Pour une catégorisation des associations

Le terme générique “ les associations ” a acquis droit de cité, pour ainsi dire, aussi bien dans le domaine politique que dans les sciences sociales depuis l’émergence du phénomène associatif sur la scène publique, que nous avons retracée dans notre mémoire de DEA de science politique580. Les différentes représentations associatives, d’ailleurs regroupées dans une Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), le Conseil national de la vie associative (CNVA), créé à l’issue de la consultation menée par le ministre du Temps Libre André Henry en 1982 et placé auprès du Premier ministre, toutes ces instances donc tendent à présenter un secteur associatif, sinon homogène dans ses formes, du moins uni dans la défense de ses intérêts face aux pouvoirs publics. En contrepoint, les contempteurs des associations accréditent la même idée en les vouant toutes aux gémonies ; ainsi Pierre-Patrick Kaltenbach accuse-t-il en bloc toutes les associations (sauf la sienne…) d’émarger indûment aux fonds publics, sans contrôle581.

De même, une grande partie de la littérature de sciences sociales sur le sujet consacre une approche généralisée du phénomène : ainsi le courant de recherches socio-économiques structuré autour du Mouvement anti-utilitaire dans les sciences sociales (MAUSS), très axé sur la caractérisation d’un tiers-secteur, a-t-il publié Une seule solution, l’association ? Socio- économie du fait associatif 582, Association, démocratie et société civile 583 . Jean-Louis Laville, très impliqué dans cette démarche, a dirigé en 1997 une Sociologie de l’association 584 qui tente, à travers l’analyse de l’évolution de divers exemples, de trouver une raison commune à ces institutions singulières que sont les associations. Il n’est pas question dans ces dernières pages de nous livrer à une revue critique exhaustive de ces travaux. Nous voulons seulement faire remarquer qu’ils postulent presque tous l’unité de ces associations, fondée sur un rôle de représentation de groupes sociaux, une fonction d’innovation, notamment dans le domaine social et culturel, jusqu’à reconnaître un “ secteur associatif ”. De notre côté, nous avion tenté de montrer, à partir de l’épisode du projet de loi relatif à la promotion de la vie associative de 1981, et de son échec, comment, en réalité, ce secteur associatif n’était pas aussi uni que ses propres discours pouvait le laisser croire. La compréhension, et l’explication des divisions au sein de ce secteur, et surtout pour ce qui concerne notre objet, nécessitent d’y opérer des distinctions.

La question d’une catégorisation au sein de ce “ secteur ” n’est visiblement pas à l’ordre du jour, tant du côté des représentations institutionnelles que des chercheurs spécialisés dans ce domaine. Pour retrouver une démarche en ce sens, il faut retourner aux travaux d’Albert Meister que nous avons cités en introduction, en particulier La participation dans les associations 585, ouvrage dans lequel il reprend les analyses de Georges Gurvitch dans La vocation actuelle de la sociologie 586 . A partir de quinze critères, eux-mêmes largement entrecroisés, Georges Gurvitch proposait un mode de distinction des groupements, et de classification prenant en compte aussi bien les aspects morphologiques (taille, durée, dispersion spatiale), les aspects fonctionnels (accès, extériorisation, rapport à la société), les principes (contrainte, unité), que les questions de compatibilité entre groupements. Cette classification qui n’a pas eu une grande postérité a au moins le mérite, à nos yeux, de poser le principe d’une diversité fondamentale des groupements, au sein desquels les associations tiennent une place essentielle. L’apport d’Albert Meister, et de Geneviève Poujol à sa suite587, fut de considérer les associations dans leur dynamique sociale et politique, dans ce qu’il a appelé “ une espèce de schéma de naissance et de mort de l’association ”, avec à terme “ le dernier stade, c’est à dire la mort de l’association qui devient une institution ou un service public 588. Et Meister d’ajouter “ En matière d’associations, l’assassinat est souvent hautement bénéfique pour l’innovation sociale, et nous connaissons tous un nombre plus ou moins important de groupes dont la mort constituerait, à la phase précise qu’ils ont atteinte dans leur existence, leur plus importante contribution au changement 589.

La virulence du propos ne doit pas masquer la pertinence de la remarque concernant la concomitance entre l’intégration achevée de certaines associations dans les systèmes politico-administratifs, en particulier par le biais de leur participation aux politiques publiques, et l’érosion de leur capacité à porter le changement social, y compris sous la forme de représentation de groupes en mobilité, ce qui expliquerait d’ailleurs de nombreux conflits internes aux associations. Cependant, il nous paraît nécessaire, au terme de notre étude de l’exemple annécien, de reprendre la question sous un autre angle, à savoir de considérer l’intégration dans les dispositifs publics non comme un résultat, un aboutissement, mais plutôt comme une donnée constitutive de nombre de groupements à support associatif, particulièrement dans le domaine de l’éducation populaire des années d’après guerre. Nous avions déjà envisagé cette hypothèse dans un article consacré à l’association Peuple et Culture de Haute-Savoie590 où nous abordions l’éventualité d’une stratégie institutionnelle de l’association en question allant dans le sens d’un renouvellement des institutions publiques, bien entendu dans le contexte très spécifique de la Libération et de la grande espérance de ces années de reconstruction, y compris de reconstruction politique. En effet, les finalités de nombreux groupements associatifs, par exemple la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture que nous avons longuement croisée au cours de cette étude, se situent d’emblée dans le champ des institutions publiques, et s’inscrivent par là même dans une perspective qui n’est plus seulement celle de porte-parole de groupes sociaux, de groupes d’intérêts aspirant à reconstituer de manière autonome une société civile indépendante de l’Etat et des pouvoirs publics, thème récurrent de la plupart des analyses sur la question.

Yann Tanguy, explorant à nouveau les travaux du doyen Maurice Hauriou sur la théorie de l’institution, notait cette mutation fondamentale au sein des associations : “ Ce n’est plus vers l’œuvre ou l’entreprise, statutairement désignée dans l’objet social, que l’idée tend. Ce n’est plus l’idée qui, par l’institution, se révèle ainsi au milieu social à travers la création de “ l’être collectif ”. C’est l’idée de la puissance publique qui s’incarne dans l’association. Ce n’est plus au service de l’idée d’œuvre que la représentation organise le pouvoir. La représentativité substitue à cette représentation particulière de l’idée et du pouvoir qui s’opère dans l’association, une représentation de l’intérêt général et de la puissance publique. Ainsi s’égare le sens propre de l’institution et se diffuse le sens commun aux institutions.”591. Ainsi s’expliquerait le caractère parfois inextricable du débat au sein du “ tiers-secteur ” autour de la notion d’intérêt général. La revendication d’une utilité sociale des associations, se substituant à un intérêt général de plus en plus difficile à définir592, se heurte alors à la question fondamentale des modalités de délivrance de cette reconnaissance : mesure régalienne ou délibération collective au sein du secteur ? Autour de ce choix se sont noués bien des conflits et se structurent bien des divisions, ainsi que nous l’avions montré dans notre travail de DEA593.

Aussi, le problème majeur d’une catégorisation des associations ne résiderait-il pas dans une distinction essentielle entre celles dont la vocation initiale, le rôle principal ou l’évolution finale est de contribuer à la mise en œuvre d’une politique publique, tant au niveau national que local, et celles qui demeurent orientées sur la représentation de groupes d’intérêts, et la revendication d’une autonomie réelle par rapport aux pouvoirs publics. C’est à dire que la dimension politique de l’orientation des associations deviendrait un des critères majeurs d’une telle catégorisation.

Notes
580.

Callé Philippe, Associations et décentralisation, op. cit.

581.

Kaltenbach Pierre-Patrick, Associations lucratives sans but, Paris Denoël, 1995.

582.

Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif, Recherches, Paris la Découverte, n°11, 1998.

583.

Association, démocratie et société civile, revue Recherches, Paris la Découverte, 2001.

584.

Laville Jean-Louis, Sociologie de l’Association. Des organisations à l’épreuve du changement social, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.

585.

Meister Albert, La participation dans les associations,op. cit.

586.

Gurvitch Georges, La vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, 1950 (réed. 1968), p. 308 et suivantes.

587.

Poujol Geneviève, “ La dynamique sociale des associations ”, Les cahiers de l’animation, n°39, 1983.

588.

Meister Albert, interview dans la revue Pour, n°59, “ Les associations : problèmes actuels, bénévoles, militants et professionnels ”.

589.

Ibid.

590.

Callé Philippe, “ Education populaire et associations : l’exemple de Peuple et Culture de Haute-Savoie ”, AGORA débats/jeunesse, n°5, 1998.

591.

Tanguy Yann, “ Associations et représentation dans la conception institutionnelle de Maurice Hauriou ”, La représentation, sous la direction de François d’Arcy, Paris, Economica, 1985, p. 208.

592.

Ainsi qu’en témoignent les travaux conduits par le CURAP de Picardie,Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, sous la direction de Jacques Chevallier, Paris PUF, 1978 ; ainsi que la revue Politix, n°42, 1998, Définir l’intérêt général.

593.

Callé Philippe, Associations et décentralisation, op. cit.