A) Un dispositif en phase avec les politiques nationales

Les IVe et Ve Plans, entre 1962 et 1970, avec leurs déclinaisons spécifiques en matière d’équipements sportifs et socio-éducatifs, ont permis de donner un essor considérable à de nouvelles formes de politiques publiques en direction des jeunes qui apparaissent depuis le grand mouvement d’urbanisation de la France comme un problème : nouvelles classes dangereuses avec les grands rassemblements musicaux et les blousons noirs, menace politique avec les mouvements gauchistes issus de mai 68, prise en compte des loisirs dans une société du “ temps libéré ”. Le ministère de la jeunesse et des sports est à la recherche à la fois d’une formulation du problème et de l’énoncé de solutions, dans un contexte budgétaire toujours difficile : si les financements inscrits au Plan des équipements permettent de contribuer à la construction de locaux socio-éducatifs, par contre le financement des postes de permanents devient le sujet constant de récrimination des fédérations associées à cette politique. Du Livre blanc, rapport d’enquête sur la jeunesse française, de François Missoffe en 1967466 aux 58 directions de recherches sur la jeunesse de Paul Dijoud en 1977467, ce département ministériel poursuit une quête à la fois de données objectives permettant de définir les besoins des jeunes, en même temps qu’il postule la nécessité de leur participation à la définition et à la mise en œuvre des politiques qui les concernent468. A quoi Pierre Bourdieu répondra La jeunesse n’est qu’un mot 469 en rappelant le caractère arbitraire de la définition des classes d’âge et des questions de génération ; et le sociologue de préciser son approche de la mise hors jeu symbolique des jeunes par le système scolaire, et en parallèle des processus de reproduction des clivages sociaux à l’œuvre dans le dit système, reprenant ainsi ses analyses publiées en 1970470.

La réponse en termes de politique, de mise en œuvre des moyens, c’est la cogestion avec les grandes fédérations, telle que nous l’avons exposée plus haut. L’effet des plans successifs, de la construction des équipements et de la mise en place de professionnels de l’animation, c’est cette figure d’un état partenaire obligé d’organismes privés de dimensions nationales, les grandes fédérations. En corollaire, il est à la recherche permanente des jeunes inorganisés, c’est à dire hors des équipements et de la tutelle des fédérations, par le biais de dispositifs que Françoise Têtard rappelle, dans son étude citée ci-dessus, et qui tous font appel à l’initiative individuelle des jeunes471. Malgré cette concurrence constitutive entre le ministère de la jeunesse et des sports et les grandes fédérations, on peut considérer ces années 70 comme celles de l’épanouissement d’un dispositif mixte, entre public et privé, qui peut se mesurer à l’aune du rythme des constructions des équipements et de la professionnalisation des animateurs. Il s’agit d’un dispositif mixte dans la mesure où l’échange entre l’Etat et les fédérations, et plus spécifiquement celle des MJC, concerne l’allocation de moyens financiers par l’Etat et la légitimation par ses services de la position des fédérations comme acteurs principaux de la politique publique d’un côté, l’inscription âprement négociée des actions associatives dans une perspective de politique publique de l’autre coté, avec la pierre d’achoppement de la question de l’intérêt général, et finalement le problème de l’adhésion du public à ces politiques par le biais de la gestion associative.

Notes
466.

Rapport d’enquête sur la jeunesse française, Ministère de la Jeunesse et des Sports, Paris 1967.

467.

Dont les conclusions publiées par le secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports en 1978 s’intitulent : Pour une politique de la jeunesse. Pour une relance de la politique sportive. Consultation nationale octobre, 1977-février 1978, Paris, 1978.

468.

Françoise Têtard a précisé cette dimension participative dans les politiques menées par les différents ministres de la jeunesse et des sports dans Jeunesse et Sports face à la “ participation des jeunes ”. Dialogue ininterrompu entre un ministre et une utopie. Paris, Ministère de la Jeunesse et de Sports, 1997.

469.

Pierre Bourdieu : “ La“ jeunesse ” n’est qu’un mot ”, entretien avec Anne-marie Métaillé, 1978, dans Bourdieu Pierre, Questions de sociologie, Paris, Seuil, 1984.

470.

Pierre Bourdieu, La reproduction, Paris, Seuil, 1970.

471.

On peut noter d’ailleurs que cette posture est toujours d’actualité au début du XXIe siècle avec un Fonds Départemental d’Aide à l’Initiative des Jeunes (FDAIJ) créé en 2004 par le ministre de la jeunesse et des sports Jean-François Lamour.