Chapitre 2 –la recherche de nouveaux repères politiques

La critique des institutions, au sens le plus large du terme, jusques et y compris l’Eglise et la morale traditionnelle, à travers par exemple le soutien des luttes pour l’IVG, secoue visiblement une société que ses édiles jugeaient bien ancrée dans une fidélité à son passé. La différence de ton entre la réponse donnée par la commission des affaires culturelles au Ministère dans sa séance du 5 octobre 1966, à propos de l’éventuelle création d’une maison de la culture, et la prise de position de la même commission, en tout cas avec les mêmes responsables, lorsqu’elle examine la demande du Théâtre Eclaté le 24 octobre 1972, marque bien l’évolution de la situation : la culture n’est plus une question que la municipalité traitera dans des conditions qu’elle se donne le temps de définir ; la culture est un problème qui manifeste, dans les concerts, sur les scènes, dans les publications et tracts, un désir de changement, un refus des conventions et de l’ordre établi, une urgence aussi qui ne peut plus s’accommoder de la prudence.

Tout d’abord la question de l’équipement culturel, posée depuis des années à travers le problème de la grande salle et jamais vraiment tranchée, devient rapidement à la fois une revendication et un point de fixation du débat politique : autour de sa définition se met en place ce que l’on a appelé la “ commission Bonlieu ”, une instance de réflexion et de proposition, et qui rassemble des acteurs issus de tous les milieux. Bonlieu, et par voie de conséquence la politique culturelle, tend progressivement à occuper une place centrale dans le débat politique local.

Pour autant, la municipalité doit faire face au mouvement de revendication et de contestation qui s’est créé autour d’AJA et du Théâtre Eclaté, mouvement qui commence à rassembler largement les opposants de gauche. A cet effet, elle utilise plusieurs voies : une forme de résistance passive avec les acteurs culturels les plus actifs, un jeu assez paradoxal avec le ministère de la culture, la recherche d’une solution médiane pour formaliser son action dans le domaine culturel. C’est bien le rétablissement d’un certain ordre dans le domaine culturel qui devient une priorité pour la municipalité, au risque de laisser les acteurs les plus remuants la bousculer, et de perdre ainsi une part de sa légitimité.

C’est à ce moment, vers 1973-1974, que l’on peut assister à un retour de l’histoire, celle des Glières plus particulièrement, à l’occasion de l’inauguration par Malraux d’un monument commémorant les combats de mars 1944. De même, deux évènements de la vie annécienne ramènent au premier plan un groupe d’anciens militants culturels, fondateurs des Marquisats et de Peuple et Culture, tous liés à la Résistance, anciens des Glières pour certains. Le retour de l’histoire des Glières introduit alors une dimension qu’elle n’avait jamais eue auparavant, et joue un rôle inédit. Enfin, cette période est le temps des productions écrites sur Annecy, et sur l’action culturelle dans la ville, dont nous avons souligné l’importance en introduction à notre travail. Ces travaux et écrits forment un ensemble qui va contribuer à la notoriété de la ville, en particulier dans la communauté des sciences sociales : mais une des interrogations que suscite cette production à trait à la forme de « récit » que constitue progressivement cet ensemble, que ce soit avec les reprises successsives d’éléments de seconde main, que par la construction progesssive d’une image et d’une ressource politique, telle que l’envisage ClaudioM. Radaelli394, en particulier en établissant pour les acteurs une temporalité de l’action publique. Cette dimension nous paraît être, dans cette phase, un élément central dans les échanges politiques très tendus entre les acteurs.

L’ensemble de ces éléments, dans la période qui va de 1972 à 1975, contribue à façonner une image d’Annecy, ville culturelle, et de l’action de la municipalité, image qui va devenir une donnée politique centrale. La démission de Charles Bosson de ses fonctions de maire en 1975, et sa succession assurée par son premier adjoint André Fumex, marque alors une étape importante dans cette histoire politique.

Notes
394.

Radaelli Claudio.M., « Logiques de pouvoir et récits dans l’Union européenne », Revue française de science politique, vol.50, n°2, avril 2000.