Épilogue : la disparition des associations historiques

Si nous avons choisi d’arrêter notre étude à la période des élections municipales de 1983, pour autant il paraît intéressant de tracer rapidement le devenir des structures culturelles et socioculturelles dans la décennie suivante, afin de saisir la dynamique propre à chacune, et ceci d’autant plus que cette décennie est essentiellement marquée par la disparition des deux associations historiques de la ville, les Marquisats et Peuple et Culture.

La MJC des Marquisats, avec ses locaux de grande ampleur, est touchée de plein fouet par l’ouverture de Bonlieu : la définition d’un projet culturel autour de sa salle de 350 places souffre rapidement, après l’ouverture du centre culturel, de sa position excentrée, de l’insuffisance technique de la salle par rapport aux équipements modernes de Bonlieu, surtout de la place centrale prise par AAC dans la coordination de la politique culturelle dans la ville. Les Marquisats sont finalement marginalisés géographiquement et politiquement. L’année 1983 marque une étape importante dans la vie de la maison, avec le départ du tandem qui avait pris les rênes de la maison en 1974, le président Pierre-Jean Dubosson et le directeur Gérard Bortolato, que l’on retrouve bientôt l’un comme maire-adjoint chargé des affaires culturelles, l’autre délégué régional de la Fédération des MJC, puis directeur des Journées internationales du cinéma d’animation. La montée en puissance du centre Bonlieu couvre bientôt toutes les activités de diffusion qui faisaient la ressource des Marquisats. L’association est donc confrontée à partir de cette date à un problème sur deux plans :

Malgré toutes ces tentatives, la situation financière peine à se redresser, et les nouvelles orientations tardent à s’affirmer, entre un conseil d’administration qui doit faire souvent face aux dissensions internes et une municipalité désormais tournée vers d’autres perspectives . La mise en règlement judiciaire de l’association en 1992 est suivie de la liquidation en septembre 1993 : la gestion des locaux d’hébergement et de restauration est rendue à leur propriétaire, l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) de la Haute Savoie ; la deuxième tranche, les locaux d’activités et la salle, est reprise par la ville qui y transfère l’Ecole des beaux-arts, et transforme profondément la salle de spectacle pour en faire un équipement voué aux “ musiques amplifiées ”, dénommé le Brise-Glace en 1994. La liquidation de la MJC des Marquisats, malgré une proposition de reprise formulée par une association rassemblant des animateurs et des administrateurs, ne soulève pas d’émotion particulière dans la ville.

Peu de temps après, c’est l’association Peuple et Culture de Haute Savoie qui suit le même chemin : l’éloignement de la génération des fondateurs, la fin du centre de formation professionnelle d’animateurs, l’investissement de bon nombre des militants dans les nouvelles structures et manifestations culturelles, vident progressivement l’association de sa substance. La situation financière conduit Peuple et Culture sur la même voie de la liquidation judiciaire que les Marquisats.

A ce moment, la ville complète le réseau d’équipements socio-éducatifs qui couvre la commune : dans le quartier du Parmelan, la réhabilitation en 1994 de l’ancienne cité de transit permet d’édifier un centre social de belles dimensions, avec notamment une salle spécialisée pour les arts du cirque, qu’un des premiers animateurs de l’association d’origine avait développés avec les habitants. Dans la partie sud de la ville, dépourvue d’équipement depuis des années, après l’échec d’une tentative de confier aux Marquisats en 1985 la gestion d’une unité d’animation dans ce quartier, la municipalité construit un ensemble socio-éducatif, Archipel-Sud, dont la gestion est confiée à une association encore une fois affiliée à la Fédération des MJC.

Quant à Bonlieu, l’association ne connaît guère de bouleversement : le départ en retraite du directeur Daniel Sonzini en 1997 est suivi de la nomination, en plein accord avec le ministère, d’un successeur en provenance d’un autre établissement culturel. Les grandes manifestations artistiques que sont le Festival international du film d’animation et les Rencontres du cinéma italien ont trouvé leur rythme, désormais annuel pour le premier, et leur place dans le paysage culturel français et international, même si, en dépit des propositions successives et des différents projets depuis quarante ans, aucun dispositif de création ou de conservation d’envergure ne vient compléter et soutenir cette activité.

En matière de théâtre, la création peine encore à trouver sa place à Annecy, comme en témoigne l’éviction récente du Centre Dramatique National de Savoie du metteur en scène André Engel, pourtant nommé en accord avec le ministère de la Culture, mais dont l’attitude n’apparaît guère compatible avec une gestion consensuelle : “ Je suis probablement le metteur en scène qui a la plus mauvaise réputation, méritée, dans la profession. Je fais trop d’histoires, je ne suis pas assez poli, je ne joue le jeu ni de la médiatisation, ni des mondanités. […] J’ai des difficultés à avoir des rapports sociaux et surtout mondains… 548 déclare celui qui a retenu, pour la publication de ses programmes, une typographie et une mise en page directement reprise des publications de l’Internationale Situationniste des années 60. Le projet d’une “ cellule de production des arts vivants ”, conventionnée par le ministère et la région Rhône-Alpes, permettra des résidences d’artistes, mais en aucun cas ne sera le support de l’installation d’un successeur d’André Engel549. La structure créée en 1992 pour Alain Francon, qui dirigeait en même temps le théâtre de la Colline, à Paris se trouve donc à nouveau dépourvu d’une “ tête ” artistique permanente550. Mais la référence à l’histoire demeure, puisque le “ Projet de cellule régionale de création artistique ” présenté au comité directeur de Bonlieu Scène Nationale de janvier 2006 rappelle dans son préambule que “ Par sa configuration singulière cette région a vu se développer une fonction d’accueil, d’abri pour les démarches de réflexion et de création, de Paul Thisse à Joffre Dumazedier, de Gabriel Monnet à Alain Françon. L’histoire d’une recherche sensible en lien avec des caractéristiques d’une époque est quasi continue. L’originalité de cette région à la fois refuge et génératrice de circulation et de passages est probablement un des causes d’une richesse particulière de la création qui s’y est développée ”551

Dans le domaine du cinéma, alors que la ville a acquis avec ses festivals une réelle dimension internationale, malgré la succession des projets et des propositions, elle n’est en aucune sorte un lieu de création.

Enfin, la culture fait partie des compétences transférées par la ville à la Communauté d’Agglomération d’Annecy (C2A) lors de sa mise en place en 2002 : la vice-présidente en charge de la culture est l’ancienne adjointe à la culture de la ville d’Annecy, Marie-Noëlle Provent. Son homologue au conseil général n’est autre que son successeur au conseil municipal, Dominique Puthod, neveu de l’ancien maire André Fumex, dont il avait repris le siège de conseiller général d’Annecy-nord-est en 2001.

Notes
547.

Ce Rapport d’orientation prospective pour les Marquisats (. ADHS 95 J 5) rédigé par l’un des directeurs de la MJC, Daniel Patour, est d’ailleurs le seul document qui resitue la maison dans le contexte annécien des années 1980 de stagnation démographique et de recul industriel, ainsi que dans le cadre de l’essor du centre d’action culturel à Bonlieu. Ce rapport, produit au moment où se déroule l’évaluation du ministère de la Culture et de la Communication de 1987, est repoussé par les instances de l’association (conseil d’administration du 29 avril 1987, ADHS 95 J 5).

548.

Entretien à l’hebdomadaire Le Faucigny, du 18 octobre 2003.

549.

Le Dauphiné Libéré, du 29 juin 2005.

550.

Le Monde du 3 octobre 2003, p. 31.

551.

Préambule du Projet de cellule régionale de création artistique, BonlieuScène Nationale, janvier 2006.