Les institutions municipales

De manière assez précoce, la municipalité a choisi de prendre en gestion directe les établissements qui concourent, dans le domaine culturel, à deux des grandes fonctions culturelles, l’enseignement des disciplines artistiques, en particulier les arts plastiques et la musique, ainsi que la conservation du patrimoine et la lecture publique. D’ailleurs, dans les comptes rendus de la commission, il est le plus souvent fait mention des “ institutions municipales ”, par opposition à celles gérées par les associations. Les problèmes que peuvent poser ces institutions ne sont pas bien évidemment mineurs, que ce soit en termes de locaux, de moyens d’enseignement ou encore de positionnement par rapport aux autres institutions, mais nous avons choisi, dès le départ, de les laisser à l’écart de notre travail, en raison justement d’une intégration complète aux services municipaux qui a exclu d’emblée tout enjeu autour de leur contrôle.

Les deux écoles de formation artistique que sont les Beaux-Arts et le Conservatoire sont, dès 1965, municipalisées et logées en plein centre ville, dans les bâtiments de l’ancien évêché. La commission est régulièrement saisie dès lors de demandes renouvelées concernant les tarifs d’inscription pour les annéciens et non annéciens, le recrutement des enseignants, alors qu’à ce moment aucune réglementation ne précise les exigences en ce domaine, la création de sections nouvelles, en particulier aux Beaux-Arts, avec les tentatives d’ouvrir des sections préparatoires à l’entrée dans les écoles à finalités professionnelles des grandes villes comme Grenoble. Cependant, il ne nous est pas apparu, au travers des comptes rendus de la commission que ces établissements suscitaient dans la ville des débats politiques vifs ou des remises en cause sérieuses.

Il n’en est pas de même avec la bibliothèque municipale dont l’évocation des problèmes émaille régulièrement les travaux de la commission. Problèmes de locaux essentiellement, mais portés par un conservateur, Jean-Pierre Laurent, en place à Annecy depuis 1954, avec une pugnacité tout à fait perceptible dans les comptes rendus. En effet, Jean-Pierre Laurent a en charge deux institutions culturelles municipales, le musée et la bibliothèque, hébergées au dernier étage de l’hôtel de ville, dans des conditions de plus en plus difficiles. La rénovation du château, acquis par la ville en 1954, a permis de dégager au fil des ans quelques lieux d’exposition qui ne font pas pour autant un musée digne de ce nom. Mais ce qui motive les interventions les plus fréquentes et les plus vives du conservateur, c’est bien la situation de la lecture publique à Annecy. Dès le 1er juin 1966290, il attire l’attention de la commission sur la saturation de la bibliothèque et propose la création d’une installation centrale avec des annexes dans les quartiers ; en novembre 1967, il organise pour la commission une visite des locaux existants afin de lui faire partager ses préoccupations. Le 15 janvier 1969291, il propose que, sur le clos Bonlieu, en plein centre ville, puisse être installée une bibliothèque centrale moderne, qui doit répondre aux besoins de la population que la commission essaie de cerner292, alors que ces terrains acquis par la municipalité n’ont fait encore l’objet d’aucune destination précise. Cette prise de position de Jean-Pierre Laurent, renouvelée le 9 octobre 1969293, en faveur d’une affectation de Bonlieu à un équipement culturel, paraît décisive en ce sens qu’elle ouvre avec force auprès de la ville une revendication culturelle précise, et la focalise sur cet espace qui devient pour des années un enjeu central, en raison de sa situation dans la ville, en face du théâtre municipal, à proximité du lac, sur l’un des derniers terrains importants disponibles. Jean-Pierre Laurent, un des rares professionnels dans le domaine culturel à Annecy, manifeste dans les séances des commissions auxquelles il participe, une vision large de l’action en la matière. Sa rencontre avec Daniel Sonzini, après l’ouverture de la MJC de Novel, accentue fortement la formulation en des termes nouveaux des revendications culturelles.

Quelques projets complémentaires viennent étayer les démarches du conservateur en direction de la municipalité. En particulier, le Ciné-club d’Annecy, qui avait réussi à amener de Cannes les Journées Internationales du Cinéma d’Animation (JICA) envisage dès avril 1965, avec le concours de Jean-Pierre Laurent, une section du musée consacrée à ces techniques. Les contacts noués à Paris par les responsables du Ciné-club, Henri Moret et Georges Gondran, les amènent à proposer, le 14 décembre 1966294, que le musée-château puisse accueillir une annexe de la Cinémathèque nationale dédiée au cinéma d’animation. Jean-Pierre Laurent quitte Annecy en 1970 pour Grenoble, où il est chargé de la direction du Musée dauphinois, et son remplacement n’intervient que deux ans plus tard. On peut cependant affirmer que, même après son départ, la question de la bibliothèque municipale, de son emplacement et de sa position dans la ville, le rôle du musée-château au-delà de la simple conservation, constituent des pierres de touche d’une politique culturelle en train de s’élaborer. On peut également souligner un élément complémentaire de l’ensemble des établissements municipaux, qui a fait dans ces années l’objet d’un projet de développement, la ferme de Novel. En lisière de la ZUP de Novel, à proximité immédiate de la MJC, la ferme Gay, une ancienne maison forte, abritait les activités d’un maraîcher, jugées désormais peu compatibles avec le caractère résidentiel de la zone. Son acquisition par la municipalité devait, sur proposition du conservateur, permettre d’accueillir des collections consacrées aux arts et traditions populaires, complétant ainsi le dispositif de conservation du patrimoine. La lenteur des travaux de restauration n’a pas permis cette réalisation295. Il est fort probable que la proximité immédiate avec la MJC de Novel a pu faire craindre à une extension difficilement contrôlable de ses activités ; en tout état de cause, compte tenu des multiples réalisations dans la ville, cet inachèvement se présente comme un évitement de la part de la municipalité.

Les établissements municipaux, musée et bibliothèque surtout, représentent donc, dans les années 60, un élément problématique pour la municipalité, tant en raison de l’insuffisance de leur condition matérielle face à l’évolution de la population, que de la formulation par le conservateur d’une approche large de la question culturelle, autour d’une politique d’équipements bien entendu (avec le Clos Bonlieu), mais aussi l’ouverture à de nouveaux projets comme ceux liés au cinéma d’animation. C’est en ce sens qu’ils représentent un facteur d’ouverture de la perspective locale dans le domaine culturel : si la question de l’implantation de la bibliothèque à Bonlieu et de ses annexes dans les quartiers n’est pas en elle-même centrale durant ces années, elle demeure cependant comme une des premières formulations proprement culturelles, et en même temps un problème incontournable pour la municipalité.

Notes
290.

AMA, 2 mi 391.

291.

AMA, 2 mi 388.

292.

Ainsi lors de sa réunion du 10 avril 1969, en commun avec la commission des finances, lorsque sont évoqués les “ besoins immédiats de la population (…) difficiles à évaluer car ils sont surtout potentiels, ce sont les équipements et les animateurs qui les révèlent comme l’ont montré la bibliothèque et la MJC de Novel. Ils sont beaucoup plus grands que ne sont portés à le croire des adultes comme nous surchargés d’occupations multiples. ” (compte-rendu de la commission, AMA 2 mi 388)

293.

Ibid.

294.

AMA, 2 mi 391.

295.

On peut d’ailleurs noter que ce bâtiment, appelé depuis le Manoir de Novel, demeure jusqu’à ce jour sans affectation précise, en tout cas sans aucune activité régulière, de conservation ou d’animation.