L’essor de la ville et ses transformations

Nous l’avons dit en propos liminaire, au sortir de la guerre, Annecy est un petit chef lieu de département de 25 000 habitants environ, encore enserrée dans un tissu urbain étroit, qui avait commencé à s’ouvrir au début du XXe siècle11 Deux vagues successives de modernisation de la petite ville, longtemps restée sous la protection lointaine mais frileuse des souverains de Piémont-Sardaigne, lui ont permis de se doter des attributs d’un chef lieu de département : le Second Empire avait édifié la préfecture, l’hôpital, la Banque de France, la gare pour accueillir la toute nouvelle desserte ferroviaire ; la IIIe République complète cet équipement par des haras nationaux, les lycées de garçons, puis de jeunes filles, la caserne Galbert dans les années 1880-90, puis un peu plus tard la poste ; les années 30, outre la création et l’ouverture de nouvelles voies qui aèrent la ville, complètent cet équipement avec des groupes scolaires, une salle de sport, un casino municipal, la plage d’Albigny, une caserne de gardes mobiles.

Du tourisme a l’industrie : la production d’électricité

Il faut noter que plusieurs projets importants concernent l’activité touristique de la ville : son ouverture sur la France en 1860, si elle avait mis un terme au protectionnisme sarde sur une économie de type préindustriel, et somme toute fragile, avait en revanche favorisé une insertion dans le premier mouvement qui se dessinait en faveur du tourisme. Dès lors, la vocation touristique de la ville ne se démentira pas, avec la construction de grands hôtels comme celui de l’Impérial en 1913. La création en 1902, par un entrepreneur local, de la Société des Forces du Fier, pour exploiter la ressource hydraulique de la rivière proche de la ville, déversoir des eaux du lac, s’inscrit dans cette perspective, car elle vise à assurer la traction électrique d’un tramway à vocation touristique en direction de Thônes et du massif des Aravis. Cette initiative, si elle ne permet finalement pas de rentabiliser l’exploitation de ce tramway qui disparaît en 1930, dote la ville d’une ressource en énergie bon marché, qui va être directement le point de départ de son renouveau industriel12.

L’industrie traditionnelle qui fait vivre la ville sous le régime sarde, s’appuie essentiellement sur une manufacture de tissage, propriété d’une famille genevoise, les Laeuffer, qui par ailleurs possèdent de grands terrains dans la ville, dont deux au moins, les clos des Marquisats et de Bonlieu, accueilleront les équipements culturels des années 1960-70. Outre cette manufacture qui vivra difficilement après l’ouverture sur le marché français, les petites productions de cierges, galoches, bijouterie, outillage et minoterie sont relayées au début du XXe siècle par les Papeteries et les Forges de Cran, grâce à l’énergie électrique, puis par une usine de roulements, d’origine helvétique également. D’ores et déjà, si l’énergie est bien produite grâce à des capitaux locaux, le renouveau industriel s’appuie par contre essentiellement sur des capitaux suisses, genevois en particulier. Bénédicte Serrate, dans sa thèse d’économie du développement13 ayant pour objet le cas annécien, estime prépondérante la part des capitaux suisses dans ce renouveau de l’entre-deux-guerres centré sur la métallurgie. La ville est alors, pour ce qui est de l’emploi, une ville industrielle bien plus que touristique.

Les lendemains de la seconde guerre mondiale, avec la reconstruction du pays, donnent un nouvel essor industriel à la ville, fondé non plus sur l’apport helvétique, mais sur la décentralisation industrielle mise en place par les gouvernements de l’après-guerre. C’est ainsi que s’implantent à Annecy ou dans les environs immédiats Alcatel et Gillette en 1953, la SICN (combustibles nucléaires) en 1954, Reboul Sofra (cosmétique, qui reprend une usine Lancôme) en 1961, Marcel Dassault en 1962. Par ailleurs l’usine de roulements, passée dans le giron de la Régie Nationale des Usines Renault, connaît un développement remarquable. De ce développement industriel de l’après-guerre, il faut dégager plusieurs traits singuliers : tout d’abord, il place Annecy dans une situation indéniable de ville industrielle, le tourisme n’étant plus qu’une activité saisonnière qui se réveille tous les ans avec les beaux jours. D’autre part, une nouvelle fois, et peut-être encore plus que dans l’entre-deux-guerres si l’on suit Bénédicte Serrate, ce développement est essentiellement de nature exogène : les capitaux d’origine locale sont assez rares, si l’on excepte quelques entreprises de fondation annécienne, comme Salomon (dont l’essor réel sera plus tardif). Pour faire simple, il n’y a pas un milieu industriel annécien très important, mais des dirigeants d’entreprises venus de l’extérieur. Leur implication dans la vie publique locale sera limitée, si l’on excepte le cas du directeur général de Gillette, engagé dans la vie théâtrale comme auteur de pièces sous le nom de Michel Vinaver.

Enfin et surtout, la conséquence essentielle de cet essor réside dans la démographie : au recensement de 1946, la population s’établit à 26 722 habitants. En 1968, elle atteint 54 484 habitants, pour commencer à décliner ensuite14. Pierre jacquier et Marie-Thérèse de Nomazy s’accordent pour considérer que cet accroissement de population est constitué pour partie d’un apport de population extérieure au département, attirée par les créations d’emplois et le cadre de vie, pour l’autre partie par une main d’œuvre rurale du département, libérée par la modernisation agricole, avec des situations de pluri-activité assez répandues et favorisées par l’activité touristique. Des salaires relativement élevés dans des industries modernes, un fond catholique très prononcé, des positions de repli assurées, tout ceci aurait contribué, selon Bénédicte Serrate, à créer des rapports sociaux assez peu conflictuels, dans lesquels le consensus apparaît comme une valeur forte. En tout état de cause, jusqu’aux années 80, la municipalité d’Annecy n’a pas eu dans le domaine industriel et économique, de préoccupation majeure : le développement s’est effectué de manière assez libérale, sans interférence notable avec les pouvoirs publics locaux ; les rapports sociaux, sur fond de prospérité indéniable, n’ont jamais tendu l’atmosphère de la cité. Il restait aux élus la tâche importante de moderniser celle-ci, d’apporter des réponses urbanistiques à la croissance démographique, d’accompagner cette croissance par une mise en valeur du cadre de vie, et de faire face aux changements sociaux qui ont accompagné cette évolution.

Notes
11.

Nous reprenons sur ce point les analyses de Georges Grandchamp « Urbanisme et fonction urbaine de 1860 à nos jours » dans Histoire d’Annecy, Toulouse, Privat, 1987. Georges Grandchamp fut maire-adjoint chargé de la culture de 1959 à 1983. Par ailleurs il avait été l’un des membres fondateurs du centre des Marquisats en 1944.

12.

Ce développement industriel à partir de la production d’énergie hydraulique est retracé par Raoul Blanchard, membre de l’Institut, dans son étude Naissance et développement d’Annecy, Annecy, Société des Amis du Vieil Annecy, 1956, réédition 1977, p. 85-92.

13.

Serrate Bénédicte, Industrialisation et développement à Annecy. Une approche à partir de la notion de Système Productif Local, thèse en économie du développement, Université de Savoie, 1989.

14.

Voir : Jacquier Pierre, “ Annecy et son agglomération. Evolution démographique jusqu’en 1975 ”, Cahiers de documentation N°7, Les Amis du Vieil Annecy, Annecy, 1979 ; de Nomazy Marie-Thérèse, Evolution d’Annecy, de sa région et de ses quartiers, Mairie d’Annecy, 1985.