La maîtrise de la création

L’achèvement des équipements socioculturels, le développement de l’activité d’AAC, la multiplication des initiatives depuis le début des années 1970 s’accompagnent d’un essor de la création dans la ville : Annecy Jazz Action avait en son temps soutenu la recherche dans tous les domaines artistiques, avec une tendance particulière en faveur du non-conformisme. Annecy MédiAction (AMA) poursuit cette entreprise, avec des réussites comme celle de l’X-Tet, un ensemble de musique contemporaine, avec lequel AMA envisage de créer un festival en 1979 ; la commission du 29 janvier 1979511 prend acte du renoncement de l’association à ce projet, faute d’avoir trouvé un accord et des soutiens locaux suffisants. Cependant AMA pose dès lors la revendication de locaux de répétition pour les groupes et orchestres de jazz ou de rock qui ne trouvent pas de lieu adapté à leur musique.

Dans le domaine du théâtre, le Théâtre Eclaté a fini par s’imposer grâce à la qualité de son travail artistique, l’insistance de la DRAC qui en a fait l’un des points non négociables de l’intervention du ministère, mais aussi grâce au soutien de tous les acteurs culturels annéciens, bénévoles et professionnels, syndicats. Ses créations rythment les saisons théâtrales, accentuant l’image culturelle de la ville. Pourtant, sa renommée, et les difficultés rencontrées à Annecy depuis des années sur le plan matériel comme financier (par exemple le refus de la municipalité de subventionner la création du Nid, de Franz Xaver Kroetz à la commission du 24 novembre 1976512), lui ont fait déserter la ville comme résidence permanente pour d’autres horizons que les coproductions des spectacles lui ont ouverts (le Théâtre de l’Odéon, à Paris en particulier).

D’autres artistes assurent une relève artistique : ainsi les anciens responsables du Libre Elan, la troupe soutenue par la Fédération des Oeuvres Laïques disparue en 1973, tentent-ils de relancer un Théâtre sans Abri qui sollicite bien entendu des locaux de répétitions : la commission du 6 mai 1976513 refuse cette demande, et renvoie les animateurs de cette troupe vers AAC. Une autre troupe cependant apparaît qui développe son activité théâtrale en direction d’un public spécifique : il s’agit de la Compagnie du Trèfle, dont l’animateur, Lliberto Valls, n’est autre que l’ancien responsable de l’unité “ enfants ” d’AAC. La troupe créée en juin 1976, recueille rapidement un succès auprès des enseignants et de leurs élèves, ainsi que des autorités académiques, tant en raison du travail artistique spécifique conduit par les comédiens que par les relations nouées antérieurement. Le succès relatif conduit les responsables de la Compagnie du Trèfle à solliciter des locaux de répétition et une aide à la création. L’impossibilité de trouver des locaux de répétition est opposée à la Compagnie de la même manière qu’elle l’avait été au Théâtre Eclaté514. La Compagnie du Trèfle va ainsi demeurer dans le sillage d’AAC, dépendant de son comité directeur pour obtenir des aides à la création. La troupe reçoit pourtant le soutien des autres associations, qui y voient certainement une occasion et un moyen de faire contrepoids à AAC, notamment la Fédération des Œuvres Laïques, dont la récente orientation socio-éducative en direction des enfants trouve là un point d’appui..

Enfin, il reste le cas du Groupe d’Action Théâtrale, le GAT, qui représente un des derniers éléments de l’héritage des années de la Libération. Créé en 1945 par le groupe des fondateurs du centre public des Marquisats, de Peuple et Culture, de la Maison des Jeunes, le GAT avait pour vocation de soutenir les initiatives en matière de théâtre, notamment en organisant les tournées des troupes de la décentralisation. Ainsi, Jean Dasté et ses comédiens de Grenoble, puis de Saint-Etienne étaient-ils venus à Annecy à l’invitation du GAT. Structure de concertation entre Peuple et Culture, la MJC des Marquisats et celle de Novel, élargi à AAC, le GAT dispose de fonds, municipaux entre autres, pour soutenir la création théâtrale 515. Le lancement d’AAC pose un problème quant au statut du GAT : alors qu’AAC a vocation à devenir le lieu central d’initiative culturelle, et théâtrale donc, peut-on concevoir qu’existe encore de manière tout à fait distincte un autre lieu d’initiative ? Derrière cette question, posée par AAC, gît bien entendu le problème de la forme de l’action culturelle à Annecy. La MJC des Marquisats défend l’indépendance du GAT au nom de l’histoire et du pluralisme associatif, avec l’appui de Peuple et Culture, alors que Daniel Sonzini, à la commission des affaires culturelles du 27 juin 1977 souhaite qu’il soit mis fin à cette situation confuse. Il “ constate que le rôle premier dévolu à AAC, à savoir structure de concertation et de coordination entre les associations, n’existe plus. Si une réunion, regroupant les associations cogérées doit avoir lieu, la ville doit rester maître d’œuvre. Il faut poser le vrai problème : QUI FAIT QUOI ? et trouver le domaine réservé de chacun. ”516 Finalement de nouveaux statuts sont élaborés pour le GAT, qui confirment la forme cogérée entre les MJC, Peuple et Culture, AAC et la ville. Le rôle d’AAC dans cette structure devient prépondérant avec la prise en charge du secrétariat 517. La création à Annecy est désormais portée essentiellement par AAC, association à laquelle participent, rappelons-le, les autres associations, et bien entendu la mairie.

Ce dispositif institutionnel, basé sur une intégration des associations cogérées et sur un contrôle relatif de la création, suscite les critiques venant de deux directions opposées. Dans la ville, la dénonciation de la mainmise d’AAC sur l’action culturelle est constante : les professionnels, comme les directeurs des Marquisats, peinent à définir un rôle spécifique pour l’équipement dont ils ont la charge, en renonçant à une part essentielle de leur vocation, à savoir justement cette action culturelle, ou en ne retenant que la part la moins noble (AAC propose aux Marquisats de se spécialiser dans le cabaret …) ; les pionniers bénévoles, comme ceux du Ciné-club ou d’Annecy MédiAction, protestent contre la dépossession de l’initiative culturelle dont ils s’estiment victimes. D’un autre coté, le ministère de la culture ne cesse de demander à la ville et à AAC de mettre un terme à cette cogestion héritée du socioculturel, qui bride la responsabilité propre du directeur, notamment en matière de création. Lors d’une nouvelle modification des statuts d’AAC en 1980, la ville défend à nouveau, contre le ministère, la formule de cogestion qui préside depuis l’origine au fonctionnement de l’association. Dans le rapport qu’il rédige en 1983 suite à sa mission d’évaluation menée à la demande du ministère, Jean Pierre Würtz note à propos du conseil d’administration : “ Assemblée pléthorique de quarante membres ; le conseil d’administration d’AAC reste très lié officiellement et officieusement, au mouvement associatif et apparaît, dans son “œcuménisme”, comme une sorte de passerelle, de structure d’équilibre (ou de neutralisation) entre AAC et le secteur associatif et socioculturel. (….) Siègent donc actuellement dans les instances d’AAC, avec voix délibératives, trois MJC, deux mouvements d’éducation populaire (FOL et PEC), ainsi qu’une jeune compagnie (le Trèfle) qui dans le même temps s’est adressée au CAC pour négocier un accord de coproduction. C’est ainsi que les représentants des adhérents sont eux-mêmes dans leur très grande majorité adhérents par ailleurs d’autres associations locales, que nombre d’entre eux font partie d’AAC depuis de longues années, certains depuis sa fondation, époque à laquelle ils représentaient … le secteur associatif. ”518. Et le chargé de mission de préconiser, conformément à la doctrine constante du ministère, l’unicité de la direction (alors que deux directeurs se partagent les tâches à AAC), et une responsabilité essentielle du directeur en matière artistique, notamment de création. Mais c’est véritablement l’achèvement et l’inauguration, en octobre 1981, du centre Bonlieu qui va donner à la politique culturelle dans la ville sa configuration la plus stable.

Notes
511.

AM, 2 Mi 236.

512.

Ibid.

513.

Ibid.

514.

AMA, 2 Mi 236 séances de la commission des affaires culturelles du 5 avril et du 7 juin 1978.

515.

Les problèmes du GAT sont abordés lors des réunions des 26 octobre, 9 novembre et 15 novembre 1977 de la commission des affaires culturelles, AMA 2Mi 236.

516.

AMA, 2 Mi 236 commission des affaires culturelles, séance du 25 janvier 1978.

517.

Ibid.

518.

Rapport d’évaluation du Centre d’Action Culturelle de 1983, Jean-Pierre Würtz, p. 27-28.