sa surprise et le fait qu’il a compris depuis plusieurs minutes que ce cadeau est pour lui créé l’effet comique. Il y a ensuite un premier remerciement explicite intensifié « merci beaucoup ». Ce remerciement, qui apparaît après la parole d’accompagnement du don et avant l’ouverture du paquet, peut apparaître comme un remerciement d’acceptation du cadeau, ou comme un remerciement du geste, on pourrait entendre « merci de me faire un cadeau ». D’ailleurs Pierre vient compléter ce remerciement par l’expression de sa gêne de recevoir ce cadeau « i il fallait pas vraiment c’est c’est ». Les petites hésitations dans cette phrase permettent d’intensifier l’embarras. Pierre utilise ici une stratégie de politesse qui consiste à montrer sa gêne pour valoriser la générosité de l’offreur et flatter sa face. La formule « il fallait pas » n’apparaît pas dans notre corpus authentique alors qu’elle apparaît plusieurs fois dans notre corpus cinématographique. Il nous semble qu’en fait cette formule apparaît lorsque le lien entre les personnes n’est pas encore très établi. On peut supposer que dans cet extrait cette formule permet de marquer une certaine distance ou une certaine gêne, que l’on retrouve plus loin dans le film, entre ces deux personnages. Cette expression peut être le révélateur de la relation un peu ambiguë entre ces deux personnages qui apparaissent un peu sur leur réserve.

Cet échange est d’ailleurs révélateur du malaise qui existe entre ces deux personnages, car le geste simple de se faire la bise devient compliqué. On sent bien qu’il existe une gêne entre eux, même si à travers cette offre ils cherchent à établir une relation plus profonde.

La bise apparaît ici comme un remerciement avant l’ouverture du cadeau. Dans notre corpus authentique, il est plus habituel de trouver la bise après l’ouverture du cadeau, c’est plus souvent un remerciement qui arrive à la fin de la séquence pour clôturer les remerciements.

Thérèse utilise ensuite la stratégie de demander confirmation au receveur « j’espère que ça vous plaira » en appuyant sa demande par une justification de son inquiétude « c’est dur avec vous vous avez tout ↓ ». Cette stratégie apparaît avant l’ouverture du cadeau et on peut supposer que dans ce cas-là, l’offreuse attend une réponse favorable et rassurante sur sa capacité à choisir un cadeau. L’offreuse de cette façon prévient le receveur et cela peut même être interprété comme « j’espère que tu me confirmeras bien que j’ai fait le bon choix par la suite ». C’est une demande préalable pour être sûr que le receveur va lui dire que ça lui plaît.

Pierre répond à cette demande de manière un peu déviante. On aurait pu s’attendre à une réponse comme « oh oui je suis sûre que ça va me plaire » ou « vous choisissez toujours bien », etc. Mais le receveur répond sur la capacité de l’offreur à offrir au moment opportun « oh non écoutez Thérèse rien qu’ d’avoir pensé qu’ c’était Noël c’est déjà formidable ». Pierre utilise une manière implicite de remercier tout à fait excessive. Cette remarque un peu décalée permet à l’auteur d’appuyer l’effet comique car penser que c’est Noël est évidemment hors de propos. On peut évoquer ça pour un anniversaire, on peut remercier un offreur d’avoir pensé à son anniversaire, mais pas pour Noël. On peut faire l’hypothèse que c’est un raté de formulation et que Pierre voulait remercier Thérèse d’avoir pensé à lui à l’occasion de Noël. Mais nous allons voir que Thérèse ne répond pas à cette remarque.

Pierre continue ensuite en valorisant le paquet « OH::: (il regarde le paquet d’un air ravi ) ». Nous avons pu voir que l’emballage du cadeau a son importance et c’est cela que Pierre met en valeur à travers son interjection.

Mais Thérèse commence à s’impatienter et demande à Pierre de passer à la suite rituelle de l’offre du cadeau : l’ouverture du paquet. Ordinairement, l’offreur ne demande pas au receveur d’ouvrir le cadeau c’est pourquoi elle manifeste un peu de gêne à lui demander cela. Cette demande apparaît comme l’expression de l’impatience de l’offreuse à voir la réaction du receveur face au cadeau.

Pierre complimente à nouveau le paquet-cadeau en utilisant une formule un peu décalée « mais écoutez de l’extérieur c’est c’est magnifique », d’autant plus que l’emballage cadeau ne présente rien de particulièrement joli. Puis il commence à ouvrir le paquet en exprimant des interjections bien appuyées « OH::: OH::::::: » qui expriment le contentement. Nous l’avons vu précédemment ces interjections apparaissent comme exagérées par rapport à la manière dont elles sont appuyées.

Mais lorsqu’il découvre le contenu du paquet, il exprime sa déception et son dégoût par l’interjection « AH:::: » qu’il appuie avec une intonation importante et exagérée, et en tenant le gilet du bout des doigts. L’ouverture du paquet et la découverte du contenu vont faire apparaître une rupture dans la scène car c’est à partir de ce moment-là que Pierre va effectuer un trope communicationnel. Nous allons voir que dans tout le reste de la scène les paroles et les gestes de Pierre ne seront pas interprétés de la même façon par le spectateur et par Thérèse54.

Pierre effectue un premier remerciement focalisé sur le cadeau « oh une serpillière c’est formidable », puis un deuxième remerciement focalisé sur le receveur « je suis ravi ». Pierre effectue bien le travail de figuration mais c’est le moment « clé » de la scène où Pierre se trompe sur la nature de l'objet. Pierre pense que c'est une serpillière alors que c'est un gilet qu'a tricoté Thérèse. Tout le comique de la scène est dans cette erreur.

En revanche contrairement aux autres interventions celle-ci est perçue par Thérèse qui corrige timidement. Il y a une différence d'interprétation entre le spectateur qui voit ça comme un FTA et Thérèse qui corrige gentiment l'erreur sans se vexer.

Pierre essaye de sauver la face après cette faute, mais sa remarque est maladroite. On peut noter que les répétitions expriment sa gêne. Mais avec cette réflexion, il « s'enfonce » encore plus dans une position offensante pour Thérèse. Il tente de rattraper son erreur mais la formulation qu’il emploie est ambiguë. Expliquer qu'il reconnaît que c'est un gilet parce qu'il y a des trous plus grands que d'autres pour mettre les bras n'est pas une remarque flatteuse pour Thérèse. Pourtant, dans la suite logique de la scène, Thérèse ne réagit toujours pas à ce nouvel acte menaçant pour sa face, alors que la menace est d'autant plus forte que c'est elle qui a fabriqué l'objet. De plus, cette réaction est inappropriée et exagérée : après une erreur de ce type, on s'attend à ce que le receveur présente des excuses ou à défaut garde le silence et enchaîne avec des remerciements.

Les remerciements arrivent ici sous la forme de remerciements focalisés sur le receveur. Il intensifie ceux-ci en utilisant la répétition et une intonation appuyée. La répétition nous permet de penser qu’il est encore un peu hésitant et qu’il tente de rattraper son erreur en insistant sur le remerciement, même si on peut noter qu’il ne focalise pas le remerciement sur le cadeau.

Thérèse explique pourquoi elle a fait ce choix pour essayer de sauver sa face et c’est aussi une demande indirecte de confirmation. Elle attend que le receveur la rassure en produisant un FFA qui confirme qu’elle a fait le bon choix. Le débit rapide de son intervention nous montre son inquiétude.

Pierre montre à Thérèse qu’elle a fait le bon choix. Il sauve sa face en répondant de façon rassurante à sa demande de confirmation. Ensuite Pierre enfile le gilet pour montrer à l’offreur que le cadeau lui plaît.

Thérèse poursuit en utilisant de nouveau une stratégie de politesse qui consiste à plaider sa cause dans l’attente que le receveur valide positivement la remarque. Elle valorise le cadeau en vantant le côté unique de l'objet « fabriqué main ».

Pierre donne une réponse qui, ici aussi, peut être interprétée de deux façons. Le spectateur comprend : « j'espère bien qu'il n'existe qu'une horreur comme celle-ci » alors que Thérèse semble rassurée par la réponse déterminée de Pierre. Elle croit qu’il s’exprime sur l’originalité du cadeau.

Pierre poursuit dans la stratégie montrer à l’offreur qu’il a fait le bon choix. Cela devrait donc se présenter comme un enchaînement préféré, mais Pierre transgresse cette règle en justifiant l'utilité du cadeau de façon dégradante puisqu’il explique qu’il utilisera ce gilet pour descendre les poubelles. Le choix de la fonction du cadeau apparaît comme négatif, ce n'est pas une réflexion flatteuse pour Thérèse.

Mais contrairement à la réaction de défense ou de déception attendue, Thérèse termine la scène en formulant explicitement sa joie de voir que le cadeau plaît à Pierre. Il semble qu'il y ait un décalage entre ce que perçoit le spectateur et ce que perçoit Thérèse.

Cette analyse nous permet de nous arrêter sur le fait que certaines formulations de Thérèse se rapprochent de celles prononcées par T dans la séquence authentique 23 (« le vase ») que nous avons analysé dans la deuxième partie.

Nous allons observer la ressemblance de l’utilisation des stratégies de politesse de demande de confirmation et d’explication du choix.

Cette ressemblance nous permet d’imaginer que cette scène du Père Noël est une ordure relève d’un travail minutieux de la part de l’auteur des dialogues55. Cette scène fait appel à presque toutes les notions que nous avons évoquées auparavant pour les interactions authentiques. On peut constater que toutes les stratégies de politesse sont employées et comme pour les interactions authentiques, c’est l’offreuse qui utilise le plus de stratégies pour sauver sa face et le receveur qui emploie le plus de stratégies pour sauver la face de l’offreuse. De plus, le décalage et les exagérations amenées par les auteurs nous permettent de mettre à jour tous les problèmes qu’apporte ce type de situation. Cette scène soulève le problème de la sincérité en situation d’offre, c’est-à-dire la différence entre les émotions ressenties et exprimées56, le travail de figuration est minutieusement représenté. C’est bien la difficulté d’effectuer ce travail de figuration qui est représenté ici. Les auteurs mettent le doigt sur cette difficulté et utilisent divers procédés comme le trope communicationnel et les exagérations pour faire rire le spectateur.

Notes
54.

Nous noterons que l’importance du trope communicationnel dans cette scène peut aussi s’expliquer par le fait que Le père Noël est une ordure était une pièce de théâtre avant d’être adapté au cinéma.

55.

Les dialogues ont été écrit à plusieurs mains par la troupe du Splendid : J. Balasko, G. Jugnot, C. Clavier, M.-A. Chazel, T. Lhermitte, B. Moynot.

56.

Nous développerons ces notions plus précisément dans la quatrième partie.