1983 : le changement de génération

Le contexte politique général a changé : la victoire de la gauche en 1981 a donné un souffle nouveau à ceux qui étaient dans l’opposition depuis longtemps : les élections législatives de 1981 voient des bureaux de vote passer pour la première fois à gauche, les candidats socialiste et communiste étant respectivement Gilbert Goy, ancien dirigeant de la CFDT, et Jean Moget le maire communiste de la ville de Meythet542. Cependant le républicain indépendant Jean Brocard conserve son siège. Mais les élections municipales de 1983 sont surtout marquées par le retrait du maire sortant, André Fumex, celui-là même qui avait repris le flambeau des mains de Charles Bosson en 1975. Il annonce lors du conseil municipal du 30 septembre 1982 son intention de ne pas se représenter : “ Il ne m’est plus possible, en voulant assumer pleinement mes responsabilités, de mener de front le métier de maire et celui de chef d’entreprise 543 , dans le contexte économique. Au terme de cette législature, l’occasion se présente de ‘passer la main’, puisque notre collègue Bernard Bosson a bien voulu accepter de conduire une liste aux prochaines élections municipales 544. La déclaration brève ne trompe guère les observateurs et les opposants politiques : André Fumex n’abandonne ni son siège de conseiller général, président de la commission jeunesse, ni celui de conseiller régional, il laisse simplement le fauteuil de maire à l’héritier de Charles Bosson, Bernard, qui a pu faire son apprentissage lors d’un premier mandat de conseiller municipal depuis 1977, mais aussi en reprenant le siège de conseiller général de son père en 1979. Le Dauphiné Libéré du 28 février 1983 l’écrit très directement dans un article intitulé L’héritier de “ l’institution Bosson ” se fait un prénom : “ Aujourd’hui les annéciens ne s’y trompent pas. C’est encore lui [Charles Bosson] qui passe le flambeau, relayé par André Fumex, à son fils Bernard. ”. La constitution de la liste conduite par Bernard Bosson, sous son simple nom, Liste Bernard Bosson, ne peut plus obéir aux mêmes règles que lors des élections précédentes en raison de la modification profonde du scrutin introduite par la Gauche, à savoir la représentation des listes minoritaires au conseil. Un accord est trouvé avec les partis politiques de ce qui est désormais l’opposition nationale : les rivalités de 1977 entre les différents courants de droite n’ont plus cours dans un contexte de nationalisation très forte du débat politique, et Bernard Bosson doit accepter ce que son père avait toujours refusé, à savoir la désignation d’une partie de ses colistiers par les partis politiques. C’est la première fois à Annecy qu’une liste Bosson fait mention de ceux-ci, alors même que Charles, puis Bernard, assument des responsabilités nationales dans le courant centriste : la profession de foi précise qu’elle comprend “ 60 % de femmes et d’hommes choisis pour leurs compétences […], et 40 % de femmes et d’hommes dévoués à la vie locale et venant des différentes formations de l’opposition nationale ”545. Pour autant, les candidats ne sont pas étiquetés comme tels. Une autre nouveauté apparaît dans la vie politique annécienne : c’est la première fois que figurent, avec mention de leur qualité notamment dans la presse, des présidents d’associations culturelles ou socioculturelles, en particulier de MJC, le président en exercice de la MJC des Marquisats, ainsi que celui de la MJC des Romains, tous deux démissionnaires peu avant l’ouverture de la campagne des élections du 6 mars 1983. La “ vieille garde ” de Charles Bosson et d’André Fumex s’éloigne de la vie politique, et l’on ne trouve plus d’anciens des Glières.

En face la liste de gauche, intitulée Annecy pour tous, inaugure un nouveau style puisque les partis ont fait appel comme tête de liste, à un haut fonctionnaire. Daniel Cadoux est présenté sous l’angle prioritaire de ses compétences, venant d’un parcours exemplaire : issu d’une famille modeste de la ville, agrégé de l’Université, ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration, sous-préfet chargé de mission à la Préfecture de Région “  il est capable de diriger cette grande entreprise qu’est la ville d’Annecy ”. La constitution de la liste met en évidence les nombreuses références aux responsabilités culturelles et associatives des colistiers, en particulier le président de l’association de prévention spécialisée, la vice-présidente de la MJC de Novel.

La mention des engagements culturels et associatifs des candidats des deux listes est d’autant plus remarquable qu’elle survient au moment où les grands enjeux dans ce domaine sont tranchés depuis 1977 et que les réalisations sont achevées : alors que la culture a tenu une place assez centrale dans le débat politique local, il faut attendre l’achèvement du dispositif pour voir les hommes et femmes engagés dans ce secteur, à titre bénévole essentiellement, s’engager dans la lutte électorale. Cependant il faut remarquer qu’aucun professionnel du secteur ne figure en bonne place sur les listes. De même, aucun candidat ne fait référence à une responsabilité quelconque dans la gestion du centre Bonlieu. L’écart vis-à-vis du débat politique dans lequel se sont tenus les responsables des associations culturelles et socioculturelles ne se réduit que lorsque la question n’est plus centrale.

Les thèmes de campagne se sont déplacés vers les questions de l’emploi et de l’économie, la situation privilégiée d’Annecy en la matière dans les années 60 s’étant quelque peu dégradée, avec quelques atteintes au tissu industriel et un taux de chômage en progression. De plus l’accent mis par le gouvernement Mauroy sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, à la suite du rapport Schwartz en octobre 1981, en fait un thème obligé. Toutefois il faut noter dans les professions de foi des deux listes une différence notable : alors que Bernard Bosson aborde très largement tous les secteurs de l’action municipale, en précisant qu’il souhaite “ maintenir une politique culturelle en respectant le pluralisme au service de tous ”, Daniel Cadoux met en tête de ses objectifs le droit des annéciens à la sécurité, à un enseignement de qualité, à la tranquillité, aux transports. Pour ce qui est de la culture, Daniel Cadoux dénonce une conception élitiste et restrictive de la culture, la surprogrammation de manifestations, il revendique également dans ce domaine “ une ouverture à toutes les formes d’expression (rock, bande dessinée, folklore…) en privilégiant la culture-participation au détriment de la simple consommation de biens culturels ”546, en phase avec le soutien apporté par Jack Lang à ces nouvelles formes.

Les élections municipales du 6 mars 1983 sont marquées dans le département par une forte politisation, en rupture avec la prédominance traditionnelle des intérêts locaux, qui voit des listes de gauche arriver en tête de communes de l’agglomération annécienne (Cran Gevrier et Meythet), et Pierre Mazeaud, l’ancien ministre RPR de la jeunesse et des sports enlever la mairie de Saint-Julien-en-Genevois. A Annecy, la liste Bernard Bosson arrive en tête avec 58,27 % des voix contre 41,73 % à ses concurrents de gauche, qui font pourtant un score honorable dans les quartiers populaires de Novel et la Plaine. Neuf élus de la liste de gauche font leur entrée au conseil municipal (sur un effectif total de 43). La succession Bosson est assurée de manière claire et sans conteste. Le nouveau maire avait procédé à un renouvellement assez profond de la liste, et la composition de la municipalité de 1983 en témoigne, ainsi que le montre le tableau comparatif avec les deux équipes précédentes d’André Fumex :

FONCTIONS 1975 1977 1983
Maire André Fumex André Fumex Bernard Bosson
1 er adjoint Louis Lagrange Louis Lagrange Claude Chassagne
2 e adjoint Paul Servettaz Paul Servettaz Yvette Martinet
3 e adjoint Georges Grandchamp Georges Grandchamp Pierre Ferrario
4 e adjoint Albert Barat Yvette Martinet Alain Guiral
5 e adjoint Yvette Martinet André Terrier Michel Amoudry
6 e adjoint Louis Richard Albert Barat Jean-Pierre Pochat
7 e adjoint Henri Bouvier Louis Richard Jean Régis
8 e adjoint   Edouard Fantin Jean Mirodatos
9 e adjoint   Michel Amoudry Pierre-Jean Dubosson
10 e adjoint     Louis Servettaz

Si le premier adjoint, Claude Chassagne, un ingénieur, effectue son premier mandat au conseil municipal, il n’en est pas de même pour la deuxième adjointe, Yvette Martinet, en charge des affaires sociales, qui s’engage dans un troisième mandat à la municipalité. En revanche, les troisième et quatrième adjoints font clairement partie de l’ancienne opposition de droite à la municipalité Bosson : Alain Guiral figurait en 1975 sur la liste d’opposition à André Fumex soutenue par le député républicain indépendant Jean Brocard. Outre la présence du récent président des Marquisats, Pierre-Jean Dubosson, il faut noter un élément de continuité en la personne de Louis Servettaz, le fils de Paul Servettaz sans cesse réélu de 1947 à 1977. Enfin avec le départ de la municipalité d’Albert Barat, il n’y a plus de représentant de la génération des résistants, et des syndicalistes de la CFTC.

Dans le domaine culturel, le changement s’opère également, mais avec prudence : Pierre Jacquier qui avait assuré la présidence de la commission depuis 1965, avec Georges Grandchamp comme maire-adjoint, ne s’est pas représenté, et c’est l’ancien président de la MJC des Marquisats, Pierre-Jean Dubosson, qui prend les fonctions de maire-adjoint, avec Georges Grandchamp, son prédécesseur dans la fonction, à la présidence. Les membres en sont également renouvelés, avec, bien entendu, pour la première fois des élus de gauche, une enseignante, Marie-Sylvaine Dequier et un conseiller juridique, Olivier de Chazournes.

Ainsi le changement de génération est assuré sans encombre pour la majorité municipale avec toutefois quelques différences significatives : désormais, Bernard Bosson ne pourra plus revendiquer une liste bâtie uniquement sur son nom, en dehors des partis politiques, il devra composer avec les autres partis non seulement de gauche mais surtout de droite qui ne manquent pas une occasion de lui rappeler son appartenance à la direction nationale du mouvement centriste, et son obligation de participer au jeu des partis. L’apolitisme qui était l’argument fondamental de Charles Bosson n’est plus viable, le pluralisme qui présidait à la composition des listes, et à la détermination de l’action municipale, n’est plus de mise. La profession de neutralité politique dans les affaires municipales ne peut plus être tenue. Demeurent cependant les éléments essentiels de la politique construite par les prédécesseurs, et des orientations fortes, notamment en matière d’action culturelle et socioculturelle qui consacrent ce qui peut apparaître comme le modèle annecien.

Notes
542.

Valérie Crova : Etudes électorales, diplôme de science politique, IEP de Lyon, 1986.

543.

André Fumex assurait la direction d’une entreprise familiale de ciergerie.

544.

Déclaration rapportée par le journal L’Essor Savoyard du 8 octobre 1982.

545.

Document conservé aux AMA, cote 9081 W 06, élections municipales de 1983.

546.

Les professions de foi des candidats ainsi que les listes sont conservées aux archives municipales d’Annecy sous la cote 9081 W 06.