Les marquisats en recherche d’une cohérence

L’ouverture des nouveaux locaux de la MJC en février 1966 n’a pas, rappelons-le, réalisé le projet intégral de l’association héritière des espérances de la Libération. Seules sont achevées les parties du bâtiment dédiées aux activités sociales de l’association : foyer de jeunes travailleurs, centre international de séjour et restaurant, avec quelques salles de réunions et les bureaux. Les locaux qui doivent permettre le développement des activités proprement culturelles et d’expression, salles d’activités, gymnase, salle de spectacle, font l’objet d’une seconde tranche dont la mise en route devait à l’origine s’enchaîner sans délai avec la première afin de préserver la fonctionnalité de la construction et la continuité des activités de l’association. Or, de manière paradoxale, l’engagement de la municipalité dans une réflexion et une politique culturelle et socioculturelle va entraîner un retard dans la définition du programme de cette deuxième tranche, qui ne sera finalement inaugurée qu’à la fin de l’année 1974, laissant ainsi l’association en situation de conduire son activité dans des conditions pour le moins précaires.

Durant cette même période, qui couvre la définition et la réalisation de la seconde tranche, l’association MJC des Marquisats est confrontée à une crise interne quasi-permanente, qui met en cause les relations avec ses professionnels, en particuliers les directeurs, crise sur laquelle nous allons revenir. La concomitance des deux problèmes n’est pas forcément une relation de cause à effet, mais elle a pour résultat de provoquer un affaiblissement sérieux de l’association sur la scène annécienne, au moment où de nouvelles MJC se créent, où la question du développement d’une politique culturelle se pose en des termes renouvelés.

L’ouverture de la première tranche avec ses activités à gestion assez lourde (hébergement et restauration) entraîne rapidement l’embauche de personnels de service en nombre, ce qui a pour conséquence de placer les questions de gestion de ce personnel au cœur des débats du conseil d’administration. En 1968, l’effectif comprend déjà trente cinq personnes, plus les quatre directeurs, après la création décidée par le conseil d’administration, dans sa séance du 4 juillet 1967260, d’un troisième poste d’adjoint cofinancé à 50% par la mairie. Un projet de convention collective est lancé afin de structurer les conditions d’embauche dans un secteur encore dépourvu de références et d’expériences en la matière. Un accord d’établissement sur les salaires est conclu en avril 1968261, appuyé sur la convention collective des établissements de soins du Plateau d’Assy262. Il n’en reste pas moins que le suivi de la gestion du personnel et de l’activité de service de l’association sort quelque peu du cadre de référence de directeurs de MJC et que la création d’un poste de secrétaire général ou de chef de service administratif pour assurer ces fonctions, abordée plusieurs fois, mais surtout en 1972 n’est pas retenue, sous la pression des directeurs qui souhaitent assurer l’ensemble des tâches, contre l’avis de la municipalité exprimé lors des conseils d’administration de février et juin 1972263. En revanche on comprend mieux le souci de la ville de s’assurer de la possibilité de remplacement des directeurs avec lesquels les désaccords persistent : en effet durant toute la période de gestation de la deuxième tranche, entre 1966 et 1974, ce ne sont pas moins de trois directeurs successifs de la maison qui sont amenés à quitter leurs fonctions et sont, selon la formule en vigueur, “ remis à disposition de la fédération ”.

Les conflits semblent reposer sur deux éléments distincts, mais qui tous deux provoquent des dissensions : l’entrée dans les nouveaux locaux s’est accompagnée d’un renouvellement significatif du conseil d’administration, et le remplacement de celui qui présidait la MJC depuis ses origines, Eugène Duchêne, par un nouveau président, Pierre Bordeaux, lors du conseil d’administration du 21 février 1967264 : d’où un conflit qui va durer, entre les anciens et les nouveaux. D’autre part, Albert Moreau, le directeur qui depuis 1963 a pris la succession de Marc Malet, dont il était l’adjoint, a, semble-t-il, du mal à cohabiter au sein de la maison avec son ancien directeur toujours logé dans les murs, et avec la nouvelle majorité du conseil d’administration. Entre le début de 1967 et la fin de 1968, la question de la situation du directeur forme l’un des sujets principaux des ordres du jour des séances du conseil d’administration jusqu’au départ d’Albert Moreau au printemps 1968, acté lors de sa réunion du 26 avril 1968265, et son remplacement par Jacques Husetowsky, reçu lors de la séance du 11 octobre de la même année. Rapidement, ce nouveau directeur se trouve lui aussi en difficultés au sein du conseil d’administration et il présente sa démission dès le 19 mai 1970266. Il est remplacé par une de ses adjointes, Danièle Millet. Celle-ci va assurer pendant les années 1970-1974 la conduite du projet de deuxième tranche et la réalisation des travaux, en même temps que le développement des activités de la maison. En 1974, cependant, l’activité de la directrice, ses initiatives prises parfois en dehors de l’instance délibérante du conseil d’administration, notamment sur la question de la mise en route d’un cycle de formation professionnelle d’animateurs, provoquent à nouveau un conflit avec la présidente et entraînent son départ267

On le voit, dans le cas des Marquisats, le modèle qui fonde l’exercice local de la cogestion est loin d’être idéal : la collaboration entre administrateurs bénévoles et directeurs professionnels, présentée par la FFMJC comme une complémentarité évidente, ne fonctionne guère de façon harmonieuse. Par ailleurs, la professionnalisation qui accompagne les équipements socioculturels, et dans le cas des Marquisats elle est très importante en raison du volume d’activités gérées, rend problématique le développement de la participation des usagers, élément de base de la doctrine des MJC. Seules quelques personnes sont très engagées dans le travail d’élaboration des orientations de la maison et dans les prises de décision. D’ailleurs, cette question de la participation est récurrente durant ces années : la participation aux assemblées générales n’excède jamais 10% des adhérents, et les tentatives d’instaurer un conseil de maison à même de recueillir et de susciter les initiatives ne débouchent pas, malgré les résolutions prises lors des conseils d’administration des 7 et 20 février 1966, 4 juillet 1967, 8 mars 1968, 20 mars 1970 etc.268. Les regrets quant à la non participation des jeunes, des adhérents, des organismes associés, reviennent très régulièrement comme sujet de préoccupation ; il est probable que cette déploration représente un lieu commun dont il conviendrait d’explorer le développement dans les institutions fondées sur un idéal de participation, mais son caractère récurrent dans ce cas d’espèce est à noter269. Néanmoins, il faut souligner le poids des professionnels dans une structure telle que la MJC des Marquisats, ainsi que celui des membres associés. Sur ce dernier point l’exemple des Marquisats est frappant : le conseil d’administration en place en 1971 comprend 24 membres élus, 4 membres de droit (le maire, le chef de service de Jeunesse et Sports, le délégué régional des MJC et le directeur de la MJC), mais aussi 19 membres associés, parmi lesquels le directeur de l’Equipement, celui du Travail, l’Inspecteur d’Académie, le service du Commerce intérieur et des prix, mais aussi Electricité de France, le Centre des jeunes agriculteurs, la Caisse d’Allocations Familiales, 5 syndicats (CGT, CFDT, CGT-FO, Fédération de l’Education Nationale, Syndicat National des Instituteurs), 2 membres du conseil municipal, un représentant du Conseil Général, Peuple et Culture, les associations familiales, un délégué cantonal de l’Education Nationale270. On le voit, la formule institutionnelle rassemble très largement acteurs publics, syndicaux, élus municipaux, et financeurs aux membres élus autour du projet d’ensemble de la maison. D’autre part, ce rassemblement s’opère au-delà des clivages politiques puisque nombre de représentants de membres associés sont clairement inscrits, à titre personnel, dans une opposition politique au maire (en particulier les représentants syndicaux). Il est vrai que les comptes rendus de conseils permettent de pointer un absentéisme important, aussi bien chez les membres élus que parmi les membres associés.

Mais ce rassemblement ne peut masquer les difficultés à assurer la cohérence entre le projet fondateur de l’association, l’héritage de la Libération, les fondements de l’institution MJC, la cogestion, et enfin la réalisation de l’équipement qui doit concrétiser les valeurs de l’entreprise.

L’autre difficulté à laquelle est confrontée l’association est de taille, et elle mobilise, et paralyse d’ailleurs, les forces de la MJC : il s’agit de la seconde tranche du bâtiment. Lors de la conception, avec le concours de l’architecte Wogenscky, la réalisation avait été découpée en deux tranches pour des raisons de programmation et de financement. Mais bien entendu, il n’avait jamais été envisagé de faire fonctionner la première sans la deuxième, hormis durant le laps de temps nécessaire à la construction. Or ce qu’il advient de la seconde tranche met en déséquilibre l’économie générale de l’ensemble, à commencer par l’activité propre de la MJC. En effet, avant même que les travaux de la première tranche ne soient achevés, le conseil d’administration, lors de sa séance du 19 novembre 1965271, a “bouclé ” le programme de la deuxième tranche, hormis une question d’importance, la taille de la salle de spectacle, qui reste à étudier avec la mairie ; par ailleurs le problème de la maîtrise d’ouvrage reste posé, l’association ne souhaitant pas l’assumer, comme elle y avait été contrainte pour la première (conseil du 2 février 1966272). Le plan de financement élaboré fait état d’une contribution du ministère de la Jeunesse et des Sports à hauteur de 750.000 francs, au titre du Ve Plan et d’un prêt complémentaire de la Caisse des Dépôts et Consignations (conseil du 20 février1966273). L’association ne souhaite évidemment pas assurer sur ses fonds propres les remboursements d’un emprunt dont la charge viendrait alourdir celle du loyer déjà dû aux HLM pour la première tranche.

La double interrogation, quant à la capacité de la salle de spectacle et à la maîtrise d’ouvrage, court tout au long des années 1965-1972, obérant à l’évidence la vie de la MJC. Sur ces deux points, la mairie se montre fort hésitante dans ses choix, par contraste avec sa capacité à se décider rapidement dans le quartier de la ZUP de Novel. La jauge de la salle varie de 300 à 1500 places au fil des réunions de conseil d’administration (600 le 18 novembre 1966, 1100 le 27 octobre 1967, 300 ou 1500 le 26 avril 1968274), pour finalement être arrêtée à 340 places en 1972, au moment où démarrent enfin les travaux, sous la maîtrise d’ouvrage de la municipalité, pressée par l’administration d’utiliser des crédits inscrits depuis plusieurs années au Ve Plan, alors que le VIe est déjà en cours d’exécution. Il est vrai que durant toutes ces années la mairie est confrontée à deux questions qui rendent la décision plus difficile.

Les premières années de fonctionnement de la MJC des Marquisats dans ses nouveaux locaux, outre les problèmes relationnels soulignés plus haut, font ressortir un déséquilibre financier qui s’avère vite structurel : les mensualités dues à l’Office de HLM grèvent lourdement le fonctionnement de l’hébergement, qui n’est compensé que par les recettes excédentaires de la restauration, malgré les craintes qu’inspirent l’ouverture de restaurant d’entreprises, du supermarché Carrefour en 1968, des Nouvelles Galeries en 1969 (assemblée générale du 8 décembre1967275). Les activités socioculturelles et les efforts dans le domaine de la diffusion culturelle se heurtent à des locaux inadaptés et insuffisants, les spectacles ayant lieu dans la salle à manger débarrassée de ses tables. Cette situation financière précaire inquiète visiblement la municipalité ; la commission des affaires culturelles se saisit de ces questions à plusieurs reprises, pour envisager d’en faire un centre culturel européen (réunion du 5 octobre 1966276), pour examiner le dossier élaboré par le conseil d’administration de la MJC (les 22 mars 1967 et 30 octobre 1968277) et notamment le problème de la salle, et de sa rentabilité. Le 10 avril 1969278, les commissions finances et affaires culturelles sont réunies conjointement pour prendre connaissance d’un rapport de Pierre Jacquier évaluant les conditions dans lesquelles la deuxième tranche pourrait être réalisée. C’est encore une fois l’activité touristique de la ville qui permet de justifier l’utilité principale de l’ensemble Marquisats, notamment l’activité estivale. Quant aux besoins de la population d’Annecy, le rapport reste dubitatif, l’expérience de Novel ayant montré aux élus municipaux que la définition objective des besoins culturels, un des points d’ancrage de la sociologie appliquée à la culture et aux loisirs, pouvait être largement dépassée par le développement même de l’animation et l’initiative des professionnels. La conclusion du rapport rappelle les trois éléments nécessaires à la poursuite du projet : rigueur financière, valeur de l’équipe de direction, action concertée avec les autres équipements.

Progressivement, cette question des Marquisats est intégrée dans une perspective plus large, celle des équipements culturels de la ville et ce n’est finalement que lors de la réunion de la commission du 1 février 1972279 que le choix d’une jauge minimale (340 places) est retenu. Le rapport entre la MJC et la municipalité, principalement les membres de la commission, passe d’une sorte de perplexité en 1966 face à un problème auquel elle n’a encore jamais été confrontée, la programmation d’équipements, à la méfiance en 1972 devant une source potentielle de difficultés financières alors qu’elle s’engage, malgré elle nous le verrons plus loin, dans une politique culturelle plus lourde.

Le deuxième problème qui mobilise l’attention de la commission est la question de la “ grande salle ”, qui, nous l’avons vu plus haut, inaugure le travail de la nouvelle commission des affaires culturelles et des fêtes en 1965, et forme une sorte de fil conducteur de ces années 1965-1972 : c’est à la fois une revendication des acteurs culturels, une réponse et une proposition de l’administration en charge des affaires culturelles, et un enjeu électoral en raison de son coût. C’est en réalité la première énonciation du problème de l’équipement spécifiquement culturel qui est en débat, et avec elle, la formulation d’une politique.

La grande salle est revendiquée par les promoteurs du festival d’été de théâtre sacré sous forme d’un théâtre de verdure ou de plein air : c’est une piste de travail qui est poursuivie par la commission jusqu’à son abandon en 1971 (réunion du 30 novembre 1971280) sous la pression de Daniel Sonzini et de Pierre Dussolliet (responsable de l’office du tourisme) qui font valoir la nécessité d’une grande salle couverte de 2000 places pour accueillir aussi bien des spectacles de variétés que des concerts de jazz, à l’abri d’une météorologie locale souvent peu propice à des spectacles en plein air. Le ministère de la culture lui est soucieux de placer la réalisation d’une maison de la culture dotée d’une salle de théâtre, dans une ville dont tout lui laisse à penser qu’elle réunit les conditions favorables pour cela. Les contacts que Pierre Jacquier, le président de la commission et chargé d’études de Dumazedier, entretient avec le ministère, en particulier dans le cadre de la préparation du VIe Plan, renforcent cette hypothèse. Enfin, l’inscription de la construction d’une salle de spectacles à Annecy dans un programme électoral soulève l’opposition de ceux qui à droite craignent, surtout après mai 68, une culture “ contestataire ”, et ne comprennent pas la nécessité d’un tel équipement alors que le théâtre date de moins de vingt ans. La complexification politique croissante de l’enjeu que représente la “grande salle ” ne fait pas progresser la résolution du problème que constitue la salle des Marquisats, et par voie de conséquence l’achèvement du programme de construction.

Le choix final d’une salle de 340 places aux Marquisats est dicté par la prudence de l’engagement, mais aussi par le défaut de projet précis de la municipalité sur cette question, l’urgence de la décision étant imposée par la nécessité d’engager une subvention (réévaluée à 900 000 F) inscrite depuis 1970, et dont la direction de la Jeunesse et des Sports, et la MJC, craignent alors la perte définitive faute d’utilisation dans des délais pourtant déjà prolongés281.

Sur le terrain de l’action culturelle, la MJC, et ses directeurs en premier lieu, n’ont pas ignoré la mutation qui se dessinait dans le champ politique, et l’apparition progressive, dans les comptes rendus du conseil d’administration, des notions d’animation culturelle et de politique culturelle, témoigne du changement. Il est certain que l’ouverture de Novel, ainsi que l’activité de Daniel Sonzini en matière de programmation et de création notamment théâtrale, provoquent aux Marquisats un engagement en ce sens. Dès le mois de décembre 1966, le directeur, Albert Moreau, propose l’embauche d’un animateur culturel, Patrick Antoine, chargé de développer un projet théâtral au sein de la MJC et dans la ville. Ce projet, survenant au moment où le conseil d’administration entre dans des turbulences dues au changement de président, ne rencontre guère de succès dans la maison, et le conseil du 2 mars 1967 282décide de mettre fin à l’expérience, faute de financement spécifique du projet, et faute également d’avoir rencontré dans et hors de la maison un quelconque mouvement de soutien. En décembre de la même année, la MJC exprime auprès de la mairie son souhait d’être la pièce maîtresse de sa politique culturelle (CA du 8/12/1967). La réponse viendra quelques mois plus tard, au conseil d’administration du 26 avril 1968283, lorsque Pierre Jacquier exprimera le souhait de la mairie de voir se développer un pluralisme culturel permettant la collaboration de différentes structures à Annecy, entre autres bien entendu la MJC de Novel, excluant ainsi de confier aux Marquisats une mission spécifique en la matière. Il est vrai que la MJC des Marquisats, avec son équipement tronqué, ses difficultés de direction, ses problèmes financiers structurels, ne peut guère prétendre en réalité jouer ce rôle. Pourtant, au milieu de ces difficultés, il faut noter les efforts souvent couronnés de succès pour proposer aux adhérents, dans les conditions matérielles précaires, des spectacles et des artistes dont le réseau des MJC s’était fait le promoteur : Graeme Allwright et Los Chacos en 1968, Claude Nougaro et Georges Moustaki en 1970, mais au théâtre cette fois-ci, loué pour l’occasion à la société fermière. Quelques réalisations théâtrales sont accueillies, ainsi que des conférences. Le ciné-club des Marquisats assure bon an mal an une vingtaine de projections dans l’esprit art et essais. Les documents très complets fournis aux adhérents lors des assemblées générales mettent en valeur cette action de diffusion culturelle de la MJC des Marquisats284. Cependant un long article du Dauphiné Libéré du 16 mars 1970285 souligne, en rendant compte de l’assemblée générale, combien les adhérents se plaignent des conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les activités et particulièrement les spectacles.

Il est très perceptible, à travers les différents documents statutaires rédigés par les directeurs et le conseil d’administration, que la conduite de la maison, entre un déséquilibre financier constant, des conditions d’activités difficiles, et les différentes crises qu’elle traverse (conflits avec les directeurs, et crise de la Fédération française des MJC) fragilisent cette association, en dépit des locaux remarquables qui l’abritent. Si le maire et la municipalité, dans le conflit qui oppose la fédération des MJC au gouvernement gaulliste en 69, affichent publiquement un soutien sans réserve à l’association des Marquisats, souligné dans l’article du Dauphiné Libéré cité ci-dessus par exemple, s’ils assurent l’association d’un accord politique fort sur ses projets, ils ne mettent pas pour autant un terme à cette forme de temporisation qui marque leurs décisions. Alors que l’association doit assurer, année après année, son programme d’animation, rechercher l’équilibre de son budget, la mairie, elle, a placé la question de l’achèvement des Marquisats dans une perspective beaucoup plus large, spatialement avec la réflexion sur les équipements culturels à Annecy, et dans le temps, en subordonnant sa décision quant au bouclage du dossier de la deuxième tranche à la définition de ses objectifs en matière culturelle, ainsi que le rapporte le même compte rendu du conseil d’administration du 26 avril 1968. A un administrateur “ M.Exhertier [qui] s’indigne que depuis 4 ans on parle de l’équipement de la MJC en fonction de la ville alors qu’on ne sait pas où elle en est ”, le président Bordeaux répond : “Ce projet n’est plus dans la Maison. ”286 Ainsi, l’association qui représente depuis le plus longtemps l’engagement social et culturel dans la ville se trouve-t-elle être entravée dans son développement par l’essor de ce secteur d’activité au niveau local.

*****

Dans cette phase de mise en place d’équipements socioculturels dans la ville, la municipalité a effectué un choix qui la place en position centrale dans le jeux entre acteurs : en acceptant quasiment sans réserve, et malgré ses faiblesses intrinsèques, l’offre de la FFMJC (une formule institutionnelle, un personnel qualifié, des équipements de qualité), elle sélectionne un opérateur totalement en phase avec les politiques publiques en plein essor. Celui-ci, en retour, trouve là un champ d’expansion de son activité propre. Il y a donc un véritable échange politique qui s’instaure durant cette première phase entre la municipalité et une des principales fédérations d’éducation populaire, autour de l’action socioculturelle. La FFMJC se trouve là quasiment en situation de monopole. Yannis Papadopoulos souligne combien « la contribution des groupes à la gouvernabilité est facilitée par le monopole de représentation »287. Cette orientation de la ville d’Annecy, précoce et déterminée, apparaît donc comme un vrai choix politique. Il faut aussi souligner que cette dévolution à un opérateur unique de la maitrise d’œuvre pour la construction d’une politique locale contrevient quelque peu aux proclamation de pluralisme maintes fois renouvelées.

Notes
260.

ADHS, 95 J 3, compte-rendu de conseil d’adminsitration.

261.

Conseil d’administration du 26 avril 1968, ADHS 95 J 3.

262.

Le Plateau d’Assy, situé dans la vallée de l’Arve, à proximité de Chamonix, avait connu dans l’entre-deux-guerres un fort développement des sanatoriums pour accueillir les tuberculeux, en particulier de nombreuses personnalités des arts et des lettres touchées par la maladie. La politique sociale de ces établissements était à ce moment assez remarquée, avec une forte emprise de la CGT, comme en témoignent les élections professionnelles de 1967 (Cahiers d’histoire sociale de la Haute-Savoie, n°22, décembre 1997).

263.

CA des 23 février et 13 juin 1972, ADHS 95 J 3.

264.

ADHS, 95 J 3. Eugène Duchêne était entré au conseil d’administration de la MJC d’Annecy en 1945 comme représentant du syndicat CGT des instituteurs

265.

CA du 26 avril 1968, ADHS 95 J 3.

266.

CA du 19 mai 1970, ADHS, 95 J 3.

267.

ADHS, 95 J 26, coneil d’administration du 7 mars 1974

268.

Comptes rendus des CA correspondants, ADHS, 95 J 3.

269.

Il semble, sans que nous ayons pu le vérifier de manière formelle, que les assemblées générales de la MJC aient connu une affluence très importante avant la construction de la première tranche, c’est à dire dans la période de revendication en direction de la mairie. Entretien avec Gilbert Renault.

270.

ADHS, 95 J 6, composition du conseil d’administration, document daté du 5 mai 1971.

271.

ADHS 95 J 3.

272.

Ibid.

273.

Ibid.

274.

Ibid.

275.

ADHS, 95 J 6.

276.

AMA , 2 mi 391.

277.

Ibid.

278.

AMA, 2 mi 388.

279.

AMA, 2 mi 233.

280.

AM, 2 mi 390.

281.

Précisé dans les rapports annuels sur les équipements sportifs et socio-éducatifs de la direction de la Jeunesse et des Sports, de 1970 et 1971.

282.

ADHS, 95 J 3.

283.

ADHS, 95 J 3.

284.

Documents conservés aux ADHS, 95 J 11.

285.

Dauphiné libéré du 16 mars 1970 : « Pour rester fidèle à sa vocation, la maison des jeunes et de la culture des Marquisats attend toujours ses équipements (article non signé). Cet article souligne que “ ce grand corps de béton à flanc de colline, dont l’architecture enchante généralement le visiteur est toujours inachevé et n’est pour l’instant qu’un hôtel-restaurant puisque depuis le départ il lui manque toute la partie “ culturelle ” (salles d’activités, gymnase, salle de spectacles), c’est à dire tout ce qui est la raison d’être d’une MJC dont la vocation est l’éducation populaire ». ”

286.

ADHS 95 J 3, conseil d’administration du 26 avril 1968.

287.

Papadopoulos Yannis, Complexité sociale et politiques publiques, op.cit., p.84.