Autour des équipements, une concurrence entre ministères

Nous avons souligné plus haut l’incidence majeure des IVe et Ve Plan dans le développement des politiques culturelles et socioculturelles à travers la programmation des équipements.

Les maisons de la culture figurent parmi les mesures retenues au IVe Plan (1962-1965) : l’édification de vingt maisons est programmée avec une ambition formulée ainsi par Emile Biasini, chargé en 1962 de la Direction du Théâtre et des Maisons de la Culture : “ Elle marque le premier pas, fondamental, sur une voie neuve : la reconnaissance par l’Etat d’une obligation transcendant celle qu’il assume depuis longtemps déjà dans le domaine de l’enseignement ; son engagement de fournir aux Français, à tous les Français, les moyens d’accéder au monde vivant de leur époque, celui de la culture vécue ; transformer en un bien commun un privilège, tel est le but des maisons de la culture. (…) source de tentation culturelle, instrument d’épanouissement social et de décentralisation territoriale, telle apparaît la maison de la culture dans une vision théorique qu’il était nécessaire d’actualiser pour concrétiser la politique dont elle doit être le support (…) ”211. Mais dès la première année, Biasini doit reconnaître déjà un premier écart avec cet objectif très ambitieux : “ La réalité budgétaire de la première année d’exécution du Plan s’est tenue loin de ces prévisions… ” 212 . En effet le IVe Plan s’achève alors que seulement six maisons de la culture ont été réalisées ou lancées.

La création par De Gaulle d’un Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports, qui poursuit l’action de la Direction Générale de la Jeunesse et des Sports, et la nomination à sa tête de Maurice Herzog213, et la mise en route du IVe Plan s’accompagnent d’un effort considérable en faveur des équipements. Une Loi-programme est votée le 28 juillet 1961, qui prévoit pour la période 1961-1965, c’est à dire la durée du IVe Plan, la réalisation d’équipements sportifs et socio-éducatifs, par le biais de l’inscription de 575 millions de francs pour les cinq ans, dont 345 pour les équipements sportifs, 50 pour les installations de l’Etat, le reste pour des équipements en faveur de la jeunesse. Il s’agit dans la plupart des cas de favoriser les cofinancements avec les collectivités locales sur la base d’une intervention de l’Etat de 50% d’une dépense subventionnable, pourcentage en réalité rarement tenu et souvent ramené à 25%. Néanmoins, le bilan dressé en 1965 par Herzog214 de cette première loi programme met en évidence un taux de réalisation tout à fait satisfaisant : un millier de piscines, près de 1 500 terrains de jeux, près de 500 gymnases couverts, des centaines de foyers et maisons de jeunes, c’est à dire au total, bien plus que dans la décennie précédente. Une seconde loi-programme est mise en chantier pour la période 1966-1970 (la durée du Ve Plan) afin de poursuivre l’effort engagé.

Ainsi dès les premières années de la planification se manifeste un écart majeur entre les deux politiques publiques : à l’exemplarité recherchée, avec difficultés par le ministère des Affaires Culturelles, s’oppose la couverture assez régulière du territoire en équipements sportifs et socio-éducatifs. La distinction entre les deux catégories d’équipements, qui est aussi une hiérarchisation des vocations voulue par les promoteurs des maisons de la culture215, ne suffit pas à assurer le succès de ces dernières. Une des différences majeures que l’on peut percevoir entre les deux ministères réside dans leur attitude face aux acteurs locaux : si l’on reprend ce que la DATAR revendiquait comme position dans l’aménagement de la France216, on peut dire que le ministère des Affaires Culturelles tente d’exercer les monopoles de l’expertise et du financement tout en laissant aux collectivités la maitrise d’ouvrage. Le ministère de la Jeunesse et des Sports a quasiment délégué aux fédérations, et à celle des MJC en particulier, l’expertise, et aux collectivités le financement et la maitrise d’ouvrage. C’est dire que le second a fait de la négociation locale sur les normes un des ancrages de sa politique.

Par ailleurs, la tentative menée par le ministère de Malraux pour récupérer la tutelle des fédérations d’éducation populaire, et surtout leurs réseaux d’implantations locales qui faisaient si cruellement défaut à sa nouvelle administration, échoue au terme de tractations que Françoise Tétard a retracées217.

Ainsi l’offre de politique publique dans les domaines culturel et socioculturel dans les débuts de la Ve République est-elle en fait tout à fait déséquilibrée, et autour des équipements, ou des projets d’équipements, se nouent une série de questions à la fois pratiques, mais aussi très politiques.

Notes
211.

Cité dans Les politiques de la culture, sous la dir. de Ph. Poirrier, op. cit., p.211.

212.

Ibid.

213.

On pourra se référer aux travaux recensés dans les Cahiers de l’animation, n°57-58 de 1986, Institut National de l’Education Populaire, Marly le Roi, en particulier Les avatars d’une administration, p.75-134

214.

Herzog Maurice, La révolution du loisir, Janus, Paris 1965

215.

« Les maisons de la culture accordent ainsi leur visage à leur esprit, dans la formule d’établissements supérieurs d’une action culturelle dont les maisons des jeunes et de la culture assument la part primaire et secondaire », Emile Biasini, Les politiques de la culture, sous la dir. de Philippe Poirrier, op.cit., p.212.

216.

DATAR, 40 ans d’aménagement du territoire, op.cit.,p.26-27.

217.

Tétard Françoise, « L’éducation populaire : un rattachement manqué », dans L’éducation populaire au tournant des années soixante. Etat, mouvement, sciences sociales, Marly le Roi, INJEP, 1993. Voir aussi Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle, op.cit., p. 111-114.