UNIVERSITE LUMIERE-LYON 2
École doctorale sciences sociales
Institut d’Études Politiques de Lyon
Équipe de recherche : Triangle
Pouvoir et culture dans une ville moyenne : Annecy 1965-1983
Le pouvoir municipal à l’épreuve de la construction d’une politique culturelle
Thèse de doctorat en science politique
Sous la direction de Gilles POLLET,
Présentée et soutenue publiquement le 13 octobre 2008.
Composition du jury :
Vincent DUBOIS, Professeur des universités, l'Institut d'Études Politiques de Strasbourg
Gilles POLLET, Professeur des universités, Institut d’Études Politiques de Lyon
Guy SAEZ, Directeur de recherche, C.N.R.S
Gilles MASSARDIER, Maître de conférence HDR, Université Lyon2
Philippe POIRRIER, Professeur des Universités, Université de Bourgogne

Contrat de diffusion

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Dédicace

A Jean Le Veugle, directeur du centre des Marquisats à Annecy de 1945 à 1950, dont la mémoire et l’amitié ont soutenu mon travail.

Avant-propos

Le visiteur attentif qui découvre Annecy et la rive du lac ne peut manquer de remarquer que la ville est “ bornée ” par quelques bâtiments publics importants qui se détachent dans le paysage. A l’extrémité est de la ville, au bout de l’avenue d’Albigny, l’allée de platanes offerte par l’Empereur Napoléon III en 1860, à l’occasion des fêtes de l’Annexion, l’Impérial Palace, construit en 1913, comprend un hôtel de luxe, totalement rénové en 1994, un centre de congrès et le casino. A l’autre extrémité de la ville, à la sortie sud, ensemble de béton brut, caractéristique de l’architecture moderne des années 60, se dresse le centre des Marquisats, actuellement école des arts et centre des musiques amplifiées, anciennement maison des jeunes et de la culture (MJC). Entre ces deux extrémités, face aux grandes pelouses qui marquent le centre de la ville et en sont le point d’animation, le centre Bonlieu abrite un petit ensemble commercial, mais surtout la bibliothèque municipale, la maison du tourisme et le centre culturel, Bonlieu Scène Nationale (BSN). A mi-chemin entre les Marquisats et Bonlieu, l’hôtel de ville, construit par les ducs de Piémont-Sardaigne, dans leur style bien marqué, une dizaine d’années avant l’Annexion de 1860, témoigne de l’effort de conquête des rives du lac au XIXème siècle. Enfin, à deux pas de Bonlieu, à l’entrée de l’allée de platanes napoléonienne, la préfecture signe l’intégration de la ville dans la grande famille des chefs lieux de départements de la France, en 1860.

Ainsi le bord du lac rassemble-t-il de manière quasiment symbolique les lieux du pouvoir, mairie et préfecture, alternant avec deux équipements culturels importants, les Marquisats et Bonlieu. Le visiteur curieux pourrait s’étonner de la qualité des sites dédiés à la culture à Annecy, à égalité avec ceux occupés par les détenteurs du pouvoir politique, en une figure assez singulière.

Cette répartition, forte symboliquement, des grands bâtiments publics sur les rives du lac, n’est pas le fruit du hasard, aussi heureux fût-il, mais d’une histoire assez récente, qui a marqué profondément la ville. Le centre Bonlieu est désormais entré dans le paysage de la ville, et nulle critique ne vient maintenant remettre en cause une implantation qui a pourtant soulevé bien des polémiques. Le centre des Marquisats, après la liquidation judiciaire de la MJC en septembre 1993, vit maintenant au rythme scolaire d’un établissement d’enseignement artistique, et seule, l’ancienne salle de spectacles de la maison des jeunes et de la culture, devenue le Brise Glace  pour accueillir les concerts de “ musiques amplifiées ”, rappelle encore de temps à autres que les jeunes peuvent représenter une source d’inquiétude.

Ainsi les fonctions politiques et culturelles cohabitent-elles sereinement au bord du lac. La presse nationale et les instances parisiennes ou régionales de la culture se plaisent d’ailleurs à souligner la permanence de cette cohabitation, la qualité du travail effectué en matière culturelle, et la richesse de la ville sur ce plan, illustrée entre autres par le Festival international du cinéma d’animation. La limpidité et la quiétude des eaux du lac semblent refléter la stabilité politique et culturelle de la ville, et ceci d’autant plus qu’une famille occupe la mairie depuis 1954, Charles Bosson de 1954 à 1975, son fils Bernard de 1983 à la fin de l’année 20061, un ami de la famille, André Fumex, ayant assuré la transition entre 1975 et 1983, lorsque le père dut abandonner sa charge pour raisons de santé. De même, le centre culturel né en 1971 sous le nom d’Annecy Action Culturelle (AAC) n’a pas connu de crise majeure sous la direction, de 1971 à 1997, d’un directeur qui a assuré le développement de l’action et la permanence de la structure, dans une relation stable avec la mairie.

Une saison riche de productions théâtrales, musicales et chorégraphiques, rehaussée par de grands événements, particulièrement dans le domaine du cinéma, une fréquentation assidue par le public, un rayonnement fort, et surtout une absence de crise majeure dans la gestion de cette action culturelle, que ce soit en matière financière ou en termes de personnes, ont ancré au fil des ans la certitude qu’Annecy et la culture formaient un couple uni, sous l’autorité bienveillante d’une municipalité entièrement acquise à cette cause, et dont la stabilité garantissait la pérennité.

D’ailleurs, dans cette représentation de l’histoire de la ville et de la culture, bien des éléments viennent étayer cette vision des choses. A commencer par la très abondante littérature de type sociologique qui a accompagné le développement de l’action culturelle tout au long des décennies. Bien sûr, Joffre Dumazedier est le principal initiateur de ce mouvement de réflexion et d’analyse qui pendant trente ans a fait d’Annecy un terrain d’étude privilégié pour la toute nouvelle sociologie des loisirs dont il fut le pionnier. Fondateur du mouvement de culture populaire  Peuple et Culture , au sortir de la deuxième guerre mondiale, ses liens personnels et militants avec Annecy et l’équipe de résistants à l’origine d’une action culturelle dans la ville, ses relations et son rôle auprès du jeune ministère de la Culture, en particulier le Service des Etudes et de la Recherche, ont largement contribué à mettre en exergue et faire connaître les développements de la culture à Annecy, non seulement en France mais aussi en Europe, voire au-delà, tant le rayonnement de son travail a débordé le cadre strictement national2.

Le travail de Dumazedier a eu une grande importance en raison, nous l’avons dit de sa diffusion, de son caractère innovant dans le domaine des sciences sociales, mais aussi, localement dans la mesure où ses analyses se sont appuyées sur des éléments purement factuels, mais aussi sur un retour sur l’histoire récente de la ville et de sa libération en 1944, sur le rôle des résistants et des institutions créées à ce moment là. Le travail de Dumazedier a été accompagné par d’autres études et enquêtes, celle du Conseil de l’Europe, puis du Ministère de la Culture. Il en résulte une continuité d’études relatives à la culture à Annecy sur une trentaine d’années, situation unique en France, peut-être seulement comparable au travail effectué aux Etats-Unis par R. et H. Lynd sur le cas de Middletown3.

Continuité politique à la mairie pendant plus de cinquante ans, continuité sans heurts au centre culturel depuis 1971, continuité des études et travaux sociologiques entre 1956 et 1988 : la concordance de ces continuités n’a pas échappé à nombre d’observateurs qui lui ont attribué une valeur exemplaire.

Cette continuité, et en particulier la stabilité politique remarquable de la famille Bosson depuis 1954, pratiquement une des dernières “ dynasties ” politiques en France dans un chef-lieu de département, ne manque pas de susciter des interrogations quant à ses causes : sauf à attribuer quelques vertus particulières à un cadre géographique remarquable, c’est bien dans l’histoire de la ville que les explications sont recherchées. En particulier, l’épisode, considéré comme fondateur, de la Résistance et de la Libération avec les combats de Glières en mars 1944, la création d’un mouvement d’éducation populaire aux Marquisats en septembre de la même année par toutes les composantes politiques de la ville dans un unanimisme libérateur, auraient créé les conditions d’un rassemblement des forces vives autour des valeurs humanistes, d’un projet d’émancipation par la culture. La création de nombreuses associations, dès 1945, et leur participation constante à la mise en place de cette action culturelle apporterait une dimension pluraliste à cette construction politique.

Unanimisme sur les valeurs, consensus sur le rôle de la culture, rassemblement politique pluraliste, expliqueraient cette remarquable stabilité annécienne, qu’aucune crise majeure ne semble avoir jamais troublée, que ce soit dans le domaine politique lors des élections ou dans le domaine culturel, jamais vraiment remis en cause. C’est bien là le point de départ de notre interrogation : comment se construit et se maintient une telle harmonie qui semble défier le temps ? Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer cette permanence ? En relation avec la place de choix donnée dans la ville aux équipements culturels, la culture a-t-elle contribué, et dans quelle mesure, à cette construction politique remarquable ? Les travaux des chercheurs qui pendant trente ans ont suivi la mise en place d’un dispositif d’action culturelle dans la ville nous incitent à reprendre cette piste de travail, qui s’inscrit dans le fil de la recherche que nous avions conduite dans le cadre de notre diplôme d’études approfondies en science politique, Associations et décentralisation : le projet de loi relatif à la promotion de la vie associative de 1981.4 Les rapports entre les pouvoirs locaux, les associations et le champ culturel et socioculturel, formaient déjà une interrogation politique que notre activité professionnelle au sein des services déconcentrés du ministère de la Jeunesse et des Sports avait largement suscitée.

C’est dire que la question du rapport entre le pouvoir local et l’action dans le domaine culturel et socioculturel trouve à Annecy un terrain d’étude privilégié, que la seule familiarité avec la ville n’aurait pu justifier.

Evaluation et développement culturel. Rapport d’évaluation. Ville d’Annecy, 1987, p.51
Evaluation et développement culturel. Rapport d’évaluation. Ville d’Annecy, 1987, p.51
Notes
1.

A l’occasion des vœux pour l’année 2007, Bernard Bosson a rendu publique sa démission de la charge de maire de la ville d’Annecy, conformément à l’engagement qu’il avait pris lors des élections municipales de 2001 de ne pas aller au delà d’un dernier mandat de 6 ans. Sa succession est assurée par son premier adjoint Jean-Luc Rigault. Cf Le Dauphiné Libéré du 6 janvier 2007, ainsi que Le Faucigny du 11 janvier 2007

2.

Comme en témoignent les Mélanges en l’honneur de Joffre Dumazedier-Temps libre et modernité, sous la direction de Gilles Pronovost, Claudine Attias-Donfut et Nicole Samuel, Québec-Paris, Presses de l’Université du Québec et l’Harmattan, 1993.

3.

Lynd Robert S.Helen Merell, Middletown. A study in American Culture, New York, Harcourt and Brace, 1959 ; Middletown in transition. A study of cultural conflicts, New York, Harcourt and Brace, 1964.

4.

Callé Philippe, Associations et décentralisation : le projet de loi relatif à la promotion de la vie associative de 1981, mémoire de DEA de science politique, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 1992, sous la direction de Guy Saez.