La maison des jeunes et de la culture des marquisats : entre l’héritage et l’invention

Si nous revenons plus spécifiquement sur le cas de la Maison des jeunes et de la Culture des Marquisats, c’est en raison de son antériorité, ainsi que nous venons de le voir, mais surtout du fait de l’ampleur du développement de son projet initial au fil des ans, notamment pour ce qui est de l’équipement destiné à abriter ses activités, et qui dans la période que nous avons retenue, représente un des engagements majeurs au plan local en termes d’investissement, non seulement immobilier, mais aussi dans le domaine de la politique municipale. De plus les origines de la MJC telles que nous venons de les rappeler, la mobilisation autour de la fermeture du centre en 1950, ont érigé la maison d’Annecy en modèle pour la jeune Fédération des MJC, qui y teste souvent ses futurs directeurs172.

Cependant, ces éléments ne doivent pas faire oublier la genèse singulière de cette association ; Georges Denviollet, le premier directeur nommé en 1946 rappelle dans un texte non daté, mais antérieur au déménagement aux Marquisats, cette genèse :  “ Elle n’est pas un mouvement de jeunesse, ni un groupement ayant des buts politiques ou religieux. Ce n’est pas une initiative privée ou gouvernementale visant au paternalisme ou à l’embrigadement de la jeunesse. C’est tout simplement un service mis à la disposition des garçons et des filles permettant l’occupation saine de leurs loisirs, et la poursuite de leur culture personnelle 173.

Le rappel de cette création par l’équipe du Centre éducatif des Marquisats marque bien le fait que dès le départ, cette structure est conçue, non comme l’expression d’un mouvement social, ou politique, mais bien comme un outil dont la neutralité est revendiquée. Deux éléments essentiels paraissent devoir retenir notre attention. Tout d’abord la gestion de l’association est assurée par un conseil composé essentiellement de représentants d’organismes très diversifiés : scoutisme français, CGT, CFTC, syndicat des instituteurs, ciné-club, Peuple et Culture, Union des jeunes filles de France (UJFF), Action catholique de la jeunesse française (ACJF) pour citer les principaux. Nous ne sommes pas en présence d’un groupement volontaire d’individus, mais bien d’une forme déjà très institutionnalisée, à l’image de ce qu’était le Centre éducatif des Marquisats, et selon une démarche pluraliste, comme en témoigne la cohabitation d’un mouvement catholique comme le scoutisme français avec des mouvements proches du Parti Communiste, comme l’UJRF (Union de la Jeunesse Républicaine de France). La recherche de participation d’institutions diversifiées associées à la gestion de la maison sera une constante dans l’histoire des Marquisats. Bien entendu les usagers, adhérents individuels, ne sont pas exclus de la gestion de la structure : les statuts d’origine prévoient dans le comité de gestion un siège pour le représentant des usagers, au même titre que les représentants des autres mouvements associés. Lors de l’assemblée générale du 26 novembre 1947174, la maison des jeunes d’Annecy adopte les nouveaux statuts types que la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, après accord de la Direction générale de la Jeunesse et des Sports, propose aux associations locales175 : c’est désormais une association locale, dotée d’un conseil d’administration composé à parité de représentants des adhérents d’une part, de membres de droits et de membres associés d’autre part, représentant les pouvoirs publics et les groupements locaux. Le président élu à cette occasion, Eugène Duchêne, un instituteur, membre du syndicat CGT des enseignants176, va occuper cette fonction jusqu’en 1967, au moment de l’entrée dans les nouveaux locaux. Au total, c’est donc une association déjà très fortement institutionnalisée qui, de manière singulière pour cette époque, porte le projet d’un équipement spécifique à destination des jeunes.

Le second point important concerne la recherche permanente d’un développement et des activités en direction des jeunes d’une part, et des services que l’on pourrait qualifier de sociaux, à savoir la restauration et l’hébergement, d’autre part. Si la création d’activités paraît logique, il ne faut pas en oublier le caractère novateur à l’époque, surtout sous une forme non spécialisée, puisque la MJC propose des activités sportives, un ciné-jeune, des cours d’anglais, un bar, une bibliothèque, etc... Les conseils d’administration soulignent combien les jeunes sont nombreux dans le petit local d’origine, mais en revanche ils regrettent que peu participent aux activités177. Si la MJC représente bien un lieu d’accueil de jeunes à qui elle offre des services alors nouveaux, on ne peut pas dire pour autant que les jeunes de la MJC représentent un groupe de pression caractérisé, porteur d’une revendication explicite. La MJC des Marquisats représente donc dans les années 1960 une institution très établie aussi bien dans son fontionnement statutaire que dans ses activités inscrites dans une perspective de service public : elle ne représente pas un groupe d’intérêt opposé à la municipalité, mais au contraire un groupe de pression désireux d’accentuer la catégorisation de la politique locale vers une approche sociale et culturelle. En ce sens la contestation du pouvoir local n’est pas son objectif principal, même si par ailleurs, au sein des instances participent nombre d’opposants poltiques au maire, notamment parmi les représentants syndicaux.

La recherche de locaux plus spacieux occupera une bonne partie de l’énergie des administrateurs jusqu’au transfert aux Marquisats. Alors la MJC peut développer le volet social de son action en reprenant des installations, certes en état médiocre, mais offrant pour l’époque des possibilités exceptionnelles, notamment en matière de logement et de restauration des jeunes ouvriers, alors qu’il n’existe à ce moment rien de semblable dans la ville. Le directeur qui succède à Georges Denviollet en 1953 à la tête de la MJC, Marc Malet a rapporté ses souvenirs et ses réflexions sur cette période dans un texte publié dans la brochure du 40e anniversaire de la MJC en 1985178. Il fait ressortir nettement les deux “ moteurs ” du développement de la maison : la recherche d’un équilibre financier par la vente de produits tels que les repas, mais qui nécessitent des moyens de production adaptés, c’est à dire des locaux plus spacieux et plus modernes ; le souci de poursuivre l’action du centre éducatif qui avait été fermé, par l’accueil des sessions de formations de cadres pour les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, et le développement des échanges internationaux initiés par l’équipe précédente en second lieu179. Là aussi, l’état des locaux s’avère vite être une limite à ce projet ambitieux, d’autant plus que l’occupation des lieux est précaire et que l’urbanisation rend les terrains des Marquisats attractifs, malgré leur relatif éloignement du centre ville. Dès lors, un des objectifs majeurs de l’association est d’obtenir de la municipalité la construction de locaux à la hauteur de son histoire et de son projet.

La genèse de cette construction a été rapidement retracée par Marc Malet, le directeur de 1953 à 1963, dans le texte que nous avons cité plus haut. Le recours aux archives de la MJC permet de compléter ce récit et de reconstituer les différentes phases d’un processus qui a duré près de vingt ans, et surtout qui a provoqué, de la part de la municipalité, de nombreux atermoiements. Le développement continu des activités avait dès 1956 engagé l’association à recruter un directeur adjoint sur ses fonds propres, ce qui en faisait déjà, à l’époque, une exception. Mais la question de la construction de locaux neufs, posée régulièrement au représentant du conseil municipal au conseil d’administration de la MJC, dès 1955-56, se heurte tout aussi régulièrement aux priorités arrêtées par la municipalité.

Ce projet de construction comprend deux éléments distincts : d’une part, l’acquisition du terrain d’assiette, le Clos des Marquisats de 13,5 ha, que seule la municipalité peut réaliser auprès de Maître Laeuffer, le propriétaire ; d’autre part, le financement de la construction proprement dite d’un équipement dont le programme reste à déterminer.

Dès le conseil d’administration du 12 juin 1956180, Marc Malet avance l’idée d’un Foyer de Jeunes Travailleurs annexé à la MJC, équipement dont le financement est en grande partie assuré par la Caisse Nationale d’Allocation Familiales et le ministère de la Population, ce qui serait une contribution importante au budget global, en même temps, espère-t-il, une incitation forte auprès de la mairie.

Mais la municipalité, prudente devant certaines activités de la MJC et la réputation de politisation héritée du Centre Educatif, avance ses propres priorités pour retarder son engagement dans ce projet. Ainsi, lors de la réunion du conseil d’administration du 29 janvier 1959181, un incident oppose le maire adjoint Paul Servettaz au trésorier de la MJC, Bernard Riguet, à propos des tergiversations de la Mairie. Le maire adjoint rétorque assez brutalement que le projet de MJC n’aboutira pas avant la suppression des passages à niveau qui entravent encore la circulation dans la ville. Même s’il ajoute que désormais, “ les étiquettes injustes et partisanes qui faisaient tort à la MJC ” ont été enlevées. A l’assemblée générale du 24 avril de la même année, Charles Bosson, réélu depuis le 15 mars, rappelle fermement le programme de la municipalité : les logements et les équipements scolaires d’abord182.

Les démarches entreprises par les dirigeants de la MJC tant auprès de Maître Laeuffer pour le terrain, qu’auprès du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports, par l’entremise de la Fédération française des MJC, accélèrent le processus de décision : la visite sur place du Haut-Commissaire, Maurice Herzog, à la fin de l’année 1961, permet d’obtenir un engagement formel de l’Etat à hauteur de 50 % du financement de l’acquisition du terrain183. La première loi-programme d’équipements sportifs et socio-éducatifs, votée le 19 avril 1961, trouve là un de ses premiers points d’application. En réalité, l’apport de l’Etat se monte à 800.000 F, ce qui est assez loin de couvrir la moitié du coût du terrain, arrêté à 3 millions de Francs 184. Mais le terrain des Marquisats est sauvé des promoteurs immobiliers qui avaient projeté une vaste opération de prestige en bordure du lac. Pour autant, le financement de la construction n’est pas résolu, et c’est l’association qui prend en charge le montage de l’opération et la conduite du projet.

Les inquiétudes ne sont pas dissipées après la visite de Maurice Herzog : en effet, alors que la MJC table sur un projet de foyer de jeunes travailleurs (FJT) pour asseoir sûrement son projet, la municipalité appuie dans le même temps d’autres projets de FJT : la Maison de la Jeune Fille est ouverte en 1960, et le FJT des Romains en 1963. Marc Malet peut alors exprimer son amertume lors du Conseil d’administration du 21 janvier 61 : “ Cette maison a été le prototype, et maintenant toutes les autres villes sont en avance 185. Dès lors l’équipe dirigeante de la MJC se consacre totalement au projet de construction, avec le concours de l’architecte Wogenscky, disciple et assistant de Le Corbusier186, avec qui la MJC était entrée en contact dans le cadre de journées d’études de la Fédération française des MJC. Le parti retenu est celui d’une opération en deux tranches : la première comprend le foyer de jeunes travailleurs, le restaurant social, un centre international de séjour, des locaux administratifs ainsi que quelques salles de réunion. Les locaux destinés aux fonctions culturelles et d’animation de la MJC sont prévus pour la deuxième tranche, dont la réalisation doit s’enchaîner avec celle de la première. Un des éléments clef de cette opération réside dans la question de la maîtrise d’ouvrage, c’est à dire en fin de compte de la propriété du bâtiment et de la garantie financière. En effet, la mairie, qui apporte le terrain d’assiette, ne veut pas assurer cette responsabilité qui est finalement confiée à l’Office départemental des HLM. Le plan de financement, élaborésous la responsabilité de l’association et non de la Mairie, comprend un apport de la Caisse d’Allocations Familiales, de la Sécurité Sociale et des HLM. Les travaux qui démarrent en octobre 1963 s’achèvent en juin 1966. La Commanderie des Marquisats, la maison historique, est rasée en janvier 1967 à la demande expresse de la ville, mais au grand regret des adhérents de la MJC, ainsi que le note le rapport moral rédigé par le président pour l’année 1966 : “ Dans la première quinzaine de janvier 1967, la vieille villa a été “ rasée ”. Ce n’est pas sans un certain serrement de cœur que nous l’avons vu disparaître. A ce regret s’ajoute celui d’avoir été quelque peu bousculés par une démolition trop hâtive qui a précipité des transferts demandant plus de temps et plus de soins en vue d’une réinstallation au moins provisoire de certaines activités. ” 187.

Ces années sont donc marquées pour l’association MJC des Marquisats par cet engagement dans un chantier lourd, dont le budget s’élève à 4,6 millions de francs, selon les données du conseil d’administration du 24 juin 65188. La contrepartie de cet investissement réalisé par l’Office de HLM pour le compte de la MJC, c’est le versement par cette dernière d’un loyer annuel de 135 000 F au départ, loyer révisable annuellement. Cette charge financière doit être couverte par les recettes des “ services ” que constituent l’hébergement et la restauration (800 repas sont servis journellement dès 1962). Cette donnée fondamentale pour la structure du budget de l’association constitue, dès les premiers temps de l’occupation des nouveaux locaux, une hypothèque assez lourde sur le reste de l’action de la MJC. Et puis, dès l’achèvement de la première tranche, le conseil d’administration engage la réflexion sur la mise en route du chantier de la deuxième tranche, complément fonctionnel nécessaire à la réalisation du projet culturel de la MJC. Il n’est pas prévu de rupture dans la construction au risque de handicaper lourdement le projet d’ensemble, et la vie même de la maison. Dès le conseil d’administration du 19 novembre 1965, les élus associatifs souhaitent examiner avec la mairie la question du dimensionnement de la salle de spectacle qui est prévue depuis l’origine dans le programme d’ensemble.

Il ne fait aucun doute que dans la gestion de ce dossier, le rôle des permanents, des directeurs de MJC en l’occurrence, est déterminant. Leurs relations institutionnelles avec la Fédération, et donc avec les instances de décision nationales, leur formation, leur statut, assez rare à ce moment, de professionnels de ce que l’on ne nomme pas encore l’animation socioculturelle, leur conférant une place à part dans la vie annécienne, et ceci d’autant plus qu’ils sont en 1965, à Annecy les seuls professionnels de ce secteur en émergence. Les Marquisats forment bien à ce moment là le point initial du processus de professionnalisation dans les domaines culturel et socioculturel à Annecy, avec deux caractéristiques : leur lien avec un équipement, et leur rattachement à la principale fédaration d’éducation populaire. Pour autant, l’apport indiscutable des professionnels au développement des projets de la MJC, que ce soit la construction, le suivi des activités, ou la vie institutionnelle, ne peut masquer les difficultés internes dues justement à leur position. C’est en effet une des données constantes de cette association que d’avoir à résoudre, en même temps que ces questions de relations avec les pouvoirs publics, et la municipalité plus particulièrement, des situations conflictuelles créées par la présence de professionnels. Les activités de service de la maison avaient nécessité depuis des années l’embauche de salariés pour assurer les services de restauration et d’hébergement. A l’entrée dans les nouveaux locaux, l’équipe de personnels, toutes catégories confondues représente 38 personnes, essentiellement dans les services de restauration et d’hébergement189. Mais ce sont surtout les problèmes de relations entre directeurs, et entre les directeurs et le conseil d’administration, qui mobilisent beaucoup d’énergie et d’attention, à une période où les enjeux externes pour l’association sont majeurs. En 1962-63, alors que Marc Malet, le directeur, est nommé délégué régional de la FFMJC, un conflit sévère l’oppose à celui qui était son adjoint, Albert Moreau, et qui prend sa suite à la direction de la MJC . Le fait qu’ils logent tous les deux dans la maison des Marquisats, la présence régulière du nouveau délégué dans les affaires de la maison, en particulier du fait de la tutelle qu’il exerce sur des directeurs en formation, en stage d’application dans la maison, avivent un conflit qui suscite des divisions au sein des élus associatifs. Ce conflit prend de telles proportions que les séances du conseil d’administration de cette année là y sont très largement consacrées, alors même que la construction de la première tranche approche de sa phase opérationnelle. Les membres de droit, au premier rang desquels l’inspecteur représentant le Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports, se mobilisent et mettent en place, le 12 février 1963, une commission d’étude chargée d’un arbitrage dans le conflit en cours et de préparer une modification du fonctionnement de la maison en prévision de son évolution future. Dans son rapport du 16 avril 1963, la commission souligne que “ si le conseil d’administration a pu avoir antérieurement une activité valable au regard de ses fonctions précisées à l’article 14 des statuts, son rôle s’est dilué, son efficience a disparu, ce qui n’a pu qu’entraîner des initiatives extrastatutaires, qui pour valables qu’elles puissent paraître, n’en sont pas moins à proscrire ” 190 . Elle confirme sa confiance au directeur en place, tout en reprécisant son rôle d’animateur de la maison, et en réaffirmant l’autorité du conseil d’administration.

Dans cette crise interne de l’année 1962-63, il apparaît nettement que ce qui est en cause c’est bien, au-delà des personnes, la nature même de l’association. La charge de travail que représente le restaurant pour le directeur est mise en cause par certains, qui soulignent que son rôle prévu par les statuts de la Fédération (“ animer, susciter, contrôler ”) est largement obéré par le poids de la gestion, tant du matériel que du personnel. La gestation du dossier de construction du nouvel équipement renforce encore cette tendance. Par ailleurs, la faiblesse de la participation des usagers, des participants aux activités, est soulignée : le conseil de maison, pièce maîtresse de l’institution MJC et de la démocratie associative, ne fonctionne guère depuis dix ans, ainsi que le souligne le directeur Albert Moreau lors de la séance du 27 février 1963191, reprenant un constat établi régulièrement depuis des années par le conseil d’administration. Enfin, le rôle des administrateurs élus est également remis en question : que peuvent-ils réellement, en dehors du fait de soutenir, ou au contraire de s’opposer, à un directeur, ou à ses adjoints ?

Malgré ces difficultés internes, en 1965, la Maison des Jeunes et de la Culture des Marquisats apparaît de loin comme l’association la plus importante de la ville, avec la réalisation de son nouvel équipement, avec une équipe de personnels assez considérable qui représente à cette époque une vraie singularité, avec également une fréquentation remarquable du public192 dans des activités très diversifiées et animées bénévolement pour la plupart. Activités sportives avec le ski et la montagne, qui acquièrent rapidement un rayonnement certain dans la ville ; le judo, le tennis de table, le hand-ball, le volley-ball, l’escrime, fournissent progressivement des équipes de valeurs dans les compétitions départementales et régionales. Sur le plan culturel, la bibliothèque, la discothèque, le ciné-club, les cours de langue, la danse moderne et folklorique, se partagent les adhérents. Les cercles d’études rassemblent des adhérents autour d’intervenants extérieurs : ainsi, en 1964, le Chanoine Coffy, supérieur du grand séminaire d’Annecy, vient-il présenter le Concile Vatican II ; quelques temps après, le maire de Crolles, dans l’Isère, conseiller du secrétariat à la Jeunesse et aux Sports, bientôt sénateur communiste de l’Isère et futur président de la FFMJC, Paul Jargot, amorce un cycle de cours de formation civique, économique et sociale, centré sur les collectivités locales et les enjeux politiques de leur gestion 193. Le caractère non spécialisé de l’association, sa large ouverture aux différents courants syndicaux et politiques, jusque dans le choix des membres associés du conseil d’administration, et surtout sa position unique dans la ville, en font bien le prototype dont parlait Marc Malet. Gestionnaire de nouveaux services quasiment publics (l’hébergement et la restauration), organisatrice de nouvelles formes d’activités centrées sur les loisirs, porteuse d’une volonté de promotion des individus, l’association MJC des Marquisats, par son mode de gestion, ne se présente pourtant pas comme une opposition aux pouvoirs publics, la municipalité en particulier, mais au contraire comme une institution de coopération avec eux : le poids des membres de droit et associés au conseil d’administration montre suffisamment cette dimension. Cette coopération pluraliste, qui à l’origine du Centre éducatif en 1945 était inscrite dans une volonté de transformation sociale et politique (“ la Révolution du XXe siècle ” du Manifeste de Peuple et Culture), et qui rassemblait des courants réellement distincts, et même opposés sur le plan politique, s’est transformée en une coalition d’intérêts autour de la construction d’un outil moderne : syndicats soucieux d’accroître leur influence dans la ville, professionnels de l’animation aspirant à une reconnaissance de leur expertise naissante, associations locales à la recherche d’une plus grande visibilité, le tout dans une proximité d’échanges avec la municipalité, qui en garantit, bon gré mal gré, la viabilité. Dès cette période se produit en effet au sein du Conseil d’administration un échange politique continu, sur les services rendus la population de jeunes, sur les premières actions culturelles, sur les moyens de ces actions, et finalement sur la place de la MJC dans la ville.

Ce projet devait permettre de dépasser les formes conventionnelles de sociabilité, représentées par les associations traditionnelles, centrées sur des intérêts particuliers, telles que le montre la liste des associations reçues par la commission des affaires culturelles lors de ses premières réunions. Le groupement, qui en 15 ou 20 ans s’est mué en une institution présente dans tous les domaines de la vie sociale, attend de la construction des locaux nouveaux son installation définitive dans la ville comme le lieu d’innovation sociale et culturelle. Pourrait-on dire que durant cette phase, le projet politique du Centre des Marquisats de 1945, a évolué progressivement vers un véritable projet de service public en 1965 ? En tout état de cause, ce projet est moins celui de la municipalité que celui d’une équipe, professionnels et bénévoles, qui souhaite poursuivre et parachever l’entreprise du premier centre éducatif des Marquisats, appuyé sur un modèle fourni par la FFMJC. Le projet de nouveau service public lié à un schéma de coopération, même conflictuelle, entre institutions et groupes divers, représente bien une innovation, en même temps qu’un acteur nouveau à part entière dans la vie municipale. Cette ébauche de service public repose sur une institution de droit privé, la MJC, qui permet à la municipalité de ne pas être directement engagée dans ce projet, comme elle peut l’être dans les établissements d’enseignement artistique.

Ce prototype dont parlait Marc Malet va donner naissance, dans la décennie à venir, à une multiplicité de répliques, et faire de la Fédération française des Maisons des Jeunes et de la Culture, une institution nationale puissante, à la fois productrice d’un modèle, l’équipement socio-éducatif cogéré, promotrice d’un métier nouveau, celui d’animateur professionnel. Cet ensemble va constituer en quelques années une force sociale et politique considérable, dont les relations avec les pouvoirs publics s’avèrent rapidement problématiques.

Notes
172.

Marc Malet, directeur de la MJC des Marquisats de 1953 à 1963 : “ La FFMJC commençait à utiliser la MJC d’Annecy comme test de recrutement de ses directeurs ”, dans Marc Malet raconte son passage aux Marquisats 1953/1963, Spécial 40 e anniversaire des Marquisats, Annecy, 1985, p.8.

173.

ADHS, cote 41 J 54.

174.

ADHS , 95 J 3.

175.

FFMJC, Histoire des MJC, Paris, FFMJC, 2003.

176.

Les cahiers d’histoire sociale de Haute-Savoie, n°25, Annecy, Union départementale des syndicats CGT de Haute- Savoie, 1998.

177.

ADHS, Archives des Marquisats, 95 J 3.

178.

“ Marc Malet raconte son passage aux Marquisats 1953-1963 ”, dans Spécial 40 e anniversaire MJC des Marquisats, Annecy, MJC des Marquisats, 1985.

179.

En particulier avec une université suédoise

180.

ADHS, Archives des Marquisats, 95 J 3.

181.

Ibid.

182.

Ibid.

183.

Rapport présenté à l’assemblée générale de 1965 ,ADHS, 95 J 12

184.

Ibid.

185.

ADHS, Archives des Marquisats, 95 J 3.

186.

On doit souligner que Wogenscky, qui avait assuré la conduite de nombreuses opérations mises en oeuvre par Le Corbusier, est l’architecte retenu pour dessiner la maison de la culture de Grenoble, inaugurée en 1967. Sa renommée dans le domaine des bâtiments publics est alors très grande, non seulement en France mais aussi à l’étranger. Cf. la notice du Monde du 12 août 2004.

187.

Rapport moral 1966, ADHS, 95 J 3.

188.

ADHS, 95 J 3.

189.

L’état du personnel prévu pour l’année 1968 comporte, outre les trois directeurs salariés de la FFMJC, trente huit postes : 3 à l’accueil, 3 en secrétariat-comptabilité, 1 veilleur de nuit, 1 économe, 8 en cuisine, 6 en salle à manger, 3 à la cafétéria, 9 au ménage et à la lingerie et 4 à l’entretien. (ADHS 95 J 3 : document pour l’assemblée générale du 8 décembre 1967) :

190.

ADHS 95 J 36.

191.

ADHS 95 J 3.

192.

Les documents présentés à l’assemblée générale du 8 décembre 1967 font état de 2 000 adhérents, dont 44% de moins de 21 ans ; 35% sont ouvriers, 32% employés et 22% étudiants (probablement lycéens, dans la mesure où il n’existe aucun enseignement supérieur à Annecy à cette date). ADHS 95 J 3.

193.

Eléments tirés du Journal de la MJC de l’année 64, ADHS 95 J 119.